Pour saluer l’hiver, pour en finir une fois pour toutes avec ses grisailles, ses neiges parfois traîtresses, ses désastres tempétueux, je me suis laissé accrocher par un titre
de Nicolas Vanier, Solitudes blanches (1994). Sans me rendre compte qu’il allait me rappeler des lectures d’autrefois, des romans d’aventures signés Jack London ou Fenimore Cooper. Je ne savais rien de ce Solognot amoureux du Grand Nord qu’il explore, qu’il raconte ou qu’il filme depuis les années 1980.
Klaus, Prug, Ula, si ses personnages pratiquent les courses en solitaire, sont-ils pour autant vraiment seuls avec leurs chiens d’attelage ? Klaus, de retour dans la vallée après deux mois de trappe, ressent son « excitation mêlée d’inquiétude » augmenter à l’approche de la cabane de son vieil ami Prug dont il n’a aperçu aucune piste au col de la Notte ni dans les bois en descendant de la montagne. Pas de trace de Prug ni de son traîneau ni de ses chiens. Aux aguets, il tourne la tête vers un tas de bois mort : « Une jeune Indienne se tient là, droite et fière, tel un bel arbre dans la force de l’âge, avec cet air à la fois heureux et triste qu’ont toutes les bêtes sauvages. » (sic)
Il ne la connaît pas, mais Ula, la belle-fille de Prug, elle, le reconnaît et l’invite à entrer. Elle lui raconte la mort de Raoul, entraîné avec son traîneau dans un rapide au début de l’hiver, puis la disparition de Prug, sans doute mort lui aussi. Coup dur pour Klaus qui a reçu de lui son premier chiot et craint d’avoir perdu son meilleur ami – celui-ci lui avait parlé de la belle épouse de son fils, il s’en souvient maintenant. Mais quelqu’un vient avertir Ula : il y a peut-être une piste dans les montagnes « du côté de Chanagaï, à l’est de la réserve des Indiens sékani. Une piste comme des centaines d’autres, à cette exception près qu’elle se dirige droit vers le nord, au-delà de toute piste, là où personne ne va jamais, ni Blanc, ni Indien. »
Deux histoires commencent là, celle d’une course-poursuite à la recherche de Prug, s’il vit encore, celle de l’amour de Klaus et d’Ula qui se méfient pourtant l’un de l’autre. Tous deux préparent leur attelage. Ils ignorent que Prug, anéanti par la mort de son fils, est parti « comme ça », « comme pour une course de quelques heures en forêt », en oubliant une partie de son matériel, lui qui a initié Klaus à la méticulosité vitale pour qui s’aventure ainsi dans le pays des grands froids. Pire, il a perdu la tête, s’imagine être poursuivi et fait tout pour brouiller ses traces.
Lire Solitudes blanches, c’est entrer dans les gestes du maître d’attelage pour ses chiens, dans sa complicité avec son chef de meute, c’est regarder le paysage avec les yeux du chasseur, c’est ressentir la morsure du gel, l’inquiétude des réserves qui s’amenuisent, l’instinct de survie. Kernok, son chien de tête, prend soin de Prug au moins autant que son maître de lui, comme le Tuktu de Klaus. Ula a d’autres manières qu’eux avec son attelage qu’elle mène « à l’indienne » ; Klaus admire son savoir-faire et son efficacité, qui lui sauveront la vie.
Pour saluer l’hiver, ce roman du grand nord de Nicolas Vanier tient ses promesses de bêtes sauvages et de vents tournants, de cauchemars de neige et de dérives silencieuses où certains se trouvent et d’autres se perdent. « Pour mémoire »,
l’auteur reprend à la fin du livre la réponse fameuse que fit le chef d’une tribu indienne de la côte nord-ouest au président des Etats-Unis qui lui proposait d’acheter la plus grande partie de leurs terres en échange de la création d’une réserve : « Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur et la terre ? » C’était en 1854.
Commentaires
Solitude blanche … ? Pour moi, le blanc a toujours été synonyme de solitude … le blanc « bouffe » la couleur, rejette la chaleur et nous abandonne à la solitude du froid … Le blanc c’est trop pur, c’est pas fait pour nous… Nous avons besoin de vie et la vie c’est la couleur … J’ai connu ça, malade en Suisse, pendant les hivers qui n’en finissent pas …
Waaaw, vous nous emmenez loin aujourd'hui.
Superbe le parcours de Nicolas Vanier... incroyable la vie de Jack London et si vrai le discours du Chef Seattle ! Merci, Tania.
Et aujourd'hui je humais le printemps bleu et vert et frais et j'étais heureuse de tourner la page blanche de l'hiver. Vous me rappelez un livre écrit par Frison Roche lu il y a bien longtemps. J'ai reçu aujourd'hui un ravissant petit carnet dont l'intitulé est "petites listes de tout et de rien" et je n'hésiterai pas à y ajouter de nombreuses lectures proposées ici.
D'humeur badine ce soir, je te propose de voyager....surprise!
http://www.gngl.com/voyage/25-ans-d-histoire-polaire.aspx
Un beso blanco.
Je ne sais pourquoi, votre lecture me fait penser au très beau film de Sydney Pollack "Jeremiah Jhonson. Non qu'il s'agisse d'une histoire semblable mais l'amour entre un Blanc et une Indienne,le Grand Nord et les leçons de survie que donne la femme indienne à l'homme blanc.
Je me souviens d'un reportage sur un périple de Nicolas Vanier. C'était extrêmement prenant. Cà me fait penser aussi au film "le dernier trappeur". Les paroles des indiens sont de plus en plus actuelles, que ne les avons-nous écoutées ..
@ Doulidelle : la couleur est la vie, vivent les couleurs, bien d'accord.
@ MH : il y a des endroits où je ne vais pas volontiers (par horreur du froid), sauf en imagination.
@ Delphine : lumineux premiers jours de mars, un régal, quoique ce matin le froid et le gris réattaquent... Précieux carnets, il y a toujours des choses à y noter.
@ Colo : voir ci-dessus, je préfère le sud pour le badinage, amie.
@ Zoë Lucider : très beau film, oui, joliment résumé.
@ Aifelle : si nous pouvions faire ce qu'il est encore temps de faire...
J'ai aimé ce livre et le film "le dernier trappeur"
un vieux reste de l'amour que je porte à Jack London sans doute et à tous les écrivains de l'exploration du nord