Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Retour à New York

« Je n’étais pas retourné à New York depuis onze ans. » Ainsi s’ouvre Exit le fantôme de Philip Roth (2007, traduit de l’anglais, Etats-Unis, par Marie-Claire Pasquier). Nathan Zuckerman, son double fictif, n’a quitté son coin perdu des Berkshires, à deux cents kilomètres au nord, que pour un séjour à Boston (ablation de la prostate). A présent, un urologue l’a persuadé de tenter un traitement contre l’incontinence par injection de collagène.

roth,pilip,exit le fantôme,roman,littérature anglaise,etats-unis,vieillesse,désir,culture

Seul dans la petite maison achetée à la campagne, il vivait seul avec ses livres et sa machine à écrire, sans télévision ni ordinateur. Des courses en ville une fois par semaine, un dîner hebdomadaire chez un voisin bien décidé à casser sa vie de solitaire radical – au point de lui amener deux chatons roux adorables, qu’il lui a rendus après avoir joué avec eux quelques jours, pour ne pas se retrouver « métamorphosé en un autre homme par deux petits chats ».

A l’hôpital, il reconnaît la voix d’une petite dame âgée montée dans l’ascenseur et la suit jusque dans un snack. Amy Bellette, dont il se souvient même s’il ne l’a rencontrée qu’une seule fois, porte une drôle de robe fabriquée dans une chemise d’hôpital ; quand elle enlève son chapeau, Nathan voit le côté rasé de son crâne et une cicatrice sinueuse. Il n’ose pas l’aborder.

L’optimisme du médecin a suscité un regain d’espoir : « à nouveau la vie semblait sans limites ». Zuckerman se voit déjà fréquenter la piscine publique sans crainte de laisser derrière lui le sillon d’une fuite urinaire. D’avoir revu Amy lui donne envie de relire E. I. Lonoff dont il rachète les six recueils de nouvelles dans une librairie d’occasion, même s’ils sont dans sa bibliothèque à la maison. « Il était aussi bon écrivain que dans mon souvenir. Meilleur, même. »

Lonoff, cet « écrivain américain du XXe siècle qui ne ressemblait à aucun autre », était malheureusement tombé dans l’oubli, faute d’avoir pu achever le roman qu’il avait commencé. Comment s’étaient passées les cinq dernières années de sa vie, « avec la fin brutale de son mariage avec Hope et la nouvelle vie engagée aux côtés d’Amy Bellette » ? Celle-ci, l’étudiante de Lonoff et sa dernière compagne, pourrait sans doute lui répondre.

A la veille de rentrer chez lui, Zuckerman lit dans la New York Review of Books une petite annonce qui semble faite pour lui : un jeune couple d’écrivains échange pour un an son appartement trois pièces contre « une retraite rurale tranquille ». Sans attendre, conscient de faire une sottise, lui qui s’est coupé volontairement « de toutes relations humaines suivies », il les appelle. Leur appartement n’est qu’à quelques rues du restaurant.

Billy Davidoff et Jamie Logan lui réservent un accueil chaleureux ; Nathan est séduit par la gentillesse de Billy, qui adore visiblement sa femme, et encore plus par la personnalité de Jamie, « la plus brillante des deux », qui a déjà vu une de ses nouvelles publiées. C’est la fille d’un industriel du pétrole à Houston, elle a dû batailler pour faire accepter son mariage avec un fils de commerçant juif. L’idée de quitter New York vient d’elle, traumatisée par le 11 septembre : elle ne veut pas « être pulvérisée au nom d’Allah ». Ils tombent d’accord.

De l’hôtel, Zuckerman prévient Rob Massey, son homme à tout faire à la campagne, pour lui faire emballer les affaires dont il aura besoin à New York. Un vrai coup de folie, se dit-il, d’autant plus que l’intervention s’avère décevante. Puis il reçoit un appel d’un homme qui se présente comme un ami de Jamie Logan et de Billy Davidoff, un journaliste free-lance, Richard Kliman. Celui-ci projette d’écrire une biographie de E. I. Lonoff, Jamie lui a donné son numéro de téléphone, il sait que Zuckerman l’a rencontré et l’admire.

« La dernière chose au monde que souhaitait Lonoff, c’est d’avoir un biographe. » Malgré l’opposition et les arguments de Zuckerman, le jeune journaliste parvient à éveiller sa curiosité pour le « grand secret » de Lonoff ; il voudrait aussi qu’il intercède en sa faveur auprès d’Amy Bellette qui ne lui répond plus. Son interlocuteur est tenace et sûr de lui, comme Nathan l’était à son âge. Celui-ci finit par raccrocher. Peu après, Billy l’appelle, Jamie et lui regrettent d’avoir donné son numéro à l’ancien « petit ami » de Jamie à Harvard, qui les a informés du tour de leur conversation.

