C’est à Jean-Baptiste Baronian que Plon a confié la confection du Dictionnaire amoureux de la Belgique – je m’en réjouis. Non que j’aie beaucoup lu ses romans, mais bien quelques-uns de ses essais sur la littérature fantastique et tout un temps, ses chroniques de bibliophile dans le Magazine littéraire. Une bonne plume, comme a dit la libraire avant de m’indiquer le livre sur une table.
« Ma Belgique. Une Belgique sentimentale et buissonnière. Les multiples états d’un pays souverainement sans pareil », écrit Baronian en avant-propos. Le Dictionnaire amoureux de la Belgique sera donc mon intermède préféré entre deux lectures en ce début d’année. A peine arrivée à la lettre C – pas encore lu « C’est arrivé près de chez vous » –, j’ai déjà envie de vous en parler, aussi je me lance : ce sera le premier épisode d’une chronique.
« Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique » est la première entrée, devant « Adamo, Salvatore ». L’Arllfb se distingue de l’Académie française dont elle n’est « ni une succursale, ni un succédané, ni un erzats », précise l’auteur, qui en est membre depuis 2002. 30 membres belges (20 pour la section littéraire, 10 pour la section philologique) et 10 étrangers – tous élus par leurs pairs. Derniers reçus : Amélie Nothomb et Xavier Hanotte. (J’ajoute que notre Académie compte actuellement dix femmes.)
Première découverte délicieuse : « Agathopèdes ». J’ignorais tout de cette Société spécialisée dans le canular ou la mystification dont font partie aujourd’hui Philippe Geluck, Jean-Pierre Verheggen, entre autres, et bien sûr Noël Godin, « l’entarteur » célèbre et décrié. Fondée en 1846, peu après l’indépendance du pays, par l’archiviste et académicien A. G. B. Schayes, elle a pour devise « tout pour un canard » et son mot de ralliement est « amis comme cochons ». Les Agathopèdes ont tous un nom d’animal issu du Roman de Renart et leur chef s’appelle « le Pourceau ». Un article irrésistible.
Comme le veut la collection, tous les domaines se succèdent dans ce dictionnaire, de l’art (« Agneau mystique (L’) ») à l’histoire (« Albert Ier », « Baudouin »), du music-hall (« Ancienne Belgique ») au football (« Anderlecht »), sans oublier les lettres (« Anthologie de la subversion carabinée ») et les grandes villes belges. Cinq pages pour Anvers (ville natale de Baronian). Trois pour « Ardennes » – au pluriel parce que Baronian a toujours « entendu dire qu’il y avait deux Ardennes belges : l’Ardenne des Ardennais et l’Ardenne des touristes », à égalité de pages avec « Bastogne ». « Bruxelles » en quatre pages, c’est peu (Baronian y vit depuis l’âge de deux ans), et autant pour « Bruxellisation » !
A la direction d’orchestre, Philippe Herreweghe précède Pierre Bartholomée grâce à l’entrée « Baroqueux » où l’auteur rappelle qu’une Belge, Suzanne Clerx-Lejeune (1910-1985), avec Le Baroque et la musique (1948), fait partie des premiers musicologues à avoir caractérisé ce « champ musical européen ». Philippe Boesmans mériterait qu’on lui érige une statue ou au moins un buste à Tongres, sa ville natale, « pour la bonne et simple raison qu’il est le premier compositeur belge moderne, dont les opéras sont entrés de plain-pied dans le répertoire international. »
Jean-Baptiste Baronian a écrit des biographies de Baudelaire, de Verlaine et de Rimbaud, il consacre un long article à Baudelaire et à ses rapports désastreux avec la Belgique. Bien sûr, il sera question aussi des belgicismes et de la bière, du billard et de « Bob et Bobette » (« Suske et Wiske en flamand »), le sympathique duo de Willy Vandersteen. Utilisez-vous encore Le Bon Usage de Maurice Grevisse ? Baronian conclut joliment cet article : « On devrait apprendre dès l’enfance que la grammaire est une science du plaisir. »
Pour « Borchgrave (Isabelle de) », il reprend la formule de Givenchy : une « magicienne du papier ». Lui succède « Brabançonne (La) » où Baronian ne raconte pas l’incroyable bourde d’un homme politique flamand qui a entonné la Marseillaise quand on lui a demandé de la chanter, mais nous apprend que « la première mouture de l’hymne national belge a été écrite par un Français ». Louis-Alexandre Déchet ou Dechet, chevalier né à Lyon en 1801 et acteur, se trouvait à Bruxelles en 1830 et s’était « tout de suite enflammé pour la révolution belge ».
Jacques Brel, Marcel Broodthaers, Pieter Bruegel, Bruges et Bruges-la-Morte, le roman où Georges Rodenbach a « fait d’une ville un véritable personnage romanesque » – on se doute que Baronian ne manquait pas de riches entrées pour son Dictionnaire amoureux de la Belgique et qu’il a dû en sacrifier un grand nombre.
