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Textes & prétextes - Page 335

  • Virginia 1915-1918

    Dans sa préface au tome I du Journal (intégral) de Virginia Woolf (traduit de l’anglais par Colette-Marie Huet), son neveu Quentin Bell affirme que « considéré dans son ensemble, il constitue un chef-d’œuvre », non sans soulever la question de sa véracité. Virginia Woolf, écrit-il, « passait pour malveillante, bavarde et encline à se laisser emporter par son imagination ». Dans sa correspondance, elle inventait pour amuser, sachant qu’on ne la croirait pas. Dans son Journal, « elle n’est sincère que vis-à-vis de son humeur du moment où elle écrit », au risque de se contredire. D’où l’image assez fidèle qu’elle y donne d’elle-même et de son entourage, de sa vie et de son époque.

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    Asheham House, près de Lewes, Sussex par Frederick James Porter (1883-1944)

    2 janvier 1915, journée type : conversation au petit déjeuner, « griffonnages » pour Leonard Woolf et elle, déjeuner et lecture des journaux, promenade avec le chien, achat de provisions, thé, soirée de lecture. Bien que très attachée à son mari (juif), Virginia déclare qu’elle n’aime ni la voix ni le rire des juifs, avant de faire un portrait incisif de Flora, la plus jeune sœur de Leonard. Antisémitisme peut-être, critique de sa belle-famille sûrement, dont elle déplore l’« extrême laisser-faire ».

    Virginia Woolf n’est pas un ange. Le Journal comporte des remarques choquantes, comme après une promenade où ils ont croisé « une longue file d’idiots », « de pitoyables débiles » : « Il est bien évident qu’on devrait tous les supprimer. » De leur éducation, les Stephen ont gardé certains principes tout en se rebellant contre les conventions, ce sont de fervents adeptes de la liberté intellectuelle.

    Nessa (Vanessa), la plus bohème, écrit à sa sœur que « la propreté est une idole à laquelle il faut se garder de rendre un culte » – voilà pour les tâches ménagères, largement confiées aux domestiques (qui ont leur place dans le Journal). Le travail humain a peu de valeur aux yeux de Virginia, « sauf dans la mesure où il rend heureux ceux qui l’exécutent. Ecrire à présent m’enchante uniquement parce que j’aime le faire, et me fiche comme d’une guigne, en toute sincérité, de ce qu’on peut en dire. »

    Le jour de ses 33 ans, avec Leonard qui s’est montré très attentionné pour son anniversaire, ils décident trois choses : « prendre Hogarth » (leur future maison), acheter une presse à imprimer, acheter un bull-terrier. Le projet d’imprimer eux-mêmes les excite fort, et en prime, elle a reçu des bonbons qu’elle adore. Mari et femme sont très différents, note-t-elle un autre jour : « Tout ce que je peux dire c’est que j’explose, tandis que L. brûle en dedans. Enfin nous nous sommes brusquement réconciliés (mais la matinée était perdue) et nous avons fait une promenade dans le parc après le déjeuner. »

    Fin février 1915 survient la grande crise qui a fait craindre pour sa raison (voir les commentaires d’un précédent billet), le Journal abandonné ne reprend qu’à l’été 1917 dans un petit carnet, le « Journal d’Asheham ». Dans leur maison de campagne (louée de 1912 à 1919 pour les week-ends et les vacances), Virginia se limite à quelques notes factuelles : la cueillette des champignons, une de leurs activités favorites, le temps qu’il fait, les promenades, visites, pique-niques… Après le mauvais temps en août, elle note le 3 septembre un « jour parfait ; complètement bleu, sans nuage ni vent, comme installé une fois pour toutes. » La guerre continue : des prisonniers allemands aident à la ferme, on entend le canon, on lit les nouvelles.

