Pour fêter les dix ans de son cahier Lire, qui paraît tous les lundis, La Libre Belgique a eu la bonne idée de joindre à son édition papier du 4 juin dernier un supplément intitulé « Etre écrivain aujourd’hui ». Vingt écrivains belges y disent ce que cela signifie pour eux, de Jean-Baptiste Baronian à François Weyergans. Trois voix féminines, c’est peu. Et de grandes plumes nous manquent déjà, disparues récemment : Dominique Rolin et Jacqueline Harpman.
Une page pour chacun, par ordre alphabétique, un portrait photographique en noir et blanc : chaque auteur est présenté avec son dernier livre paru, la seule note de couleur. Plusieurs ont pris la pose devant leur bibliothèque, parfois en compagnie de leur chat (Francis Dannemark et Caroline Lamarche). D’autres ont préféré un bois, un jardin, une fenêtre, un mur, voire un fond noir, et Xavier Hanotte joue à se cacher derrière la couverture de son livre (où, il est vrai, son visage apparaît sur le bandeau).
Entrons dans le vif du sujet. Comme l’écrit Geneviève Simon en éditorial, « Qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait livresse… » J’ai picoré par-ci par-là, pour vous qui aimez lire – et parfois aussi écrire. Le dossier n’est pas en ligne tel quel, mais je vous mets en lien quelques articles parus sur le site de La Libre. Baronian écrit « d’abord pour le plaisir » – « Mais je ne témoigne pas, je ne pérore pas, je n’acquiesce pas, je ne m’indigne pas, je ne me rebelle pas : je raconte. » La philosophe Véronique Bergen lui fait face avec seize définitions du verbe « écrire » : « Ne pas se résigner à l’état de choses donné, que ce dernier soit objectif ou subjectif, politique ou mental. (…) Se griser d’intempestif, vibrer à ce qui intensifie l’expérience. » (Ouvrir des possibles)
François Emmanuel interroge : « Sous le bruit de fond permanent, comment faire entendre la voix des livres sans céder aux tentations de l’époque qui privilégie l’effet, l’événementiel, le journalistique ? Je pense souvent à cette belle phrase de Francis Chenot : « Ecrire non pas pour changer le monde mais pour que le monde ne nous change pas. » » A rapprocher de ce qu’écrivent plus loin Armel Job – « Dans la vie, nous ne voyons que le dessus des choses, nous vivons dans un axe horizontal. Le roman plonge à la verticale. Il nous emmène sous la surface, dans les profondeurs, où tout est perplexité, paradoxe, énigme. Le roman jette à bas nos triviales certitudes » et Colette Nys-Mazure – « Etre écrivain, c’est tenter de saisir au-delà du visible l’invisible que nous négligeons, entraînés par la vie courante, usés par la routine. »
Lire propose chaque semaine ses coups de cœur littéraires, au sens large : « de la BD aux essais, des romans au secteur jeunesse, des albums aux nouvelles » (Geneviève Simon). On peut retrouver ces critiques en ligne. J’aimerais, pour ma part, plus de place pour la grande littérature, mais La Libre a opté pour la diversité des genres et fait la part belle à l’illustration, sur huit pages agréablement présentées, il est vrai.
Ecrire et lire, ça va ensemble. Francis Dannemark : « Ecrire, c’est une façon de vivre. C’est être ailleurs et ici en même temps. C’est vivre vite et lentement. C’est vivre des vies au lieu d’en vivre une seule. C’est prendre du recul pour être plus précisément au cœur des choses. Au fond, me direz-vous, écrire, c’est comme lire. En effet. » Mais pour Jean-Luc Outers, cela mène parfois à « s’échouer loin de soi » ; être écrivain, c’est « se faire à l’idée que cette partie de soi qui écrit est peut-être un autre ».
