Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Bagages perdus

Une série télévisée sur les attentats de 2016 à l’aéroport de Zaventem (Bruxelles-National) ? Quand j’ai appris le tournage de « Lost Luggage », j’ai été choquée comme chaque fois qu’on s’empare d’une tragédie récente pour élaborer une fiction. Le procès des attentats est encore en cours à Bruxelles – je ne la regarderais pas. L’article de La Libre annonçant la diffusion de cette coproduction Arte/VRT (2022) m’a pourtant décidée à regarder au moins le premier épisode (il y en a six en tout).

lost luggage,série télévisée,vrt,arte,attentats,zaventem,2016,fiction,post-traumatique,lara chedraoui
Photo Lara Chedraoui dans "Lost Luggage" © De Mensen

J’ai suivi toute la série, un « récit post-traumatique » axé sur les suites des deux explosions qui ont causé la mort de seize personnes et blessé une centaine d’autres, sans compter le traumatisme psychologique des témoins, des proches, des intervenants pour les secourir. Lara Chedraoui (chanteuse du groupe rock Intergalactic Lovers) joue le rôle principal, celui de Samira Laroussa, une policière de l’aéroport hantée par ce qu’elle a vu, dont des flashs lui reviennent, sans qu’elle se souvienne de tout.

Parmi les morts et parmi les blessés, il y a eu des policiers et des employés de l’aéroport, en plus des passagers Tous ont eu la malchance d’être là au mauvais moment. « Lost luggage » est centré sur la récupération des bagages perdus dans ces circonstances. Tous les objets retrouvés dans le hall des départs ont été mis pêle-mêle dans un hangar. Certaines valises portaient un nom, d’autres pas.

Alors que les vols vont reprendre, dix jours après les attentats, le chef de la police aéroportuaire désigne Samira pour s’en occuper : il faut trier tout cela, photographier, étiqueter, contacter les familles quand l’identification est possible, recevoir les personnes qui réclament leurs affaires ou celles d’un proche. La policière ne comprend pas qu’on les charge de cela, alors qu’ils sont en sous-effectif depuis les attentats. Mais elle s’y met.

Le travail est énorme, sous-estimé, et très délicat, surtout dans la relation avec les personnes concernées de près par les attentats. Un objet dérisoire, même abîmé, peut jouer un rôle clé dans la vie « d’après ». Tous ne comprennent pas à quel point il importe de tout conserver. Les particuliers regrettent que la restitution des effets personnels prenne tant de temps et qu’on ne les autorise pas à fouiller eux-mêmes dans les bagages.

La vie de couple de la policière est mise à rude épreuve, tant son travail l’obsède. Le respect et l’empathie dont elle fait preuve sont remarquables. Elle-même a été traumatisée, plus qu’elle ne le pense au début. Son sens du devoir, sa délicatesse avec ceux qui ont souffert, qui continuent à souffrir des attentats, vont l’éloigner de son compagnon, de sa famille, de ses collègues. Elle ne peut plus bavarder de tout et de rien, elle ne peut plus reprendre sa vie d’avant.

Généreuse, elle accepte que son frère plutôt bohème mis à la porte de son appartement vienne dormir chez eux. Implacable, elle rejette son père qui n’a pas pris soin de sa mère malade et l’a laissée seule pour s’occuper d’elle jusqu’à la fin. Quand elle rentre chez elle, son compagnon l’accueille avec patience, mais leur projet de mettre un enfant au monde est mis à mal. Il ne comprend pas ses réactions ou son mutisme.

Samira rend visite à l’hôpital à un collègue gravement blessé, à une passagère dont la mère s’impatiente du fait que les bagages de sa fille n’ont pas encore été restitués. Elle assiste à des scènes de colère, de rupture, de désespoir… Elle fait face à l’incompréhension, à l’indifférence – elle prend sur elle. Pour ceux qui ont vécu ces événements, voir la vie des autres reprendre « comme avant » est souvent insupportable.

Chaque épisode repart des explosions et raconte les journées de Samira – et même les nuits, qu’elle passe parfois dans le hangar – aux prises avec les demandes, les injonctions, les consignes et avec sa propre vie qui se délite malgré elle. L’actrice joue très juste dans ces situations extrêmement tendues.

La série « Lost luggage » est « dédiée à toutes les victimes visibles et invisibles de la terreur, pour qu’elles ne soient pas oubliées » (Arte). Elle rend hommage aussi à ceux qui donnent tout ce qu’ils peuvent à ceux qui ont tout perdu. Les scènes avec des enfants sont bouleversantes. Rester humain contre l’inhumain, réparer ne fût-ce que quelques fils d’une vie brisée, voilà l’attitude dont témoigne Samira Laroussa. Et elle n’est pas la seule à être solidaire.