    En octobre 1917, les Woolf rentrent à Hogarth House. Dans son nouveau cahier, Virginia décide qu’elle y écrira après le thé, « sans se gêner », Leonard aussi, à l’occasion. Quelques jours plus tard, « un coup terrible » : dispensé du service militaire à cause d’un tremblement nerveux congénital, il est « appelé » et doit repasser une visite médicale, obtenir des certificats (il sera jugé inapte). La Hogarth Press débute, avec l’impression de Prélude de Katherine Mansfield qu’elle trouve vulgaire « de prime abord » (des traits communs), mais « si intelligente et impénétrable qu’elle mérite l’amitié. »

    Virginia se réjouit de l’arrivée de Tinker, « une bête solide, active et effrontée, brune et blanche, aux grands yeux lumineux » (qui se révèlera un chien turbulent et encombrant, mais fort regretté quand il sera perdu). La même semaine, on leur a offert un chat de l’île de Man. Les gros chèques « ou passablement gros » qu’ils touchent à présent pour leurs articles de critique la réjouissent, ils ont remboursé leurs dettes. Conférences, rencontres, expositions, thés – et encore des raids, un Zeppelin dans le ciel – voilà tout ce qu’elle note, sans compter les lettres reçues, écrites, le réconfort que lui prodigue son amie Ka (Katherine Cox).

    Le 2 novembre, Virginia décrit longuement son séjour à Charleston (avant la guerre, sa soeur s’est séparée de Clive Bell, le père de ses deux fils, et vit là avec le peintre Duncan Grant). Intelligence tenace et rapide, amour du fait concret, Nessa lui donne l’impression « d’une nature fonctionnant à plein ». Mais Virginia est heureuse de retrouver ensuite sa maison, sa vie véritable avec L., ses échappées dans Londres pour faire réparer sa montre ou se rendre aux ateliers Omega, s’acheter un manteau abricot – « un après-midi de Bloomsbury ».

    Il suffit que son mari se montre irascible ou sans entrain pour qu’un sentiment de déconfiture l’envahisse, « vague après vague, tout le long du jour » : « Nous avons convenu que, vue sans illusions, la vie est une affaire épouvantable. Les illusions ne reviendraient plus. Pourtant, vers huit heures et demie, elles étaient là, au coin du feu et menèrent joyeux train jusqu’à l’heure du coucher, où quelques gambades terminèrent la journée. »

    Quand on lui demande moins d’articles ou de critiques, Virginia avance dans son roman dont elle parle peu. Elle préside aussi la Guilde des femmes (réunions mensuelles, conférences) et travaille à l’impression, note les ennuis techniques. Se rend à une soirée chez Ottoline « toute velours et perles comme à son habitude » ou va dîner chez Roger Fry où elle parle avec Clive Bell de l’art d’écrire « avec des phrases, pas seulement avec des mots », en se basant non sur la structure mais sur la « texture ».

    (A suivre)

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  • Nafi en or !

    Quelle belle nouvelle à partager avec vous :

    Nafissatou Thiam a remporté l’or de l’heptathlon aux Jeux olympiques de Rio !

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    Photo gmx.net © dpa / Antonio Lacerda

    Résultats de cette merveilleuse athlète de 21 ans,
    avec cinq records personnels sur les 7 épreuves :

    100 mètres haies : 13.56

    Saut en hauteur : 1m98

    Lancer du poids : 14m91

    200 mètres : 25.10

    Saut en longueur : 6m58

    Lancer du javelot : 53m13

    800 mètres : 2:16.54

    Bravissimo !

    http://www.lavenir.net/cnt/dmf20160814_00864710/l-exploit-de-nafissatou-thiam-en-or-aux-jeux-olympiques-de-rio

  • Le grand escalier

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    « D’un dessin épuré, le grand escalier construit dans le belvédère est d’une simplicité remarquable. Traité en marbre noir et blanc et doté d’une rampe linéaire en marbre noir, il relève de l’esthétique dépouillée qu’affectionnait Mallet-Stevens. »

    La Villa Cavrois, Editions du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux, Paris, 2015.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • A la Villa Cavrois

    Premier août : nous découvrons enfin le chef-d’œuvre de l’architecte Mallet-Stevens, la Villa Cavrois, à présent « monument historique » français, qu’on peut visiter depuis la fin de sa formidable restauration en juin 2015 (on peut en mesurer l’ampleur sur le blog des Amis de la Villa Cavrois). Après plusieurs passages à la Villa Noailles (Hyères), nous étions curieux de la comparer avec cette architecture moderniste située à Croix (Nord) près de Roubaix. Villa-château du XXe siècle, celle-ci fut construite de 1929 à 1932 pour Paul et Lucie Cavrois, et inaugurée au mariage de leur fille Geneviève.

