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  • Prêtresse voluptueuse

    « Fabricant de tabac et marchand, le montois Zéphir Robette se lance dans la distillation et le commerce de liqueurs. Chez Honoré Petitjean, en Haute-Saône, il achète en vrac de l’absinthe distillée, qu’il met en bouteille en Belgique sous la marque Robette.
    C’est Zéphir Robette qui commande cette affiche à Livemont en 1896. L’artiste lui crée un visuel qui deviendra une icône. Elle paraît dans la publication française
    Les Maîtres de l’Affiche qui, entre 1895 et 1900, reproduit mensuellement les plus belles affiches illustrées des grands artistes français et étrangers de l’époque, suivant une idée du célèbre Jules Chéret.

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    Privat Livemont, Absinthe Robette, imprimeur lithographe Goffart, 1896

    Absinthe Robette est créée en 1896, une année de grâce pour Livemont qui dessine alors parmi ses plus belles affiches. Somptueuse et audacieuse, celle-ci est certainement l’une des plus abouties. Perdue dans ses pensées, l’héroïne a des airs de prêtresse voluptueuse avec sa chevelure orangée semblant douée de vie. « L’absinthe vous transportera ailleurs » semble-t-elle suggérer au milieu de ce décor à la découpe orientale, habité de volutes japonisantes, presque psychédéliques. La ligne blanche cède ici la place à une auréole claire, qui donne à la figure une allure divine. »

    Carnet de visite Privat Livemont. Fleurs à l’affiche !

    Exposition en cours à la Maison Autrique, Schaerbeek > 14.01.2024

  • Fleurs à l'affiche !

    2023 est l’année de l’Art nouveau à Bruxelles. La maison Autrique met à l’honneur Privat Livemont (1861-1936), un artiste bruxellois particulièrement bienvenu dans cette maison due à Victor Horta, le grand architecte de l’Art nouveau à Bruxelles, né la même année que lui. L’exposition Privat Livemont. Fleurs à l’affiche ! aurait pu s’intituler « Femmes à l’affiche ! » Fleurs et femmes figurent sur de nombreux sgraffites de Livemont ornant des façades à Schaerbeek – une nouvelle carte de promenade lui est dédiée. 

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    L’affiche « Bec Auer » figure en entier sur la couverture du petit catalogue
    bien illustré (Galerie le Tout Venant et La Maison Autrique, 2023)

    La maison se visite de la cave au grenier, il y a beaucoup à voir. Privat Livemont, peintre, décorateur, enseignant, fut un remarquable affichiste autour des années 1900, aussi célèbre alors que Mucha. En plus des affiches venant de musées bruxellois, de la Bibliothèque royale et de collectionneurs privés, l’expo présente des peintures, des estampes, des dessins et de la correspondance, des photos, des objets prêtés par son arrière-petit-fils, Hubert Guillard-Livemont.

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    Affiche de 1897, Coll. KBR

    Professeur de dessin à l’Ecole industrielle, Livemont crée en 1890 une première affiche pour le Cercle Artistique de Schaerbeek. Il en dessinera sept. Les premières comportent des fleurs de cerisier, des cerises, l’âne, emblèmes de la commune, puis ce qui deviendra son motif de prédilection : une femme de profil « à la chevelure serpentine » (carnet de visite). A tous les étages, il faut explorer chaque pièce : chaque recoin participe à l’exposition avec de petits formats, comme ce portrait de la femme de l’artiste.

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    Privat Livemont, Madeleine Brown dans l'atelier de son mari, huile sur panneau, 1896

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    Franz Livemont, né en 1891, fils unique de l'artiste, 1896, Coll. Guillard-Livemont

    A la fin du XIXe siècle, les affiches auparavant petites et monochromes destinées à être placées à l’intérieur cèdent la place, grâce aux progrès de l’imprimerie, aux grandes lithographies placardées dans les rues. Comme Mucha, Toulouse-Lautrec, Bonnard, Privat Livemont y trouve un nouveau moyen d’expression et y excelle. Il reçoit des commandes publicitaires pour Delacre et De Beukelaer, deux grandes biscuiteries belges.