Même si nous avons lu les articles, portraits, récits consacrés aux attentats, même si nous suivons le cours du procès et les témoignages – l’un ou l’autre accusé a été choqué voire bouleversé d’être « pardonné » par certains –, cette série psychologique fait prendre encore mieux conscience, à travers des situations concrètes, de la profondeur des traumatismes et de la difficulté pour beaucoup à remettre du sens dans leur vie, à continuer. A voir sur Arte.tv

Commentaires

  • Repéré sur Arte TV, mais pas visionné. Je suis dans une série anglaise...

  • Les séries anglaises sont souvent de qualité.
    Bonne journée, Keisha.

  • J'ai hésité et puis j'ai renoncé à regarder. Peut-être plus tard, quand un peu plus de temps aura passé.

  • Je te comprends. Cette série n'aborde pas le terrorisme de front et ne s'intéresse pas aux terroristes. L'angle choisi est celui du respect et du soutien envers les victimes, directes ou indirectes, et montre bien comme l'humanité se niche aussi dans un geste, une attitude, une manière d'être.

  • Je n'avais pas encore vu passer cette série non documentaire qui doit être bouleversante à regarder je ne sais pas si je suis prête je prends plus de distance avec un livre qu'avec les images...alors je te dis franchement je ne sais pas si je la regarderais. Merci de nous en parler.

  • Il faut être prête pour aborder ce sujet, Manou, je suis d'accord. C'était d'ailleurs ma position avant de regarder cette série.

  • Je pense que la fiction peut être légitime pour aborder ces sujets, si elle le fait dans un esprit respectueux, sans voyeurisme. Je n'ai pas vu cette série, mais le film "Revoir Paris" d'Alice Winocour, que j'ai beaucoup apprécié. Tant pour le contenu que pour l'habileté scénaristique. Son fil rouge, le retour à la mémoire du trauma de la principale protagoniste,, permet de zoomer tour à tour sur plusieurs personnages, avec leur ressenti et leur façon de réagir personnels. En outre, c'est une traversée de la société, puisque dans la salle se trouvaient rassemblés d'une certaine façon le "tout Paris", du financier au cuisinier sans papier. Tout cela joué juste et fort sans pathos inutile. Virginie Efira surtout est remarquable de présence. !

  • Ce film semble avoir été conçu dans le même esprit, merci d'en parler ici, Ariane. Comment les êtres humains réagissent et renouent, parfois très difficilement, les uns avec les autres, voilà aussi ce que montre la série.

  • Savoir tout de ces actualités traumatisantes est lourd pour le moral. Il faudrait se couper de tout cela; mais, au fond, on n'y échappe pas. JE trouve que la vie devient de plus en plus difficile à cause de la vitesse à laquelle on apprend ces infos. Les pires s'enchaînent.. L'homme est un être particulier, quand même............Il faut pourtant garder espoir, peut- être en valorisant ce qui est bon, positif...Oh la la!!!

  • Oui, Bregman en parle dans "Humanité. Une histoire optimiste", la drogue des infos crée des spirales négatives, à force de dramatiser et de banaliser.
    Si j'ai parlé de cette série-ci, c'est qu'elle m'a touchée par tout le positif qui se dégage de la démarche simple en apparence, mais très délicate au fond, de rendre ces bagages "perdus" dans le hall de l'aéroport.
    Bonne après-midi, Anne.

  • c'est vrai que la première réaction quand une série s'empare d'un fait tragique comme celui-ci est le rejet. On a peur du voyeurisme et de l'attrait morbide du style films catastrophe. Mais, finalement, on peut parler de tout si on le fait avec respect et aussi dans le but de comprendre et d'aider.

  • Cette série illustre tout à fait ta conclusion, Claudialucia, merci.

  • Il faut de la force pour vivre les actualités et les revivre au travers de films ou de séries, je n'en ai malheureusement pas suffisamment... Doux lundi Tania. brigitte

  • Je comprends cela, c'était aussi mon sentiment a priori. Ce qui m'a plu, c'est que la série ne cherche pas à faire revivre ces événements mais est centrée sur la manière de vivre "l'après" pour ceux qui étaient à l'aéroport ce jour-là, de passage ou parce qu'ils y travaillent.
    Bon lundi de Pentecôte, Brigitte, lumineux et agréable ici.

Écrire un commentaire

Optionnel