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    Dans un quartier résidentiel, encore campagnard à cette époque, la Villa Cavrois tranche avec les belles maisons des environs, de style néo-régionaliste. Son propriétaire, issu d’une famille enrichie dans l’industrie textile, voulait pour sa famille nombreuse (trois enfants du premier mariage de Lucie Vanoutryve avec Jean, le frère de Paul décédé en 1915, et quatre enfants de Lucie et Paul Cavrois) une vaste maison conçue pour un mode de vie moderne : air, santé, confort, lumière.

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    La maison du gardien (accueil), à l’angle du domaine, illustre d’emblée le choix de l’horizontalité : le joint horizontal noir en creux souligne les briques de parement jaunes spécialement conçues pour la villa (le joint vertical, discret, reste dans le ton). J’ignorais que Mallet-Stevens, neveu d’Adolphe Stoclet, avait visité plusieurs fois le palais Stoclet en cours de construction sur l’avenue de Tervueren à Bruxelles. Inspiré par l’œuvre d’art totale de l’architecte autrichien Josef Hoffman, il a opté ici pour un revêtement de façade résolument moderne, une brique jaune comme à l’Hôtel de Ville d’Hilversum (Dudok).

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    On découvre donc la façade nord de côté, en empruntant l’allée circulaire destinée aux automobiles qui déposaient les visiteurs devant l’entrée couverte, puis un deuxième cercle entoure une pelouse en creux, surmontée d’une belle dédicace de l’architecte. Même rondeur pour la constellation de verre dans l’auvent central et pour ses colonnes d’appui.

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    En contournant la Villa par l’est (ci-dessus), voici la piscine rectangulaire en parallèle avec la bâtisse, parfaitement intégrée (profondeur non restituée). La plus belle façade est au sud, côté jardin : des horizontales soulignées par les garde-corps blancs des terrasses et des balcons, et la tour d’escalier menant au belvédère, verticale en partie arrondie qui assure l’équilibre et la beauté géométrique de l’ensemble. Plus on s’en éloigne, par les allées du jardin, plus son dessin se laisse admirer.

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    Nous descendons quelques marches pour longer le bassin central au bout duquel s’offre la plus belle vue sur la villa, reflétée dans le miroir d’eau. Si on recule encore en empruntant l’allée derrière les rosiers, jusqu’au pied du grand hêtre pourpre qui clôt ce triangle de verdure, on trouve là deux bancs sur lesquels je vous invite à vous asseoir : la villa y apparaît juste entre les feuillages. Toutes les allées présentent des angles de vue intéressants.

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    Et maintenant, entrons. La porte donne sur un vestibule en marbre blanc très graphique – bandes blanches et noires pour les appliques et les « boîtes à lumière » à l’entrée du hall-salon (à comparer avec les décors de Mallet-Stevens pour Le Vertige, film de Marcel L’Herbier, en 1926), bandes chromées des cache-radiateurs, miroirs qui épousent les angles droits. Nous verrons beaucoup de miroirs dans la Villa Cavrois, jouant avec les volumes et surtout avec la lumière, et bien sûr de grandes baies vitrées, rendues possibles par le chauffage central.

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    Dans l’immense salon (92 m2, 6m75 sous plafond), une grande verrière donne sur le jardin juste dans l’axe du miroir d’eau. Le vert clair des murs est réchauffé par les bruns du parquet, des meubles en noyer et par le marbre jaune de Sienne autour de l’alcôve où l’on descend par quelques marches, sous un mur semi-cylindrique, pour s’asseoir près du feu ouvert. On retrouvera ces tons chauds dans le fumoir près du bureau de Paul Cavrois.