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    Privat Livemont, Biscuiterie De Beukelaer, 1900, collection Guillard-Livemont :
     « Tout est floral et stylisé dans la composition : vêtement, coiffe et décor d’arrière-plan. »

    La « femme chandelier » de Livemont sur la publicité du Bec Auer, reprise partiellement sur l’affiche de l’exposition (ill. 1), est extraordinaire avec les bras de lumière s’échappant de ses cheveux. Elle en tient d’autres dans les mains, avec des lampes comme des fleurs au bout de longues tiges. Le nom de la firme est discrètement repris sur la robe entre les motifs de lampes-fleurs suspendues. Quels dégradés subtils de jaune et de bleu !

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    Privat Livemont, La Vague, lithographie couleurs et rehauts d'or, 1897

    En 1897, Privat Livemont, peintre-décorateur, dessine et fait réaliser par Boch des panneaux en céramique pour orner la façade de la Grande Maison de Blanc dans le centre de Bruxelles. Il exécute cette année-là une première estampe destinée à la décoration intérieure : La Vague, à la fois symbolique et japonisante, hommage à Hokusaï ; elle inspirera un vitrail pour l’Hôtel Saintenoy (Ixelles).

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    Affiche de 1896, Coll. Musée d'Ixelles

    En revanche, la nageuse de « Cabourg à 5 heures de Paris » qui attire des nageurs autour d’elle relève d’un humour plutôt lubrique. Cette affiche est commentée dans une des capsules vidéos projetées dans la bibliothèque, où des experts et expertes abordent l’art de Livemont sous différents angles, tous très intéressants – comme sa façon d’embellir la femme mais aussi de l’utiliser dans l’affiche publicitaire – cela vaut la peine de s’asseoir pour les écouter.

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    Dimensions : 274 x 127 cm

    La très grande affiche de l’Exposition universelle de 1897 à Bruxelles (dans les parcs du Cinquantenaire et de Tervueren) est présentée dans le hall d’entrée de la maison Autrique. Une femme majestueuse porte une robe aux motifs de lion brabançon sous son manteau feuillagé ; elle tient un bouclier où Saint Michel, patron de la ville, terrasse le dragon. Dans le fond, en grisaille, l’arcade du Cinquantenaire vers laquelle se pressent des visiteurs du monde entier.

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    Privat Livemont, Cacao Helm, lithographie couleurs,
    imprimerie Van Leer à Amsterdam, 1899 (désolée pour le reflet)

    La femme-fleur si souvent dessinée par Privat Livemont peut être maternelle et nourricière, comme sur l’affiche au magnifique fond vert couvert d’épis de blé où un enfant impatient tend la main vers l’assiette de biscuits que sa sœur dévore des yeux (De Beukelaer, ill. 4) ou celle-ci : une petite fille assise par terre près de branches d’églantier ouvre la bouche pour goûter une cuillerée de chocolat tendue par sa mère.

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    Privat Livemont, La Sculpture et La Peinture, lithographies couleurs imprimées sur vélin crème, 1900,
    Coll. Galerie Le Tout Venant (cliquer sur les liens pour de meilleures couleurs)

    Ou une artiste. Comparons La Peinture et La Sculpturecomplémentaires, le rouge et le vert contrastent et s’inversent entre la bordure supérieure et l’arrière-plan du sujet principal. En haut, les fleurs se courbent, comme agitées par le vent ; derrière la peintre et la sculptrice, leurs tiges se dressent, immobiles, un motif répétitif qui laisse la vedette au sujet féminin. Les gestes des mains sont gracieux, les regards concentrés, les vêtements et la coiffe raffinés.

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    Privat Livemont, La Fileuse et La Brodeuse, lithographies couleurs, 1904,
    Coll. Galerie Le Tout Venant

    La fileuse et La brodeuse sont au travail devant un paysage hollandais. C’est aux Pays-Bas que s’est tenue, en 1904, la première grande rétrospective consacrée à l’artiste. De belles estampes florales montrent que Privat Livemont a précisément étudié les plantes avant de les utiliser comme ornement. L’exposition Fleurs à l’affiche ! de la maison Autrique montre toutes les facettes de son art et de sa renommée, dont témoignent de nombreux documents en vitrine. Ne manquez pas ce bel hommage à un grand artiste de l’Art nouveau à voir jusquà la mi-janvier à Schaerbeek.

