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Un manteau jaune

Modiano nous emmène souvent dans les rues de Paris, La Petite Bijou nous entraîne aussi dans le métro. C’est à la station Châtelet qu’un manteau jaune attire l’attention de la narratrice, qu’on n’appelle plus « la Petite Bijou » depuis des années : elle a d’abord vu de dos la femme qui le porte, puis, en attendant l’ouverture du portillon, elle a vu son visage : « La ressemblance de ce visage avec celui de ma mère était si frappante que j’ai pensé que c’était elle. »

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Elle observe le vêtement dont la couleur s’est ternie, les traits de la femme assise sur un banc, avec « la certitude que c’était elle ». Mais elle ne parvient pas à lui adresser la parole, sinon en elle-même, et se contente de la suivre. « On m’avait dit qu’elle était morte, il y avait longtemps, au Maroc, et je n’avais jamais essayé d’en savoir plus. » A la sortie du métro, elle la voit composer un numéro dans une cabine téléphonique, parler, lui jeter un regard indifférent, comme dans le métro.

Dans le café où la femme est entrée, elle va s’asseoir au fond, continue à l’observer. Devant son kir, les bras croisés et appuyés sur la table, elle a la même attitude que sur le portrait qui était au mur de sa chambre d’enfant, peint par Tola Soungouroff. Lui adresser la parole pour le lui dire ? « Elle ferait semblant de ne pas comprendre », elle mentirait, comme elle trichait à l’époque du portrait sur son âge ou sur son prénom.

« J’avais l’impression d’être encore dans le wagon du métro. Ou plutôt dans la salle d’attente d’une gare, sans savoir exactement quel train je devais prendre. Mais pour elle, il n’y avait plus de train. Elle retardait l’heure de rentrer chez elle. Ça n’était pas très loin d’ici, sans doute. J’étais vraiment curieuse de savoir où. Je n’avais pas du tout envie de lui parler, je n’éprouvais à son égard aucun sentiment particulier. Les circonstances avaient fait qu’entre nous il n’y avait pas eu ce qui s’appelle le lait de la tendresse humaine. La seule chose que je voulais savoir, c’était où elle avait fini par échouer, douze ans après sa mort au Maroc. »

Cette curiosité, cette filature, cette quête, c’est le sujet de La Petite Bijou. De soir en soir, reprendre le même chemin, guetter le manteau jaune, et quand il reparaît, suivre cette femme jusque chez elle. Des bribes de souvenirs reviennent au fil des pages. Souvenirs d’enfance, histoires de noms – nom sur les papiers, nom d’artiste –, traces du passé dans une vieille boîte à biscuits…

Dans sa vie très solitaire, celle d’une enfant qui a grandi confiée à d’autres, Thérèse, la narratrice, a peu de personnes à qui parler : elle revoit de temps à autre un Russe polyglotte rencontré dans une librairie. Quand il lui a demandé un jour ce qu’elle recherchait dans la vie, elle a répondu : « des contacts humains… » Il est à l’écoute et de bon conseil : « Il faut trouver un point fixe pour que la vie cesse d’être ce flottement perpétuel… »

Elle loue une chambre au 11, rue Coustou, parce que sa mère y a habité un certain temps et parce que les reflets rouges et verts d’une enseigne lumineuse, la nuit, la bercent, « aussi réguliers que des battements de cœur ». Pour gagner un peu d’argent, elle garde la petite fille de gens riches du côté du bois de Boulogne, un couple assez jeune qui a l’air de camper dans un hôtel particulier très peu meublé. La petite reste souvent seule, Thérèse reconnaît cette solitude, ce sentiment d’abandon.

Les personnages de Patrick Modiano traversent le présent sur les traces du passé. Peu de péripéties dans La Petite Bijou, roman d’atmosphère envahi par le mal d’enfance. Il est si difficile à partager, quand on n’a pas eu l’occasion ni pris l’habitude de se confier à quelqu’un. Restent les rencontres de hasard, qui peuvent adoucir les moments les plus douloureux quand on se sent perdre pied.

« Saura-t-on jamais de quel secret désarroi, de quelle lointaine et obscure blessure d’enfance Patrick Modiano, romancier passé avec le temps de la confusion à la compassion, tire la faculté d’être ému jusqu’aux larmes par les jeunes femmes à l’abandon, les orphelines un peu butées, les provinciales esseulées et timides que l’on croise dans la rue sans les voir, mais que lui, doué d’un sixième sens, prend le temps de regarder, d’écouter et d’accompagner avec une infinie délicatesse ? » (Jérôme Garcin, « La Petite Bijou, c’est moi… », L’Obs, 26/9/2007)

Commentaires

  • J'ai lu Dora Bruder de Modiano que j'avais vraiment beaucoup aimé.... On dirait qu'il reprend un peu le même schéma d'une quête, de la recherche de traces dans le passé... Je note, je voudrais lire d'autres romans de cet auteur...

  • C'est aussi avec ce récit que je suis entrée dans l'œuvre de Modiano, et puis avec "Encre sympathique". Bonne journée, Maggie.

  • Je n'ai pas lu "la petite bijou", les extraits me rappellent d'autres titres, c'est vrai que Modiano creuse toujours les mêmes sillons. J'avais commencé avec "Rue des boutiques obscures". Il y a toujours une nostalgie qui n'appartient qu'à lui dans ses romans.

  • Et aussi une sorte d'indétermination, de flou, dans les liens entre les personnages, un élément d'incertitude. Je n'ai pas lu "Rue des boutiques obscures" ou alors ce serait ma toute première tentative de lecture il y a longtemps... abandonnée ?

  • Il y a un " ton Modiano"; je n'ai pas lu ce titre- là; Bon dimanche, ici ciel bleu mais frisquet!

  • Un ton, absolument. Notre dimanche a aussi commencé sous le soleil, mais la pluie est revenue dans l'après-midi.

  • "Dora Bruder", "Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" j'avais beaucoup aimé.
    "La petite bijou" me tente. Les blessures d'enfance même si elles semblent cicatriser, sont toujours là.
    Je ne sais quelle a été l'enfance de Modiano, ce "voile" sur tous ces livres est tellement présent...

  • Oh, merci pour ce titre que je ne connaissais pas, Claudie : "Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" me tente, je le note illico presto.

  • Bonjour Tania
    J'ai découvert Modiano grâce à un ami belge aujourd'hui décédé qui vouait une véritable passion à cet écrivain. Il en avait une connaissance parfaite et avait même rédigé son mémoire de fin d'études d'avocat en y glissant énormément de titres des livres de Modiano.
    Il m'avait conseillé de lire Le Pedigree et il avait raison. Depuis, je lis et relis Modiano, découvrant toujours des éléments au fil des relectures et je ne rate jamais une parution ou une interview du Prix Nobel.

  • Quel plaisir de te revoir ici ! Merci pour cet autre titre, j'en prends note, j'ai tant à découvrir encore.

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