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Aventure

  • Soleil en négatif

    jean-baptiste andrea,cent millions d'années et un jour,roman,littérature française,paléontologie,montagne,aventure,culture,extrait« Difficile d’imaginer que quatre hommes armés de pics et de leur rage puissent n’entamer que trente centimètres de glace sur un mètre de diamètre en trois jours. Cette glace est d’une densité exceptionnelle, remontée des entrailles du glacier par un hoquet tellurique. Elle cède atome par atome  à la morsure des piolets, elle se pulvérise sans jamais se fissurer. On aurait tort de se figurer cette lutte comme un combat entre deux matériaux, le métal et l’eau. Les forces à l’œuvre sont bien plus puissantes. L’haleine du glacier entier, profond de deux cents mètres à cet endroit, contre la volonté de quelques fous. Une onde de froid nous repousse, nous gèle le souffle, les membres et l’esprit. Si nous ne déblayons pas aussitôt la poussière que nous arrachons à la glace, elle se resolidifie presque instantanément. Ce glacier irradie comme un soleil en négatif. »

    Jean-Baptiste Andrea, Cent millions d’années et un jour

  • Un dragon enfoui

    Comment on devient un paléontologue qui croit aux dragons et où cela peut mener, c’est en raccourci le sujet de Cent millions d’années et un jour (2019) de Jean-Baptiste Andrea, l’auteur de Veiller sur elle.

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    Cime et caïre de Rogué, vus depuis la cime de Frémamorte (Wikimedia)

    Tout cela a commencé pour Stan avec la découverte d’un trilobite, un jour de 1908. Renvoyé de l’école pour insolence, il avait donné un coup de marteau sur une grosse pierre dans un champ : sa première rencontre, à six ans, avec un fossile de trois cents millions d’années. Une découverte de ce genre, il pouvait la partager avec sa mère, pas avec son père qui avait la main lourde.

    Le 16 juillet 1954, le paléontologue est en route pour Nice où doit le rejoindre Umberto, son ancien assistant à l’université de Lyon, à présent professeur à Turin. Quand il finit par arriver quelques jours plus tard dans le village au pied de la montagne où il l’attend, Umberto n’est pas seul. Son jeune assistant l’accompagne, Peter. Stan a demandé à tous la discrétion, mais il doit bien leur expliquer cette fois le but de leur expédition : « nous cherchons un dragon ».

    Une petite fille lui a raconté un jour le récit obsessionnel d’un vieux concierge décédé, M. Leucio : adolescent, lors d’une escapade dans sa vallée natale, celui-ci s’était réfugié dans une grotte et « s’était retrouvé nez à nez avec un drago di tuono e di lampo, un dragon de tonnerre et de foudre ». La fillette se souvenait de tout : « La grotte était à la base d’un glacier », « De là on voyait trois sommets en forme de pyramide couronnés d’éclairs »… Où cela pouvait-il être ?

    Des années plus tard, en réponse à sa demande, une administration lui a envoyé le certificat de naissance de Leucio D. avec le nom de son village, entre Mercantour et Argentera, tout près de la frontière italienne. Stan a décidé d’y mener une expédition pendant l’été, quand la météo est la plus favorable, quasi convaincu de pouvoir retrouver la grotte et dedans, le squelette complet d’un apatosaure ou d’un diplodocus, « l’une des plus incroyables créatures créatures qui aient foulé cette planète ». Ce serait le couronnement de sa carrière.

    Gio, un vieux guide italien, s’en soucie peu. Sa vie, c’est « monter, survivre, redescendre ». Des mulets transporteront l’huile pour les lampes et le feu, tout le reste est déjà là-haut. Quand ils se mettent en chemin sur la montagne, on se demande si le professeur, qui souffre de vertige, est bien capable d’une telle ascension : « Un miracle est arrivé. J’ai trouvé mes jambes d’alpiniste. Elles étaient là qui m’attendaient sur le bord du sentier. » Tout peut donc arriver.

    Cent millions d’années et un jour raconte l’expédition de ces hommes mus par le désir d’une grande découverte pour Stan, par l’amitié entre Umberto et lui, par l’admiration aussi d’Umberto et Peter pour le professore. Gio veille sur eux, sur le campement et le ravitaillement, il choisit les endroits par où passer pour arriver au but. Des tas de pensées viennent quand on marche en montagne, l’œil ouvert et le pas lent dans les montées. Souvenirs d’enfance, doutes sur soi-même ou sur le sens de tels efforts. Stan s’efforce de « marcher sans penser » ou de « penser à autre chose qu’à la fatigue ». Grimper en via ferrata, lui qui est sujet au vertige, y arrivera-t-il ?

