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  • Bissextile

    Quel mot curieux, vous ne trouvez pas ?

     

    BI, qui convient aux deux sexes, figure dans l’Officiel du Scrabble depuis 1990.

    BIS ! Bravo ! Encore ! Et des bravi, et des brava, disait-on même autrefois.

    BISSE connaît deux genres : la bisse étant une couleuvre (héraldique), suivons plutôt le bisse, « canal de long parcours qui conduit l'eau d'un torrent ou d'un ruisseau de montagne jusqu'au-dessus des prés et des vignes qu'il irrigue » en Suisse romande. Cela fait quelques années que je me promène en juillet au pays des bisses, vous le savez peut-être.

    SEXTILE – qu’allez-vous imaginer ? Tous les quatre ans, dit encore le TLF, l'année républicaine comptait un sixième jour complémentaire en plus des cinq jours complémentaires ordinaires. Inconnu au Royaume de Belgique.

    BISSEXTILE, nous y voilà. Les mois, les semaines, les jours ont coulé avec l’eau du bisse, de 2008 à 2012. D’un 29 février à l’autre, 735 notes d’une Bruxelloise.

     

    Avec qui partager ce premier ou quatrième anniversaire, si ce n’est avec vous ?

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    Textes & Prétextes, quatre ans

     

     

  • Ecrire en rythme

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    Textes & Prétextes, deux ans

     

    Erik Orsenna sème régulièrement, depuis La grammaire est une chanson douce (2001), de petits cailloux lumineux pour qui aime la langue française. Rien d’académique même s’il siège depuis plus de dix ans au fauteuil du Commandant Cousteau. Et si on dansait ? raconte et explique la ponctuation avec la légèreté d’une apostrophe. « Au fond de nous, tout au fond est la musique, une sorte de rire silencieux de la gorge et du corps. Le reste, ce qu’on appelle « la profondeur », je veux dire le sérieux, l’arrêté, le pompeux, cette profondeur-là n’est que théâtre de surface. » (Discours de réception à l’Académie française, 17 juin 1999)   

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    Jeanne, seize ans, plaide coupable quand on l’appelle « dealeuse de phrases » ou « droguée de mots » ; dans son atelier clandestin, elle « fabrique des devoirs » à prix modeste pour « rendre service aux jeunes qui ne savent pas écrire ». Son frère Tom, encore endeuillé par la mort de leur vieil ami M. Henri, « le guitariste légendaire » (autre personnage de La grammaire…), se consacre, lui, à la musique. Et c’est ainsi que Jeanne est devenue « écrivain fantôme », par nécessité, vu que leurs parents ne s’occupent guère d’eux.

     

    L’experte en rédactions et commentaires composés ne gagne pas grand-chose avec ses pairs, elle se tourne donc vers une clientèle plus aisée, les adultes, qui lui commandent toutes sortes de lettres d’amour, ou, pour ceux et celles qui aiment le pouvoir, des discours. Elle s’applique alors à raccourcir les phrases, clarifier les développements, traque les hiatus et tempère sa passion pour les parenthèses.

     

    Inspirée par le travail musical de Tom, qui répète avec un métronome, Jeanne partage sa conviction : « Les êtres humains ont dû apprendre en même temps à parler et à chanter ». Comment employer des mots « sans musique » ? Ainsi commence cet Eloge de la ponctuation. Du point final, qui a pour Jeanne le goût d’un premier amour qui se termine, aux guillemets, ces chapeaux à demi renversés pour saluer l’auteur et le quitter, en passant par les précieuses virgules et le trop négligé point-virgule.

