Des âmes et des saisons, l’essai de Boris Cyrulnik publié l’an dernier, a pour sous-titre « Psycho-écologie ». « L’homme n’est pas séparable de son environnement dont son corps est un carrefour. Son âme, elle aussi, est à la croisée des contraintes. » S’appuyant sur des données scientifiques, ici souvent empruntées aux neurosciences, Cyrulnik examine le développement d’un être vivant dans une approche qui intègre « une cascade de causes hétérogènes qui convergent pour conjuguer l’âme et le corps : habitat climatique, ambiance affective, structure sociale, entourage verbal et récits culturels. »
Le neuropsychiatre aborde dans leur évolution historique la manière dont se distribuent les rôles des hommes et des femmes, d’une part, et la façon dont le cerveau se développe, d’autre part. Pour ce qui est des rôles masculin et féminin, ses raccourcis stéréotypés me laissent souvent perplexe. Par exemple quand il fait dire aux femmes à l’époque des « chasseurs musclés » : « OK, je serai ta femelle servante et tu seras mon mâle protecteur. » Il constate que la domination « qui a été une adaptation pour survivre » ne produit que du malheur aujourd’hui, dont nous ne sortirons qu’en prenant une nouvelle direction « vers l’unité de la Terre et du monde vivant ».
J’ai été plus intéressée par ses explications sur le cerveau humain « sculpté différemment selon les pressions des milieux précoces », Dans l’utérus puis dans le foyer, la construction du cerveau est influencée par les émotions ressenties dans un milieu sécurisant ou adverse. On a mesuré, par exemple, que la réception de la douleur est plus ou moins tolérée selon qu’on a acquis ou pas un facteur de protection dans les premières années de sa vie, étant donné que le cerveau est « circuité par le milieu ».
Un bon départ dans la vie renforce la résistance « aux inévitables agressions de l’existence », mais un mauvais départ ne signifie pas que ce soit perdu pour toujours – « le cerveau se transforme sans cesse selon les apprentissages et les expériences de la vie » (I. Mansuy). Après un traumatisme, certains se servent de la parole pour atténuer leur douleur quand d’autres « aggravent leurs souffrances en ruminant » (syndrome post-traumatique). Pour un psychologue, « ce qui est vrai n’est vrai que pour chacun d’entre nous ».
Cyrulnik évoque aussi la résilience dont peuvent faire preuve les plantes et les animaux, mais il s’attache surtout au développement humain en interaction avec les autres et avec le monde : « L’esprit des êtres humains organise le milieu qui sculpte le corps et l’âme de ceux qui y vivent. Depuis les chasseurs-cueilleurs, nous avons incroyablement modifié le milieu, qui nous a incroyablement modifiés. » Le cerveau ne cesse de changer sous les pressions naturelles et culturelles toujours en changement.
Après avoir montré à l’aide de nombreux exemples à quel point la « niche affective » joue un rôle positif ou négatif sur l’avenir d’un bébé – les mille premiers jours de la vie sont la période où le cerveau est le plus sensible –, l’auteur se penche sur la période critique de l’adolescence. Il n’y a pas pour autant de déterminisme social dans l’évolution d’un individu, ce sont des probabilités et non des certitudes, des cas contraires en témoignent.
A l’adolescence, le cerveau réduit ses circuits mais améliore ses performances. Pourquoi tant de souffrance chez un tiers des moins de dix-huit ans ? se demande-t-il. Cela l’amène à examiner les effets secondaires indésirables du progrès : surpopulation, dilution affective, perte de sens. Boris Cyrulnik décrit les problèmes d’une société où, de plus en plus souvent, on naît hors mariage, on se sépare, on postpose la maternité ou on la refuse, où on ne voit plus bien quel rôle est le sien, où on prend conscience que l’homme n’est pas au-dessus de la nature mais dans la nature...
