Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles montre dans « Beyond Klimt », soit après Klimt, « une Europe centrale en pleine mutation à travers les yeux de Gustav Klimt, Josef Capek, Egon Schiele, Oskar Kokoschka, László Moholy-Nagy et 75 autres artistes » (Bozar).
Gustav Klimt, Johanna Staude, 1918 (inachevé) © Belvédère, Vienne
Au portrait de Johanna Staude, affiche de l’exposition – ce regard fascinant est celui d’une enseignante, selon un commentaire sur le site de Bozar –, succède Dame en blanc : un grand sourire, une composition audacieuse en diagonale qui met en valeur les tons clairs de la robe ou du châle sur son bras plié. Ces deux seules oeuvres exposées de Klimt (mort le 6 février 1918 à Vienne) ouvrent un parcours sur les diverses voies empruntées par les peintres dans l’ex-empire austro-hongrois, de la Grande Guerre à la suivante.
Koloman Moser, Autoportrait, vers 1916, © Belvédère, Vienne
L’autoportrait de Koloman Moser (vers 1916) est analysé dans le Guide du visiteur disponible à l’entrée (fr, nl, en). Deux ans avant sa mort, se sachant atteint d’un cancer inguérissable, il se représente de face, la chemise ouverte, le regard intense, c’est peut-être un rappel du Christ souffrant (on distingue comme une auréole autour de la tête), en tout cas une interrogation : « qui suis-je, face à la mort ? »
Maximilian Oppenheimer, Quatuor Klinger, 1917 © Belvédère Vienne
Sur le mur d’en face, j’ai été subjuguée par une toile ovale de Maximilian Oppenheimer, Quatuor Klinger, merveilleuse illustration du mouvement des quatre musiciens : on suit leurs mains, les instruments à cordes, et on est emporté. Cette peinture voisine avec Hommes accroupis de Schiele (un double autoportrait ? la toile a été achevée par une autre main) ; en face, Place de l’Observatoire (Parc Monceau) signée József Rippl-Rónai, le « Nabi hongrois », datée de 1914, illustre l’atmosphère animée de Paris avec ses passants et ses véhicules colorés.
Ivan Meštrović, Vestale, 1915, Meštrović Atelier, Zagreb
Première sculpture rencontrée, la très belle Vestale d’Ivan Meštrović, « le plus célèbre sculpteur croate et yougoslave du XXe siècle » (Wikipedia), décrite ainsi à l’occasion d’une exposition au musée Rodin en 2013 : « Une femme, prêtresse virginale, à haute chevelure et visage allongé est assise jambes écartées dans une robe moulante, les mains et les pieds dans le même axe, devant elle. Elle semble en méditation comme un bouddha et elle en impose. Il y a une grande liberté et une grande modernité dans cette sculpture. » (Thierry Hay, CultureBox)
Helene Funke, Nature morte au melon, vers 1918, Kunsthandel Hieke, Vienne
Je m’arrête devant une étude à la gouache de František Kupka, pour « Autour d’un Point » (on retrouvera ce peintre plus loin). Mucha est aussi présent dans cette salle, avec des Etudes pour l’Epopée slave, scènes d’histoire et de guerre très loin de ses femmes fleurs Art nouveau. Plus loin, Nature morte au melon, entre deux toiles de Kokoschka, est une œuvre de Helene Funke (1918) ; on peut découvrir en ligne un site consacré à cette artiste qui a eu du mal à s’imposer parmi les peintres de son temps.
Oskar Kokoschka, Le pouvoir de la musique (détail), 1918-19
© Collection Vanabbemuseum, Eindhoven
Voici, de Kokoschka, un grand portrait de sa mère et Le pouvoir de la musique, « la musique transmutée en couleurs » (Guide du visiteur) : un enfant en blouse rouge vif s’écarte de la femme à la trompette, derrière lui un chien en fait autant, sous de gros nuages. Kokoschka avait d’abord intitulé sa toile « La Force et la Faiblesse », comme un combat entre le féminin et le masculin, peut-être en rapport avec « sa liaison turbulente avec Alma Mahler, entre 1912 et 1915 » (Idem).
Anton Hanak, Le dernier homme (Ecce Homo), 1917-1924, bronze © Belvédère, Vienne
(haut de plus de deux mètres, ce que ma photo ne montre pas)
La guerre est le thème des salles suivantes, avec un petit bronze émouvant du sculpteur tchèque Jan Štursa, Homme blessé, des aquarelles d’Alfred Kubin, sous le dernier poème de Georg Trakl, « Grodek », mort en 1914. Il y a là des peintures de soldats (László Mednyánszky) et deux grandes toiles terribles d’Albin Egger-Lienz, Finale (1918) et Femmes martiales (1918-1919) ; tout commentaire est superflu. Un grand bronze, Le dernier homme (Ecce homo) sculpté par Anton Hanak que la première guerre mondiale a aussi profondément marqué, en est une magnifique interprétation expressionniste.