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    Des portes coulissantes ouvrent sur la salle à manger des parents, luxueuse, en marbre vert de Suède. Celle des enfants, juste à côté, est plus gaie. Des lattes horizontales en bois (zingana) strient les murs et encadrent un bas-relief sur le thème des loisirs : dominos, quilles, tourne-disques, mécano, raquettes…, je vous laisse découvrir sur la photo cette œuvre de Jan et Joël Martel refaite à l’identique. Puis vient le domaine des domestiques, au sol en damier noir et blanc (comme dans la plupart des sanitaires). La cuisine et ses annexes sont équipées d’un mobilier blanc fonctionnel en acier émaillé, les murs recouverts de faïence blanche jusqu’au plafond. Tout est pratique et lumineux.

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    A la Villa Cavrois, les matériaux et la décoration même minimaliste sont raffinés : couleurs et marbres différents pour chaque pièce, parquet, bois précieux. Mallet-Stevens a dessiné le mobilier dans le même esprit géométrique que la demeure. Il a fait installer partout un éclairage indirect, des haut-parleurs derrière des découpes rondes dans les murs, des horloges intégrées qui donnent l’heure dans toute la maison, comme à Hyères. Le plan reçu à l’entrée permet de se situer – aile des parents, aile des enfants, pièces du personnel. On peut aussi se munir d’une tablette avec application 3D et d’écouteurs pour obtenir des explications ou visualiser des photos anciennes.

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    Nous retraversons le vaste couloir pour découvrir dans une des chambres « de jeune homme », de l’autre côté du rez-de-chaussée, un jeu de couleurs et de lignes géométriques tout à fait dans l’esprit « De Stijl », alors qu’à l’étage, nous découvrirons de douces harmonies dans la chambre des parents. Leur salle de bains attenante est somptueuse. Mais je vous laisse la surprise des étages, des terrasses, je ne vais pas tout vous dévoiler, sauf ce coup de cœur  (ci-dessous) : le boudoir bleu de Lucie Cavrois, avec ses meubles blonds en sycomore, sa moquette d’un bleu plus soutenu et ses fauteuils de velours vert.

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    Malgré l’heure tardive, après la visite, nous avons pu déjeuner non loin de là, au Bô Jardin dans le parc de Barbieux, aussi j’offre un peu de publicité au restaurateur : la vue sur le parc fleuri y est fort agréable, le menu aussi. Un beau cadre pour se promener avant de reprendre la route.

  • Signé Virginia

    Woolf Oxford Street 1905.jpg« Lundi 27 février [1905] Ai rédigé un article sur les Bienfaits du Rire à l’intention de Mrs. L. – en grande partie du moins. Je ne me presse pas car je tiens à le soigner encore davantage. Nessa est partie à Alexandra House après déjeuner & moi j’ai emmené ce chien, doué d’un sens extraordinaire d’ubiquité, en promenade. Il ne me quitte plus d’une semelle, me suit à l’étage, en bas, se couche à côté de mon bureau quand j’écris, tout cela dans l’espoir que je lui fasse faire un tour l’après-midi. Je l’ai entraîné directement dans Oxford Street. Les rues me plaisent davantage que ce sinistre Regents Park. J’aime à regarder les choses. Retour à la maison – j’avais acheté l’Academy, censé contenir mon article ; mais mon sang d’auteur bout de colère : le titre a été changé, la moitié du texte a été supprimée des mots ont été rajoutés, d’autres modifiés & tout ce salmigondis est signé Virginia Stephen. Ils auraient pu me demander mon avis. Avons dîné de bonne heure avant de nous rendre à la soirée à A[lexandra]. H[ouse]. où l’on donnait une pièce de théâtre – un divertissement interminable. »

    Virginia Woolf, Journal d’adolescence

    Oxford Street vers 1905 Photo Christina Broom / Museum of London