Bernard Gheur rappelle à la réalité ceux qui rêvent d’être écrivains : « Beaucoup de travail, peu de gloire, de belles rencontres, parfois… Voilà, selon moi, le sort d’un écrivain d’aujourd’hui. » Caroline Lamarche déclare avoir répondu diversement à la question à chaque étape de sa vie : « Qu’est-ce qu’être écrivain aujourd’hui ? C’est, entre autres, inventer sa propre vie. »
« On écrit, si peu que ce soit, pour faire reculer la brute. » La littérature et les livres, pour Pierre Mertens, ce n’est pas la même chose. Il s’insurge contre la futilité dont on fait trop souvent l’éloge, « alors qu’un écrivain « en temps de crise » se devrait d’échapper au frivole comme d’un asile de fous qui serait la proie des flammes. »
Commentaires
A propos de Pierre Mertens, sa citation remémore aussi (mais pas seulement) une plainte déposée contre lui par B. De Wever (orth?).
Pourriez-vous nous rappeler où en est ce dossier judiciaire ?
J'aime beaucoup ce genre de publication, j'en ai quelques unes que je garde précieusement et que je relis de temps à autre
je retiens Francis Dannemark car j'aime cette idée de vivre plusieurs vies grâce à la littérature, elle s'applique tout aussi bien aux lecteurs
Mais ma préféré c'est celle de Pierre Mertens et son conseil pour échapper au frivole, conseil que l'on peut aussi appliquer à nos choix de lecture
Autant d'écrivains,autant de définitions .
Mais il y a aussi les écrivains du dimanche , les écrivaillons, ceux ou celles qui écrivent pour toutes ces raisons à la fois ou pour aucune en particulier.
Ca va de la futilité à la réflexion , du témoignage à l'indignation.
Ou pour se remettre tout simplement les idées en place, pour faire du rangement dans un cerveau un peu empêtré.
Ecrire pour soi-même ou même pour les autres, pour être lu de son vivant ou après sa mort. L'important c'est de dire ou de communiquer, c'est de lire et de comparer à ce qu'on a vécu, de s'affronter à la vie des autres et à la sienne par la même occasion.
On n'est pas plus avancés quand on se pose la question du pourquoi écrit-on ou lit-on . Mais c'est cela qui est excitant : ne jamais trouver de réponse définitive, ça laisse à tous un grand espace de liberté.
Une fois de plus, merci Tania de nous avoir fait partager votre passion.
@ JEA : Bien sûr, JEA. Il n'y a pas eu de procès. Le non-lieu a été prononcé dans cette affaire en février dernier, la prescription pour délit de presse (3 mois) ayant été dépassée. Tous les détails sur le site de soutien à Pierre Mertens :
http://soutienapierremertens.wordpress.com/articles-de-presse-non-lieu-prononce-le-14-fevrier-2012/
@ Dominique : Comme toi, j'en ai beaucoup gardé, de ces suppléments "à part". Beaucoup sont partis à la bibliothèque de l'école où j'ai enseigné, mais pas ce hors série de Libération (mars 1985) où Beckett répondait à la question (Pourquoi écrivez-vous ?) en trois syllabes : "Bon qu'à ça."
@ Gérard : Merci pour ce bel éloge de l'écriture, c'est toujours un plaisir de lire vos commentaires qui replacent le sujet au coeur de notre vie.
Belle initiative de "La Libre Belgique" de donner la parole à 20 auteurs belges qui, à l'exception d'Eric-Emmanuel Schmitt et Amélie Nothomb, ne bénéficient malheureusement pas d'une grande publicité dans la presse et d'une belle exposition de leurs livres dans les librairies. Il ne faut pas ignorer la littérature étrangère, mais il me semble qu'il a moyen de faire plus pour nos écrivains belges. C'est d'ailleurs ce qui m'a poussé à créer le blog http://ecrivainsbelges.blogspot.com . Parmi ceux que tu cites, j'ai une tendresse toute particulière pour Colette Nys-Mazure que j'ai déjà eu la chance de rencontrer plusieurs fois. Une Grande Dame de la littérature belge, trop peu connue malheureusement... Je vais essayer de retrouver son portrait par "La Libre Belgique".
Concernant mon classement des 100 femmes les plus puissantes de Belgique, je l'ai trouvé sur le site Internet de Sud Presse.
Merci Tania pour ton blog culturel si intéressant qui me fait penser à celui d'Apolline Elter (il se trouve dans mes blogs amis). Passe une bonne semaine et à bientôt.