« En m’engageant précipitamment dans un nouvel avenir, j’étais sans le vouloir retombé dans le passé – trajectoire inversée plus fréquente qu’on ne croit, mais qui n’en est pas moins troublante. » Le voilà invité par le couple d’écrivains à suivre chez eux la soirée des élections : ils sont persuadés que Kerry va l’emporter contre Bush. Malgré son âge, son handicap sexuel, la perspective de revoir Jamie lui fait accepter l’invitation – « Comme si la présence de cette jeune femme pouvait faire naître un espoir. »

Une soixantaine de pages et tous les thèmes d’Exit le fantôme sont introduits : la vie sociale et la solitude, l’ambition littéraire, le désir, la dégradation physique, l’évolution de l’Amérique. En onze ans, le New York qu’il a quitté à la suite de menaces de mort sérieuses a changé, les gens téléphonent tout haut dans la rue, les femmes y portent des tenues très légères.

Nathan est sous le charme de Jamie Logan : « Cette femme était en moi avant même d’être apparue ». Il écrit des dialogues imaginaires entre elle et lui. Kliman ne désarmant pas, Zuckerman décide de le contrer à tout prix et revoit Amy Bellette. Celle-ci se rappelle des paroles de Lonoff peu avant sa mort – une citation ? Elles pourraient être de lui : « La fin est si immense qu’elle contient sa propre poésie. Il n’y a pas à faire de rhétorique. Juste dire les choses simplement. »

Commentaires

  • Ce roman semble très dense, je n'ai jamais lu les livres de cet auteur, une lacune à combler... Une phrase m'interpelle particulièrement "En m’engageant précipitamment dans un nouvel avenir, j’étais sans le vouloir retombé dans le passé ", c'est si vrai, si bien vu, cela nous arrive à tous très souvent, trop souvent même ! Bises et douce journée Tania, à bientôt. brigitte

  • Philip Roth est un grand écrivain contemporain hors norme et il y a beaucoup de force et de clairvoyance dans ce qu'il écrit. A bientôt, bises.

  • Figure-toi que je l'avais vu/entendu parler de tous ces sujets, sans doute de ce livre, il y a tout un temps à la Grande Librairie: Busnel était allé l’interviewer chez lui.
    Un roman qui m'attend, merci de me le rappeler!

  • J'ai deux romans chez moi, pas encore lus, je ne sais ce qui me retient .. ("la tâche" et "Portnoy et son complexe".

  • Tout ce que vous écrivez de ce livre donne envie de le lire et la dernière citation est bien belle : "Juste dire les choses simplement". Voilà un beau et difficile programme pour qui a envie d'écrire. On pourrait ajouter aussi : "et vivre simplement" , profiter de chaque instant de vie en état capable d'en faire pour soi et les autres, un beau moment.

  • @ Aifelle : Pas lu "Portnoy" encore, "La Tache" est un roman très fort sur les maux de la société américaine.

    @ Annie : Nous voilà sur la même longueur d'onde, Annie. (Il me semblait que nous avions commencé à nous tutoyer, si vous préférez, vouvoyons-nous, comme dirait Delerm ;-)

  • Je me souviens avoir lu un ou deux livres de Philip Roth, il y a des années de cela. Je n'avais pas accroché du tout. Il faudrait peut-être que je m'y penche à nouveau.
    Bon week end !

  • ce n'est pas mon roman préféré de Roth je préfère la trilogie mais c'est comme les films de Woody Allen même quand on aime moins on aime bien quand même

  • @ Adrienne : Le cycle Zuckerman commence par "L'écrivain des ombres" que je n'ai pas encore lu. De Philip Roth, j'ai lu "La tache" en premier, c'est le troisième roman du cycle "Pastorale américaine"... Tu vois que je ne pourrais te conseiller par lequel commencer ;-)

    @ Bonheur du jour : Comme toi, quand je n'accroche pas à un titre, il est rare que je revienne à un auteur. Difficile de dire pourquoi on se sent en phase avec l'un et pas l'autre.

    @ Dominique : Exactement, merci pour cette comparaison qui me convient tout à fait.

    @ Claudialucia : Moi aussi. Et maintenant, je vais tâcher de le lire de manière moins dispersée.

  • J'ai lu un roman de roth qui m'avait beaucoup plu. Je note celui-là sur l'amérique contemporaine !

  • Bonjour Tania, je n'ai pas lu Exit le fantôme mais j'aurais donc le plaisir de retrouver Nathan Zuckerman. Et Philip Roth va manquer dans le paysage littéraire mondial. Bonne après-midi.

  • Quant à moi, je vais reprendre le cycle Zuckerman par le début. Bonne après-midi, Dasola.

  • Le voilà parti et je n'ai jamais abordé Roth en lecture.
    Un éditorial de Marianne (R. Dély) le dit anti-Trump, car il a assez pointé les failles de la société américaine pour mesurer l'inanité des solutions à la Trump.
    C'est peut-être le moment pour moi d'aller vers Zuckerman, non par l'exit mais d'abord le "Ghost writer".

  • Ses livres restent et pour longtemps. Ce premier Zuckerman est aussi mon choix pour retrouver Philip Roth, dont j'ai encore beaucoup à lire.

Écrire un commentaire

Optionnel