Deux citations de Cyrulnik que j’ai trouvées encourageantes pour conclure cet aperçu d’un livre stimulant, qui souligne l’importance des débuts de la vie et de l’éducation. D’abord, ce qui peut paraître une évidence, mais qui n’en est pas une : « Ceux qui meurent sont ceux qui ont eu la chance de vivre. » Et puis celle-ci : « Les catastrophes écologiques et sociales sont souvent l’occasion de nouvelles directions. »
Commentaires
tu as raison d'être sceptique, ces concepts sur l'homme préhistorique sont dépassés, les recherches archéologiques l'ont bien démontré.
Ce qu'il écrit sur l'évolution des rapports entre les hommes et les femmes me paraît souvent manquer de nuances, y compris pour ce qui se passe à notre époque.
J'aime lire Cyrulnik mais pas tout. J'admire cependant sa clarté et sa capacité à faire comprendre un certain nombre de mécanismes complexes.
Voilà. Des qualités présentes dans cet ouvrage pour faire comprendre la plasticité cérébrale.
j'aime et j'admire Cyrulnik mais il faut convenir que peut être aujourd'hui il serait bon de poser la plume
Au moins un livre par an, comme Amélie Nothomb !
Il est réjouissant de lire l'adaptation du cerveau au milieu et aux circonstances.
Il est réjouissant et libérateur de lire aussi que, et loin de là, tout ce que nous sommes n'est pas dû à l'éducation qui a souvent bon dos pour expliquer, facilement, nos comportements.
Dans ton billet je ne vois pas vraiment ce que tu annonces dans le tire sur l'écologie, mais on ne peut pas tout mettre dans un billet, c'est sûr.
Effectivement, cette adaptabilité et les possibilités de résilience sont réjouissantes. A contrario, pour l'enfant qui n'a pas reçu assez d'attention et de stimulation avant d'entrer à l'école maternelle, les circuits cérébraux moins développés peuvent constituer un déficit qui pèsera tout au long de l'apprentissage, malgré les remédiations proposées.
Cyrulnik donne des tas d'exemples de la manière dont les êtres humains se sont adaptés aux conditions climatiques, dont l'agriculture et l'alimentation ont évolué, la taille humaine aussi, l'espérance de vie... Impossible de tout développer.
Article très intéressant; j'aime bien cet auteur, mais il publie un peu trop. Ceci dit, c'est un passionné, ceci explique cela, et j'aime son humour.
Lorsqu'il écrit « Ceux qui meurent sont ceux qui ont eu la chance de vivre., cela me rappelle la vérité vraie d'un auteur belge, celui du Chat: Philippe Geluck
« Vieillir c’est embêtant, mais c’est la seule façon de vivre longtemps » !
Merci pour cette note d'humour bienvenue, Anne & bonne après-midi.
Et bonne fête à toutes les Anne aujourd'hui !
Un livre que j'ai réservé à la Médiathèque depuis un certain temps. Tout ceci est passionnant et ce que j'aime dans la réflexion de Cyrulnik c'est qu'il montre la complexité des interactions non seulement dans une vie mais dans l'humanité.
Il est vrai que parfois on a l'impression qu'il estime "qu'avant", les choses étaient mieux.
Merci pour ce bel article. Bonne journée !
Oui, son point de vue est global, avec de nombreux exemples précis en contrepoint. Face à notre époque de "victoires technologiques" qui génèrent de la confusion, il dit la nécessité de reprendre un cap.
Bonne journée, Marie.
Son esprit est limpide, mais il ne peut avoir 20 sur 20 à chaque coup, son cerveau à lui aussi a une histoire... Ce qui me plait, c'est que l'impermanence et la perpétuelle évolution concernent aussi ce domaine, il y a de l'espoir et quelquefois aussi du désespoir. Merci Tania, doux après midi. brigitte
Oui, son message reste toujours optimiste dans l'ensemble et c'est encourageant.
C'est un auteur que j'aime beaucoup.
Les deux réflexions de la fin de ton article me plaisent !
Pour la première, c'est un peu ce que je répondais à des patientes âgées qui me disaient que "la vieillesse est un naufrage" plagiant alors de Gaulle.
La deuxième donne un espoir fou pour l'avenir.....
Moi aussi, Claudie, même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui. Des citations d'espérance, oui.