    L’approche du glacier est à grand spectacle. Y repérer le bon endroit où chercher sera beaucoup moins simple qu’imaginé. Et encore faut-il que l’histoire de Leucio soit véridique. Aux aléas des recherches s’ajoutent les tensions inévitables dans l’équipe, la fatigue, les désaccords, la difficulté due aux délais imposés par la météo et la nécessité de redescendre si la sécurité l’impose. Les réactions de chacun s’expriment de plus en plus ouvertement, et cela fera des étincelles. J’ai aimé en particulier la manière originale dont l’auteur donne la parole à Peter, le plus jeune.

    Si l’on accepte l’immersion dans cette quête en haute montagne, le roman de Jean-Baptiste Andrea a de quoi tenir en haleine : trouveront-ils la grotte ? un squelette ? Stan veut y croire, coûte que coûte, prêt à courir tous les risques, comme si sa vie était en jeu. On est pris par cette passion paléontologique et surtout par cette aventure humaine où, d’obstacle en obstacle, les caractères et les préoccupations de chacun vont se révéler peu à peu.

  • Aventureux

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    « Ron, j’ai vraiment apprécié l’aide que tu m’as apportée et le temps que nous avons passé ensemble. J’espère que tu ne seras pas trop déprimé par notre séparation. Il peut s’écouler beaucoup de temps avant que nous nous revoyions. Mais si je sors en un morceau de ce pari en Alaska, tu auras de mes nouvelles. J’aimerais te redonner ce conseil encore une fois : je pense que tu devrais changer radicalement ton style de vie et te mettre à faire courageusement des choses que tu n’aurais jamais pensé faire, ce que tu as trop hésité à essayer. Il y a tant de gens qui ne sont pas heureux et qui, pourtant, ne prendront pas l’initiative de changer leur situation parce qu’ils sont conditionnés à vivre dans la sécurité, le conformisme et le conservatisme, toutes choses qui semblent apporter la paix de l’esprit, mais rien n’est plus nuisible à l’esprit aventureux d’un homme qu’un avenir assuré. Le noyau central de l’esprit vivant d’un homme, c’est sa passion pour l’aventure. La joie de vivre vient de nos expériences nouvelles et donc il n’y a pas de plus grande joie qu’un horizon éternellement changeant, qu’un soleil chaque jour nouveau et différent. »

     

    Extrait d’une lettre d’Alex McCandless à Ron Franz, reçue en avril 1992

     

    Jon Krakauer, Into the Wild. Voyage au bout de la solitude

  • Au bout de soi-même

    Into the Wild m’a bouleversée. J’ignorais quand j’ai vu ce film que Sean Penn s’y inspire d’un récit : Into the Wild. Voyage au bout de la solitude (1996, traduit de l’américain par Christian Molinier). Pour le magazine américain Outside, Jon Krakauer a enquêté sur les circonstances de la mort par dénutrition de Christopher McCandless en 1992, un jeune homme de 24 ans retrouvé quatre mois après dans un vieil autobus, son dernier abri dans la nature sauvage en Alaska.  

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    Une photo de Chris McCandless retrouvée dans son appareil photo.

    L’article a suscité beaucoup de réactions : les gens ont été touchés par la vie et la mort de McCandless, les uns pleins d’admiration « pour son courage et son idéal », les autres de colère contre « ce casse-cou sans cervelle », un farfelu narcissique « qui devait sa fin tragique à son arrogance et à sa stupidité ». Krakauer, hanté par ce drame « et aussi une parenté vague, dérangeante, entre sa vie et la (sienne) », a passé plus d’un an à « retrouver la piste compliquée qui conduisait à sa mort dans la taïga », attentif au moindre détail pour comprendre ce jeune idéaliste passionné par les idées de Tolstoï sur le renoncement. Des cartes permettent de situer les étapes de son périple de 1990 à 1992. Malgré quelques considérations personnelles, Krakauer s’est efforcé d’être impartial. Chaque chapitre porte en titre un lieu où « Alex » est passé. En rupture avec sa vie d’avant, McCandless avait choisi de s’appeler « Alexandre Supertramp ».