Mais je reviens pour terminer sur « Bruxelles », qui m’a laissée sur ma faim, même si sans doute d’autres sujets liés seront abordés plus loin dans l’alphabet. Baronian remarque d’emblée qu’aucun écrivain ne s’impose comme « référence littéraire bruxelloise absolue » et que personnellement, c’est Odilon-Jean Périer, poète méconnu, qu’il considère comme « le plus grand chantre de Bruxelles ». Sinon, il parle de son « anticlimax » comme principale caractéristique de la capitale, où « rien n’est pareil. Tout s’y côtoie et tout s’annule – le plus strict et le plus déglingué, le plus chic et le plus sordide, le plus vétuste et le plus à la page. » N’a-t-il pas raison quand il écrit que « Bruxelles, c’est le fantôme d’une ville qui s’appelle Bruxelles et qui a traversé les âges dans jamais prendre la peine de se faire une beauté » ou encore quand il parle d’un « Meccano pharaonique » ?
« Jean-Baptiste Baronian occupe une situation particulière dans la Belgique littéraire. En effet, c’est un écrivain de profession, qui entend vivre de sa plume. D’où la diversité de ses activités littéraires : essayiste, romancier, critique, préfacier, anthologiste, – et l’éclectisme de ses goûts : il passe dans une même année du roman « littéraire » au polar signé Alexandre Lous. » (Jean Muno & Alain Bertrand, 1988) Edmond Morrel lui a tendu son micro en déclarant qu’il a écrit là selon lui une « sorte d’autobiographie ». Le Dictionnaire amoureux de la Belgique est en effet très personnel – Baronian le reconnaît : « c’est mon Brel, c’est ma Justine, et c’est mon Rubens » – et très éloigné des lieux communs, comme le remarque Frédéric Saenen qui en fait un « coup de cœur » pour Le Carnet et les Instants.
(A suivre)
Commentaires
De quoi occuper encore un bon moment tes "entredeux" lectures. Je n'avais pas vu qu'il était paru, c'est une vraie mine sur de nombreux thèmes cette collection.
Des entremets de qualité, comme souvent dans cette collection, c'est vrai.
Au risque d’être traité de chauvin, je « bois du petit lait » à la lecture du billet de Tania. … La fierté me gonfle la poitrine et me serre la gorge d’émotion quand elle reprend les « innombrables talents », traités par l'auteur, qui foisonnent dans un pays « surréaliste » qui de plus est un prince de l’humour et un ponte du cinéma. …
J'adore cette collection (j'n possède deux) et là je sens que j'en apprendrais plein!!! Merci pour le paragraphe 'musique'
je frémis d'impatience de lire ce livre ou à défaut - et en attendant - la suite de tes superbes chroniques :-)
je l'ai déjà pris en main plusieurs fois en librairie, et à chaque fois je le replace, car je me dis qu'à la longue cela risque de m'ennuyer - mais à la lecture de ton article, j'ai l'impression que je rate quelque chose
@ Doulidelle : Ce Dictionnaire amoureux est une formidable balade dans notre pays, une mine à explorer pour ceux qui le connaissent comme pour ceux qui ne le connaissent pas.
@ Keisha : Et je suis loin d'avoir tout cité dans ce début de l'abécédaire. Baronian est un fin connaisseur de la musique, il en parle très bien.
@ Adrienne : Vraiment le livre idéal où revenir de temps à autre.
@ Niki : Peut-être en le lisant de manière suivie, il y aurait un risque non d'ennui mais de saturation, tant ce dictionnaire est riche. Tu pourras t'en rendre compte au fil des chroniques.
Ah ! Ce livre doit être savoureux. Merci, Tania.
Je le confirme :-)
Ça donne envie...
Dans le même style (apparemment), ça me fait penser au livre de Patrick Roegiers, "Le mal du pays. Autobiographie de la Belgique." Également une lecture très réjouissante, où le belgicisme est définit comme suit:"Mot bâtard fait dans le dos de la langue française lorsque celle-ci ne suffit plus au Belge pour exprimer ce qu'il veut dire."
J'aime bien ces livres qui cassent la linéarité et nous promènent d'une entrée à l'autre, avancer/reculer, au gré de l'humeur et de la découverte.
Enfin, dans l'avant-propos, l'auteur évoque son père dans un texte extrêmement touchant sur la mémoire, l'identité et la filiation.
Bonne soirée, et merci pour ce blog, d'une grande richesse, que je visite toujours avec énormément de plaisir.
D.
Merci, D., pour cette fidélité et ce rapprochement. Il y a forcément des points communs entre ces deux livres, mais Baronian ne me semble pas aussi provocant que Roegiers (souvent dans l'amour/haine à l'égard de son pays natal), du moins dans ce que j'en ai déjà lu.
Je l'ai reçu à Noël, je compte le savourer petit à petit et le présenter pendant le Mois belge.
Bonne idée. Pour ma part, comme annoncé, je le propose en chronique intermédiaire, la suivante est pour bientôt. Bonne semaine, Anne.