  • Risques de guerre

    C’est la première fois que je remarque en quittant le Moeraske la grande inscription « RGT Risques de guerre » peinte en lettres capitales sur un pignon de briques rue Walckiers, et « Assurances » juste en dessous. Des recherches sur la Toile m’apprennent qu’elle est classée depuis 2004 par la Région de Bruxelles-Capitale comme « monument » d’intérêt historique et social. Cette peinture murale est « un exemple unique à Bruxelles, voire en Belgique, de publicité remontant au début des années 40. C'est un témoin in situ qui rend compte d'une époque qui utilisait le mur comme moyen de diffusion des messages publicitaires. » 

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    L’inscription pouvait être lue de loin par les passagers du train – un slogan concis, facile à retenir. Des bombardements ont rasé le centre du village d’Evere et une partie du quartier d’Helmet à Schaerbeek, entraînant l'arrêt des activités de la compagnie d'assurance. Comme quoi on apprend toujours quelque chose en se promenant le nez en l’air.

  • Tyrannie des marques

    En quelque sept cents pages, la collection Babel propose une édition augmentée de No logo, livre phare des altermondialistes. Née en 1970, la journaliste canadienne Naomi Klein y retrace l’évolution des pratiques commerciales nées de l’industrialisation. De la marque cachée ou discrète à la marque bien visible, du développement des logos à leur omniprésence, du concept de marque pour faire rêver et acheter aux pratiques économiques de sous-traitance et d’exploitation éhontée d’une main-d’œuvre à bas prix.

    « Course à la légèreté : le vainqueur est celui qui possède le moins, qui utilise le moins grand nombre d’employés et qui produit les images les plus convaincantes, plutôt que des produits. » « Les produits qui fleuriraient à l’avenir seraient présentés non pas comme des articles de base, mais comme des concepts : la marque en tant qu’expérience ou style de vie. »

    Appuyant son analyse sur des faits précis (qui produit quoi, où et comment), l’auteur a enquêté sur le terrain autant que possible, y compris dans ces zones franches industrielles « sans foi ni loi » où l’on fabrique chaussures, jouets, vêtements et autres articles de consommation courante pour un salaire dérisoire et dans des conditions d’un autre âge, loin, très loin des valeurs associées à la fameuse « image de marque ».

    Naomi Klein décrit les résistances et manifestations suscitées par de telles pratiques : affiches maquillées, logos détournés, procès faits aux grandes marques, fêtes de rues pour protester contre la pression publicitaire. Elle montre comment les multinationales envahissent même les établissements d’enseignement, insidieusement, jusque dans les toilettes des campus universitaires. Obsédées par leur diffusion, les supermarques veulent aussi happer au passage, sur les lieux fréquentés par les jeunes, les dernières tendances à intégrer dans leurs campagnes publicitaires pour être en phase avec les consommateurs les plus influençables.

    Le monde culturel n’échappe pas au phénomène. Les marques utilisent les artistes, jouent les mécènes à des conditions de plus en plus contraignantes. A notre époque, une critique sérieuse a le pouvoir d’atteindre un plus vaste public que jamais auparavant dans l’histoire de l’art et de la culture.  Mais nous sommes en train de perdre les espaces dans lesquels peut fleurir l’esprit hors commerce – ces espaces demeurent, mais rétrécissent à mesure que les capitaines de l’industrie culturelle se laissent obnubiler par le rêve des promotions croisées à l’échelle planétaire.

    Perte de l’espace public, censure commerciale, déficit d’éthique vis-à-vis de la main d’œuvre, ce sont les questions pertinentes posées dans cet essai. Si l'on peut s'interroger quant aux résultats des actions menées - aujourd'hui le désir d'éthique, récupéré, est lui-même devenu un argument de vente -, nul doute qu'une fois ce livre achevé, on a davantage conscience de ce qui se cache derrière les étiquettes.