     

    Le récit débute avec une carte adressée de Fairbanks à un ami. Il raconte qu’il ne lui a pas été facile « de faire du stop dans le Yukon » mais qu’il est enfin dans ce grand Nord dont il rêvait : « Maintenant, je m’enfonce dans la forêt. » L’homme qui l’a véhiculé l’a trouvé sympathique, tout en s’inquiétant du peu de nourriture emportée et de son équipement minimal, une carabine 22LR insuffisante pour abattre un élan ou un caribou. Il l’a persuadé d’accepter ses vieilles bottes en caoutchouc pour suivre « la piste Stampede » près du Mont McKinley.

     

    Des passages soulignés dans les livres (Jack London, Thoreau, Pasternak…), des lettres, des notes donnent une idée de l’état d’esprit de Chris-Alex tout au long du récit. « Je désirais le mouvement et non une existence au cours paisible. » (Tolstoï) Dans son dernier refuge, des chasseurs ont trouvé son cadavre en septembre 1992, et une note fixée à la porte de l’autobus, terrible S.O.S. – il se savait près de mourir, demandait qu’on l’aide et qu’on l’attende, parti à la recherche de baies pour se nourrir. 

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    Couverture du magazine où Krakauer a publié son premier article sur le sujet. 

    En mai 1990, cet étudiant brillant, élevé en Virginie par un éminent ingénieur aérospatial qui avait fait prospérer sa petite société de conseil avec sa seconde épouse, la mère de Chris, a obtenu un diplôme universitaire à Atlanta. Un ami de la famille lui avait légué 40000 dollars pour ses études et il lui en reste alors 24000, dont il fera don à une organisation humanitaire, au lieu de financer des études de droit comme le pensaient ses parents.

     

    Chris leur reproche de vouloir lui payer une nouvelle voiture alors qu’il a une Datsun B210 « légèrement cabossée mais en parfait état mécanique » avec 206000 km au compteur. Il les prévient qu’il va « disparaître pour quelque temps ». Ils ont l’habitude de ses longs trajets en solitaire pendant les vacances, ils n’y prêtent pas trop attention. Fin juin, il leur envoie un mot d’Atlanta avec la copie des notes obtenues – sa famille ne recevra plus aucune nouvelle de lui ensuite, même pas sa sœur Carine, la plus proche.

     

    La Datsun a été retrouvée sur la rive sud du lac Mead, le plancher recouvert de boue, en parfait état de marche. McCandless avait installé sa tente près d’un cours d’eau ; surpris par des pluies soudaines, il n’a pu dégager la voiture du lit de la rivière emprunté malgré l’interdiction et l’a laissée sur place. Il a décidé de continuer à pied et en stop. 

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    Krakauer a pu reconstituer ses faits et gestes en rencontrant les gens qui ont croisé sa route et à qui il s’est confié. En Californie, Jan Burres, une « rubber tramp » de 41 ans (vagabonde qui se déplace avec son fourgon) s’est prise d’amitié pour ce « brave garçon » qui a campé avec elle et son ami pendant une semaine. Il lui a dit avoir brûlé tout son argent et abandonné sa voiture, et avoir survécu en mangeant des plantes comestibles. A Topock, Arizona, il avait acheté un canoë d’occasion pour descendre le Colorado jusqu’au golfe de Californie, mais une journée « tout à fait désastreuse » de janvier 1991 l’a obligé à l’abandonner et à remonter vers le nord.

     

    A Bullhead City, Arizona, Chris travaille chez McDonald’s. On s’y souvient d’un jeune travailleur et sérieux, qui refusait de porter des chaussettes en dehors de ses heures de travail. Puis il va retrouver Jan Burres aux Slabs, une ancienne base aérienne où quelque cinq mille « marginaux, routards et vagabonds » s’assemblent en hiver. A sa brocante, il l’aide à vendre des livres, fait de la gymnastique pour se préparer à « la grande odyssée en Alaska », un sujet sur lequel il est intarissable.

     

    Alex en parle aussi à Ronald Franz, 80 ans, quand leurs routes se croisent à Salton City ; à Wayne Westerberg avec qui il a travaillé dans les champs à Carthage. A tous ceux qui lui ont offert compréhension et amitié, il donnera régulièrement de ses nouvelles. Pour Krakauer, McCandless « était à la recherche de quelque chose et éprouvait une fascination irréaliste pour la rudesse de la nature », comme d’autres avant lui, mais il était « sain d’esprit ».

     

    Les témoignages, l’histoire de sa famille, relatée peu à peu, la description des objets personnels (notamment des autoportraits photographiques) dessinent la personnalité d’un jeune homme à la fois solitaire et sociable qui se lance des défis de façon radicale, mort selon Krakauer à la suite de quelques « erreurs ». L’auteur estime avoir eu plus de chance que Chris-Alex en survivant à une aventure du même genre en Alaska.