     

    Ecrire en rythme, voilà l’enjeu. Dans un Discours sur la Vertu (2000), passage obligé des Immortels, Orsenna en parlait déjà avec son talent de conteur : « Il était une fois une mèche et un souffle. Il était une fois un professeur qui, à peine assis, inspirait, ouvrait la bouche et ne la refermait et puis n’expirait que sonnée la fin du cours. Pendant ce temps, tout ce temps, des expressions lumineuses
    voletaient dans la salle, comme des papillons insaisissables et venaient nous picoter l’intellect et nous réveiller le cœur. Pendant ce temps, tout ce temps, la mèche tombait et retombait, comme pour battre la mesure de cette merveille de musique verbale. La mèche, le souffle et le professeur portaient le même nom. Vous avez reconnu Vladimir Jankélévitch. »

     

    Orsenna, l’amoureux de l’Afrique – on n’oublie pas sa délicieuse Madame Bâ –, fait inviter Jeanne par le Président Bonaventure dont elle a rédigé le programme électoral et de nombreux discours. Il a besoin d’elle pour bien recevoir le Président du Sénégal, le poète Léopold  Sédar Senghor. En survolant le rivage de l’archipel, Jeanne s’est étonnée du ruban noir qui pollue le bord de mer et dont les bulldozers ne viennent pas à bout. La nuit venue, elle s’y promènera pour mener sa propre enquête. Les mots et la ponctuation seront évidemment mêlés à cette étrange affaire.

     

    Avec allégresse et fantaisie, Et si on dansait ? raconte en une centaine de pages une charmante histoire de mots et de signes, illustrée par Montse Bernal, en deçà néanmoins de sa « chanson douce ». De quoi amuser les convaincus, instruire les débutants et séduire les amateurs de contes, à la suite des Chevaliers du subjonctif (2004) et de La révolte des accents (2007).

  • Vivre dans le feu

    Tzvetan Todorov, dans sa longue préface aux Confessions de Marina Tsvetaeva (ou Tsvetaïeva) récemment publiées par Le Livre de Poche, estime à un dixième environ des écrits intimes de la grande poétesse russe (1892 – 1941) les textes rassemblés dans ce volume intitulé Vivre dans le feu. Bouleversant.

    Russie d’avant et d’après la Révolution, Allemagne et Tchécoslovaquie, France (de 1925 à 1939), URSS : son destin tragique va de rendez-vous en rendez-vous avec les violences de l’histoire et de son histoire. Une fille adorée qui survivra à la misère mais s’éloignera d’elle, une autre morte à l’hospice, un époux admiré qui la laissera se débrouiller seule et dont les choix politiques seront calamiteux pour les siens, une vie sans douceur, une vie de chien.

    be4fa30878e360940374d81712949e68.jpgSa passion pour la poésie, la lecture, l’écriture ; le besoin d’être sinon aimée, du moins comprise ; la maladresse à vivre les choses matérielles mais l’effort constant de donner à sa famille tout ce qu’elle peut – ce sont les préoccupations constantes dont elle entretient ses correspondants. Amis ou amies, trop souvent de passage, elle se livre à eux toute entière dans ses lettres : « Je ne peux aimer que quelqu’un qui, par une journée de printemps, me préférera un bouleau. – C’est ma formule. » L’exaltation des débuts, elle la sait pourtant promise à la désillusion amoureuse. « L’amitié est chose aussi rare que l’amour, quant aux connaissances – je n’en ai pas besoin. » Les engouements se succèdent.

    La naissance d’un fils, Mour, en 1925, la comble. Elle lui offre sa devise : « Ne daigne ». « Ne daigne – quoi ? Rien qui abaisse : quoi que ce soit. Je ne daigne m’abaisser (à la peur, au lucre, à la douleur personnelle, aux considérations existentielles – et aux économies). »

    Mais Marina Tsvetaeva ne se trouve vraiment que dans la solitude et ses cahiers – « Pas la littérature, - l’auto-dévoration par le feu ». Au critique Bakhrakh, elle explique : « Le travail sur le verbe est un travail sur soi. » A Boris Pasternak, en 1927 : « Comprends-moi bien : je ne vis pas pour écrire des vers, j’écris des vers pour vivre. (…) Je n’écris pas parce que je sais, mais pour savoir. Tant que je n’écris pas à propos d’une chose (ne la regarde pas), elle n’existe pas. »

    « Sténographe de la vie », c’est l’épitaphe qu’elle souhaitait. Marina Tsvetaeva n’a pas de tombe connue dans le cimetière d’Elabouga où elle fut enterrée après son suicide. « La manière dont nous subissons notre mal de vivre – voilà notre liberté. » Je l’ai lue le cœur battant.