© Béla Uitz, Analyse d'icône sur un fond violet (détail), 1922, Musée des Beaux-Arts, Budapest
Dans les années 1920, les recherches picturales se renouvellent, sans forcément se couper du passé, comme cette Analyse d’icône sur un fond violet de Béla Uitz qui s’est initié au constructivisme à Moscou. Il y deviendra citoyen soviétique et propagandiste. A proximité des marches vers la dernière allée de l’exposition, Bozar propose « Klimt’s Magic Garden », « un paradis virtuel » numérique réalisé par Frederick Baker d’après le triptyque en mosaïque du Palais Stoclet. Malheureusement, le système était en panne.
© Frantisek Kupka, L'Acier boit, 1927, Collection privée, Prague
Impossible de tout mentionner, vous vous en doutez. Le Bauhaus est représenté entre autres par Molohy-Nagy et Herbert Bayer (Composition dans l’espace). On aborde l’abstraction avec trois gouaches minimalistes de Kupka (1934-35-36) et L’Acier boit, à rapprocher de Autour d’un point vu précédemment. Sur un socle, une sculpture abstraite en bronze noir, Danse cosaque, est d’Etienne Beothy, un Hongrois installé à Paris.
© Toyen, Voix de la forêt, 1934, Moravian Gallery, Brno
Plusieurs artistes que je ne connaissais pas sont à découvrir dans cette dernière partie de l’exposition. Toyen (nom d’artiste de Marie Čermínová), avec Voix de la forêt, une toile surréaliste où un plumage d’oiseau de nuit intrigue ; Mary Duras, avec Femme songeuse, une terre cuite assez classique. Et encore Marie-Louise von Motesicky qui signe l’étonnant Autoportrait au peigne (dont les proportions sont respectées dans la photo ci-dessous) : « Voir la réalité : n’est-ce pas le souhait absolu ? »
© Marie-Louise von Motesiczky, Autoportrait au peigne, 1926 © Belvédère, Vienne
L’exposition a le mérite de mêler aux noms très connus des artistes qui le sont moins, mais souvent pas moins intéressants. Si vous visitez Beyond Klimt (jusqu’au 20 janvier prochain, après le Belvédère à Vienne), vous vous arrêterez certainement devant Tête fracassée de poupée, une petite toile inquiétante de Rudolf Wacker.
Friedl Dicker-Brandeisová, Prague, Le pont de fer, Vitava, s.d., Belvédère, Vienne
Juste avant la sortie, voici deux vues de Prague très différentes, celle toute paisible de Friedl Dicker-Brandeis (ci-dessus), au cadrage original, et Le port de Prague par Kokoschka, une peinture toute en mouvement.
Commentaires
Une expo que j'aimerais venir voir... merci de si bien la présenter...
Magnifiques découvertes, je vais poursuivre et ouvrir les liens, il y a en tant que je ne connais même pas de nom, quelle honte:-))
J'aime beaucoup La Vestale!
Merci pour ce billet si détaillé, bonne journée.
@ Edmée De Xhavée : J'espère que tu pourras la voir, Edmée.
@ Colo : Beaucoup de ces artistes austro-hongrois m'étaient inconnus aussi et j'ai passé du temps à chercher sur la Toile à en savoir plus à leur sujet, d'où les liens.
Heureuse que tu aimes la Vestale, ce petit bronze rayonnait sur son grand socle.
merci tania pour cette belle visite - j'ai mis cette expo au programme, mais je ne suis pas certaine de pouvoir y aller
Cela fait quelques expositions à voir en effet...
Un ami blogueur (Jean Nuages) avait fait une belle rétrospective photographique de Frantisek Kupka, qui a été exposé (au Grand Palais je crois? Ou au musée d'art moderne?) Lui aussi a dû changer de plate-forme de blog, passer de skynet à blogspot ..................
Donc, à voir. Je l'avais notée quelque part pour mémoire..............
quel travail, ce billet, Tania! j'admire!
La thematique de cette exposition est tres interessante, des decouvertes, merci pour ce retour, le parcours est foisonnant ! Ce Quator Klinger est fascinant. Il y a une exposition Egon Schiele à Paris cet automne, j'espère ne pas la manquer.
Bizarre ce titre? Pour Schiele il y a une très belle expo à Paris. Tu me donnes envie d'aller à Bruxelles, Elle reste jusqu'à quand?
@ Niki : Oh, des ennuis ? J'espère que tu la verras.
@ Pivoine : Oui, une grande rétrospective Kupka a été organisée au Grand Palais cette année. Il y a longtemps que je n'ai plus regardé les photos sur "Nuages", je retournerai y faire un tour.
@ Adrienne : J'aime tellement revisiter une exposition de cette manière ;-).
@ Marilyne : Schiele et Basquiat à la Fondation Vuitton, en effet. Merci pour ton enthousiasme.