     

    Quel désastre, me suis-je dit en refermant Into the Wild. McCandless a été intransigeant avec ses principes, implacable dans sa critique de la famille et de la société. Il ne semblait pas suicidaire, mais voulait aller au bout de soi-même, lui qui a écrit en marge de « Docteur Jivago » que « le bonheur n’est vrai que quand il est partagé. »

  • Pour saluer l'hiver

    Pour saluer l’hiver, pour en finir une fois pour toutes avec ses grisailles, ses neiges parfois traîtresses, ses désastres tempétueux, je me suis laissé accrocher par un titre
    de Nicolas Vanier, Solitudes blanches (1994). Sans me rendre compte qu’il allait me rappeler des lectures d’autrefois, des romans d’aventures signés Jack London ou Fenimore Cooper. Je ne savais rien de ce Solognot amoureux du Grand Nord qu’il explore, qu’il raconte ou qu’il filme depuis les années 1980.
     

     

    Klaus, Prug, Ula, si ses personnages pratiquent les courses en solitaire, sont-ils pour autant vraiment seuls avec leurs chiens d’attelage ? Klaus, de retour dans la vallée après deux mois de trappe, ressent son « excitation mêlée d’inquiétude » augmenter à l’approche de la cabane de son vieil ami Prug dont il n’a aperçu aucune piste au col de la Notte ni dans les bois en descendant de la montagne. Pas de trace de Prug ni de son traîneau ni de ses chiens. Aux aguets, il tourne la tête vers un tas de bois mort : « Une jeune Indienne se tient là, droite et fière, tel un bel arbre dans la force de l’âge, avec cet air à la fois heureux et triste qu’ont toutes les bêtes sauvages. » (sic)

     

    Il ne la connaît pas, mais Ula, la belle-fille de Prug, elle, le reconnaît et l’invite à entrer. Elle lui raconte la mort de Raoul, entraîné avec son traîneau dans un rapide au début de l’hiver, puis la disparition de Prug, sans doute mort lui aussi. Coup dur pour Klaus qui a reçu de lui son premier chiot et craint d’avoir perdu son meilleur ami – celui-ci lui avait parlé de la belle épouse de son fils, il s’en souvient maintenant. Mais quelqu’un vient avertir Ula : il y a peut-être une piste dans les montagnes « du côté de Chanagaï, à l’est de la réserve des Indiens sékani. Une piste comme des centaines d’autres, à cette exception près qu’elle se dirige droit vers le nord, au-delà de toute piste, là où personne ne va jamais, ni Blanc, ni Indien. »

     

    Deux histoires commencent là, celle d’une course-poursuite à la recherche de Prug, s’il vit encore, celle de l’amour de Klaus et d’Ula qui se méfient pourtant l’un de l’autre. Tous deux préparent leur attelage. Ils ignorent que Prug, anéanti par la mort de son fils, est parti « comme ça », « comme pour une course de quelques heures en forêt », en oubliant une partie de son matériel, lui qui a initié Klaus à la méticulosité vitale pour qui s’aventure ainsi dans le pays des grands froids. Pire, il a perdu la tête, s’imagine être poursuivi et fait tout pour brouiller ses traces.

     

    Lire Solitudes blanches, c’est entrer dans les gestes du maître d’attelage pour ses chiens, dans sa complicité avec son chef de meute, c’est regarder le paysage avec les yeux du chasseur, c’est ressentir la morsure du gel, l’inquiétude des réserves qui s’amenuisent, l’instinct de survie. Kernok, son chien de tête, prend soin de Prug au moins autant que son maître de lui, comme le Tuktu de Klaus. Ula a d’autres manières qu’eux avec son attelage qu’elle mène « à l’indienne » ; Klaus admire son savoir-faire et son efficacité, qui lui sauveront la vie.

     

    Pour saluer l’hiver, ce roman du grand nord de Nicolas Vanier tient ses promesses de bêtes sauvages et de vents tournants, de cauchemars de neige et de dérives silencieuses où certains se trouvent et d’autres se perdent. « Pour mémoire »,
    l’auteur reprend à la fin du livre la réponse fameuse que fit le chef d’une tribu indienne de la côte nord-ouest au président des Etats-Unis qui lui proposait d’acheter la plus grande partie de leurs terres en échange de la création d’une réserve : « Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur et la terre ? » C’était en 1854.