Une aube s'est glissée dans tes lectures...
Comme je ne connais plus grand chose à la littérature belge, je vais cliquer consciencieusement et lire chacun des liens que ton infinie patience nous a offerts. Merci!
@ Un petit Belge : Merci d'avoir indiqué l'adresse de ton blog consacré aux écrivains belges (j'ai mis un lien vers ton billet sur Jacqueline Harpman mais c'est plus clair ainsi). Je vais aller voir le blog dont tu parles.
Tu as raison, les écrivains belges sont trop peu présents dans les médias et dans les librairies, ils sont souvent dans un rayon séparé, ce qui facilite les choses pour ceux qui s'intéressent d'office à la littérature française de Belgique, mais les éloigne peut-être du grand public, tu ne crois pas ?
(Je n'ai pas encore réussi à trouver le classement dont tu as parlé, même sur le site de Sudpresse.) Bonne semaine à toi.
@ Colo : Ma lecture en cours est un voyage éprouvant dans un monde où "pourquoi écrire" est une question quasi surréaliste... L'asile de fous dont parle Pierre Mertens ! J'espère que tu trouveras parmi ces liens l'un ou l'autre qui te parlent. Bonne soirée, Colo.
Ecrire pour faire reculer la brute...
J'aime bien moi aussi ce que dit Mertens. Mais j'apprends par vous la mort de Dominique Rolin. J'ai été si occupée que cela m'a échappé. J'ai pensé immédiatement à Sollers qui doit en être très malheureux.
http://www.liberation.fr/livres/2012/06/01/l-album-des-ecrivains-dominique-rolin-en-1982_822670
@ La bacchante : Bien des façons de "s'engager" dans et par la littérature, et encore plus "de ne pas s'engager", comme il l'écrit dans ce texte. Bonne journée.
@ Zoë Lucider : Salut, Zoë, merci pour le lien. Dominique Rolin m'est particulièrement chère et "Le gâteau des morts" est de ses livres que je vais relire. Lire ou relire, je privilégie le plus souvent la découverte, mais j'espère trouver du temps pour retrouver toutes ces voix que je porte en moi, silencieusement.
Quelle chance ce billet ! Le supplément n'était pas présent dans mon journal ce lundi 4 juin, me voilà comblée !!
On retrouve bien la voix de chacun... François Emmanuel et la question humaine, Outers et son autre, le nouveau soi de Caroline Lamarche, le côté mystique de Colette Nys-M., "le combat" cher à Mertens.
Cependant, quelle tristesse de ne plus entendre Bauchau ou Jacqueline Harpman qui nous ont donné tant de joies. Heureusement tes "liens" judicieux compensent ce vide et nous éclairent sur leur feu à eux.
Merci pour toutes ces penseés merveilleuses, c'est passionnant de découvrir ce qui pousse les artistes à écrire ou à créer !
Oh, MH, réclame-le, je suis sûre qu'il doit encore être disponible au journal. Heureuse d'avoir compensé un peu cette absence.
P. S. Excuse-moi aussi d'avoir mentionné Bauchau par erreur.
ça alors ça m'a aussi échappé! j'ignorais que Bauchau était décédé...je suppose que c'est très dernièrement?
ça me fait quelque chose ;-((
Oh, Coumarine, je suis horriblement confuse. Ta remarque sème le doute et je corrige vite - le musée de Mariemont prépare une exposition pour le centenaire de Bauchau - je rentre sous terre, pardon !
En effet, ça me tracassait, et j'ai été vérifier
Je serai contente s'il fête son centenaire...;-))
Moi aussi, tu penses bien.
Je suis heureuse de retrouver ici Colette Nys-Mazure dont j'aime tellement les livres. Heureuse égalemnt de voir tant de nouvelles pistes s'ouvrir. Merci à toi !
Avec plaisir, Annie. Bonne lecture.
Enterrer les vieux, ce n'est vraiment pas bien Tania... mais pas de quio rentrer sous terre, reste parmi nous !!
Merci ;-) Ma distraction me joue parfois de ces tours !
Tour de passe-passe
Waouh !