@ Miriam : Un titre pour attirer et pour dater, en anglais comme il se doit pour attirer les touristes et éviter le bilinguisme de "Après/Na Klimt" ! A voir jusqu'au 20 janvier.
Nuages aussi a dû changer de blogue... Pour le moment, il nous donne à voir des photos de Saint-Barthélémy à Liège. Sa manière de photographier m'a beaucoup influencée. Et maintenant, je suis son blog depuis 2006 ! Un des plus anciens !
J'essaierai de me mettre en condition pour voir cette expo dans les meilleures conditions possibles........................
J'aime sa barque dans l'herbe (photo du jour). Bon courage, tu as encore du temps devant toi pour aller voir cette expo un "bon" jour.
Que de merveilles ! Cette exposition est vraiment riche et comme à chaque fois tu en parles très bien. Des peintres que je découvre pour certains.
Bonne journée.
Je connais un certain nombre de peintres, mais j'en ignore encore bien plus .. Je n'aime pas tellement le passage à l'abstraction, mais je n'hésite pas à aller en voir, je peux être surprise quelquefois, et puis c'est une continuité ..
@ Bonheur du Jour : Merci, Marie. Je raconte simplement ma visite, ce qui m'a frappée (une sélection, forcément). Beaucoup à découvrir dans cette exposition, qui donne envie d'en savoir plus sur certains artistes. Bonne journée malgré la pluie.
@ Aifelle : Nous ne connaissons pas assez ces artistes de l'ex-empire austro-hongrois. J'ai peu montré les abstraits, mes photos n'étaient pas très réussies (reflets).
Tu nous offres ici une très belle visite Tania, Merci pour toute cette recherche !
Beaucoup de peintres que je ne connaissais pas, j'ai ouvert tous les liens. Le "Quatuor Klinger" d’Oppenheimer est étonnant, on tourbillonne vraiment...est-ce le format ovale, le méli mélo sûrement très étudié ? Coup de cœur aussi pour "le dernier Homme" d'Anton Hanak . Les ombres projetées de ta photo, encore plus courbées, lui donnent encore plus de force....
Encore Merci et Bises.
Comme toi, je trouve que les musiciens de ce Quatuor ne font qu'un, grâce à la composition originale. J'ai aussi aimé les ombres de ce Dernier homme, j'aurais voulu mieux rendre sa taille impressionnante. Merci à toi, bises.
Le Quatuor Klinger et la Vestale ( quelle sérénité dans cette œuvre ! )ont ma préférence, mais tous méritent une observation minutieuse. C'est formidable d'avoir accès à des expositions de qualité, merci Tania de les partager avec nous, je t'embrasse. brigitte
Heureuse que tu aies trouvé des oeuvres qui te plaisent. Il m'a fallu faire un choix et tenir compte aussi de la qualité des photos, prises sans flash. Un baiser pour toi, Brigitte.
Merci pour les très belles reproductions d'oeuvres et tes patientes recherches pour écrire cette dense présentation. On a l'impression d'être devant la commissaire de l'expo ! Oui, Mucha, Schiele sont à Paris. Dans mon atelier de dessin, on ne parle que de Schiele ! Un peu dur pour moi ! Grâce à ton billet, j'ai des noms et des sites pour chercher à savoir plus sur les peintres que je ne connais pas. Merci encore !
Les meilleures illustrations sont disponibles sur le site du Belvédère à Vienne. Le Guide du Visiteur est un bon aide-mémoire et je prends beaucoup de photos au lieu de notes, quand c'est autorisé, pour pouvoir retracer ma visite.
Tant mieux si les liens te sont utiles. Bon travail à l'atelier, Binh An !
Merci pour cette belle visite, Tania, qui nous permet de découvrir les oeuvres d'artistes qui rendent si bien les inquiétudes de cette Europe en plein désarroi, pour le moins. J'ai l'impression que nous sommes en ce moment dans un moment identique. Plutôt effrayant !
Nous connaissons une longue période de paix en Europe occidentale, mais les motifs d'inquiétude ne manquent pas, c'est vrai. Quant à l'art contemporain, il semble suivre tant de directions différentes aussi ! Bonne soirée, Annie.
Quelle richesse dans cette exposition et dans les œuvres que tu choisis de nous présenter de manière agréable et très informée. On sent bien toutes les préoccupations de l'époque,
(pas si éloignée de la nôtre?)
J'aime bien le quatuor et l'Ecce Homo et ses ombres, ainsi que la peinture de Klimt ayant été choisie pour l'affiche.
Merci pour toutes ces précisions très précieuses qui replacent ces œuvres dans un contexte.
Merci à toi, Maïté/Aliénor, j'espère que tu as cliqué sur le commentaire sur cette toile de Klimt, il est très intéressant.
J'ai aimé cette exposition très variée et découvrir des oeuvres, des artistes que je ne connaissais pas - riche patrimoine européen !