Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'Enfer du bocal

Sur la couverture de L’Enfer du bocal, le dernier roman de Verena Hanf qui vient de paraître, un poisson rouge saute hors de l’eau. « L’enfer, c’est les autres » écrivait Sartre dans Huis clos. Dans ce récit dédié par la romancière à ses fils, le bocal est d’abord celui de la sphère familiale, mais pas seulement. Comme dans ses romans précédents, Verena Hanf se penche ici sur les difficultés des relations interpersonnelles.

verena hanf,l'enfer du bocal,roman,littérature française,écrivain belge,famille,travail,culture

« Ils se moquent de ma boîte à tartines, je le sais, je le sens, même s’ils ne disent rien devant moi. » Au boulot, Jacques, le narrateur, préfère les bonnes choses que lui prépare sa femme tous les matins (Clara se soucie de les nourrir sainement) aux aliments industriels que les autres déballent ou réchauffent dans une cuisine qui ne mérite pas ce nom.

Le bureau non plus – « Bureau, mon œil ! » Plutôt une cage « dans ce qu’ils appellent l’open space et que moi j’appelle l’aquarium. Du verre tout autour, des piranhas à l’intérieur et un manque cruel d’air. Les fenêtres sont hermétiques. » Seules notes encourageantes près de lui, les photos de sa femme, de sa fille, de ses petites-filles, « et même celle de Bruno encore enfant, souriant, cliché rare. »

Rien ne va plus au travail pour Jacques depuis qu’on l’a déclaré low performer neuf mois plus tôt et rétrogradé au profit d’un jeune collègue. Il l’avait soutenu dès son arrivée, comme un fils, et le voit désormais comme un Judas, un traître. Jacques a échappé au licenciement, encore heureux à son âge – pas au mépris des autres. Clara le soutient, mais il reste de plus en plus silencieux à la maison.

« Une nouvelle voix dans l’aquarium. Et quelle voix ! Basse, feutrée, avec un timbre vanillé. » Une femme rondelette vient le saluer à son bureau, Juliette Antoine, une nouvelle employée des ressources humaines, dans la cinquantaine. Il se méfie de ce département, mais elle semble vraiment gentille, s’intéresse à sa famille et le remet un peu de bonne humeur.

Bruno, son fils, prétendait que Jacques voyait le mal partout, lui reprochait une vie médiocre, son travail commercial, le genre de vie dont lui ne voulait pas ; il ferait des études de philologie et de philosophie. Jacques lui en voulait de ce dénigrement général et de son manque de reconnaissance. Il lui avait appris tant de choses, à son fils, le vélo, les maths, les échecs... Et son travail les nourrissait, tout de même, il leur payait des vacances.

Cet idéalisme de l’adolescent qui se transforme en juge impitoyable de ses parents, Clara et Jacques en ont beaucoup souffert. Clara y voyait l’influence d’un ami qu’elle jugeait « manipulateur », « un vrai petit escroc sous ses airs de bobo » –  ils voulaient le protéger. Depuis que leurs deux enfants ont quitté la maison, Clara retravaille comme infirmière à mi-temps, leurs horaires sont désaccordés, Jacques mange souvent seul le soir. De toute façon, ils ne parlent plus de Bruno, Clara s’y refuse : « Il sait où nous trouver, s’il le veut. Moi, je ne courrai plus après lui. Il y a des limites à tout. »

Clara « a des opinions presque sur tout » et cela plaisait à Jacques après « les années sombres » de sa jeunesse. Bruno avait été un enfant très éveillé, curieux, puis il avait commencé à tout mettre en doute et à provoquer de grosses disputes avec son père. Il avait fini par s’éloigner pour de bon en leur laissant quelques mots sur une carte dans la boîte aux lettres. Heureusement, leur fille Corinne fait leur joie, avec ses deux petites, ils se voient régulièrement.

Le poisson qui saute hors du bocal, c’est donc avant tout ce fils qui a fui sa famille sans plus donner de nouvelles et qui hante l’esprit de son père. C’est peut-être aussi Jacques quand il sort de « l’aquarium » avec son paquet de cigarettes, même s’il ne fume plus. Parfois Juliette le rejoint dehors. Elle est la seule avec qui il a encore envie de parler. Quand il l’interroge sur ses enfants, elle lui apprend que sa fille est morte six ans plus tôt. « D’un geste impulsif, je pose ma main sur la sienne. Elle est molle et chaude. »

Les soirs sans Clara, de garde, Jacques cuisine parfois, mais la fatigue, son ulcère l’en découragent souvent. Lire, sortir, regarder la télé, plus grand-chose ne l’intéresse. Il va se coucher. « Depuis le départ de Bruno, depuis sa carte postale, le joyeux va-et-vient s’est arrêté, la maison est silencieuse, même le chat ne miaule plus. »

Verena Hanf campe dans L’Enfer du bocal un personnage à la dérive et montre le désarroi de parents aimants abandonnés sans raison par un fils. On se demande si ce couple qui n’arrive plus à communiquer tiendra le coup, et où cela va les mener. De petites lumières d’espoir éclairent ce roman centré sur les liens familiaux et largement inscrit dans un contexte social. On y reconnaît bien notre époque et la fragilité des rapports humains.

Commentaires

  • Je l'ai lu, mais mon billet attend un peu, car les lectures pour l'Holocauste ont pris le devant. Ton billet est complet, je reconnais bien ce que j'ai vu et ressenti.
    J'ai fouiné sur ton blog et constaté que tu as lu tout de l'auteure! Pour ma part, c'est le troisième roman.

  • Habitant la même commune, nous avons fait connaissance et je suis ravie de suivre son œuvre. Je lirai tes impressions avec plaisir. (Contente que mon commentaire soit bien arrivé à propos de ta dernière lecture, où tu me devances ;-).

  • Je ne peux que souscrire à ta dernière phrase. Il y a de la cruauté et de l'incompréhension dans l'air...

  • Je n'ai rien dit du dénouement pour ne pas en dire trop, mais chez Verena Hanf, l'humain et le sensible reviennent toujours d'une manière ou d'une autre, pas forcément de la manière dont on s'y attend.

  • Il me semblait que tu avais déjà chroniqué cette autrice, je suis allée voir ses romans précédents et en effet, je me souviens des thèmes. J'espère arriver à la lire, tôt ou tard.

  • Ses romans racontent des situations quotidiennes où les relations sont mises à l'épreuve, de l'intérieur ou de l'extérieur, avec une observation qui me semble très juste des tensions contemporaines sur la vie des gens.
    Je serais curieuse de connaître tes impressions sur l'univers romanesque de Verena Hanf.

  • Oui, la pression sociale pèse sur beaucoup de gens, et met à mal leur vie familiale.

  • Tu as la chance de la connaître en vrai! J'espère qu'elle est aussi douce, sensible et empathique que le paraissent ses romans.

  • Beaucoup d'empathie, je confirme.

  • Voir s'éloigner un enfant de cette manière définitive est une souffrance d'autant plus grande qu'elle est injuste si l'on a tout fait pour lui, si on l'a placé au centre de son existence !

  • On n'en finit pas de s'interroger dans ce cas : trop d'attention ? trop peu d'écoute ? de liberté ? Cela remet tout en question, y compris pour les frères ou soeurs.

  • Ce roman semble être une bonne image de notre société actuelle avec ses pertes, ses trahisons professionnelles...
    J'espère que pour ce couple, le bocal s'ouvrira sans qu'ils se noient tous deux...Merci Tania !

  • Ah, j'invite à le lire, bien sûr, pour savoir ce qu'il adviendra d'eux tous.

Écrire un commentaire

Optionnel