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peinture - Page 83

  • L'Hermitage expose

    Ceux qui ont eu la chance, cet été, de cheminer vers la belle maison-musée de l’Hermitage, avec son parc surplombant Lausanne, sa vue sur la vieille ville et sur le lac Léman, pour y visiter Van Gogh, Bonnard, Vallotton et les autres artistes de la collection Arthur et Hedy Hahnloser vous diront tous, j’imagine, de vous y rendre, si vous le pouvez, avant le 23 octobre prochain – c’est une magnifique exposition.

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    Le parcours commence au sous-sol où l’on fait connaissance avec ce couple suisse à travers des photos de leur Villa Flora à Winterthur, de leur famille et des nombreux artistes qu’ils y ont invités. « On ne collectionne pas les amitiés, ce sont elles qui se rejoignent pour former le milieu dans lequel on s’épanouit », déclarait Hans Hahnloser, leur fils. Certains artistes les retrouvaient aussi à Cannes, à la Villa Pauline. La collection est née du « besoin irrépressible de regarder le monde à travers les yeux d’un maître » (Hedy Hahnloser).

     

    Ils se sont d’abord intéressés aux artistes suisses : « les petits arbres » de Hodler, Giovanni Giacometti (le père du sculpteur), entre autres. Près d’un joyeux autoportrait de celui-ci et de deux Fleurs de tournesol signées Van Gogh, de beaux paysages alpins de Ferdinand Hodler, un Cerisier, un Rosier dans un pré. Puis viennent les Nabis, avec quelques Vallotton dont une sobre et lumineuse Baigneuse en chemise, Maurice Denis et les premiers Bonnard de l’exposition, splendides.

     

    Dans Les régates, une petite toile, tout est en mouvement dans le ciel et sur la mer. Le débarcadère de Cannes, choisi pour l’affiche, y est tronqué d’un pan essentiel : à gauche des personnages accoudés à une rambarde blanche pour regarder une mer d’un bleu vibrant, le peintre a renforcé le jaune des piliers en bois avant de considérer ce tableau comme achevé. Il en ira de même pour ce dernier chef-d’œuvre que Bonnard a peint avant de mourir, L’amandier en fleurs, non exposé ici : c’est après y avoir couvert le vert du terrain à gauche de jaune d’or qu’il en a été content. Je m’en suis souvenue devant ce Débarcadère – il y a toute une histoire de l’art à raconter autour de cette couleur, où prendrait place aussi le « petit pan de mur jaune » dans la Vue de Delft de Vermeer pour lequel Bergotte, l’écrivain imaginé par Proust, se rend à une exposition malgré sa maladie et y meurt…

     

    Le fauvisme est bien présent dans la galerie souterraine de l’Hermitage : Matisse, Manguin, Vuillard… Sur le mur du fond, La sieste ou le rocking-chair, Jeanne représente l’épouse de Manguin se reposant dans un cadre paradisiaque, à l’ombre des arbres, devant un paysage ensoleillé de la Côte d’Azur. Il a peint aussi la Villa Flora de ses mécènes, et Le thé à la Villa Flora où Hedy Hahnlöser et Jeanne, l’épouse de Manguin, lisent, attablées au jardin.

     

    Au rez-de-chaussée, on visite l’exposition comme la villa, de pièce en pièce, en admirant aussi les parterres fleuris qu’on aperçoit par les fenêtres. Renoir voisine avec Cézanne – Groupe de maisons (Les toits) – et Van Gogh – Impression du quatorze juillet, une rue pavoisée. Toute la grande salle suivante est consacrée à Bonnard (collection dans la collection), des œuvres plus vivantes les unes que les autres, deux Nus (jamais vus), la fameuse Nappe à carreaux rouges ou Le déjeuner du chien (Black), La Bouillabaisse (ou peut-être le dîner du chat qui se frotte au pied de la table)… Puis une petite mais splendide salle Odilon Redon chez qui Bonnard admirait « deux qualités presque opposées : la matière plastique très pure et l’expression très mystérieuse ». Ce sont Adam et Eve, L’arbre, Le rêve ou la pensée, Le vase turquoise (un bouquet comme seul Redon en peint) ou Le vase bleu, autre épisode de l’histoire d’une rencontre parfaite avec la note jaune.

     

    Encore des Bonnard au premier étage, où l’on découvre surtout de grandes toiles de Vallotton, plus froides en comparaison, au dessin plus précis, l’énigmatique réunion de La Blanche et la Noire (l’une nue, couchée, l’air de dormir ; l’autre assise en robe bleue, cigarette en bouche, les bras croisés). Deux paysages éclatants de soleil : La charrette et La grève blanche.

     

    La villa de l’Hermitage, contemporaine de la villa Flora à Winterthour, restitue bien l’esprit de cette collection qui a grandi au fil des amitiés, puisque leurs relations personnelles avec ces artistes ont mené les Hahnloser à acquérir leurs œuvres et non l’inverse. Un riche catalogue permet de faire mieux connaissance avec ce couple qui a mis l’art au centre de leur vie. Hedy, après avoir appris la peinture, s’était tournée vers les arts appliqués, bijoux, tissus, décoration de la maison. J’espère visiter un jour cette belle Villa Flora à Winterthur même. Mais à Lausanne, vous verrez (je suis loin de vous en avoir tout dit), s’offre une exposition de toute beauté, pleine de surprises, variée, « charnelle et lumineuse ».

  • Choc

    « Le spectacle du ciel me bouleverse. »

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    Miró © 2007 Art Point France

     

    « Je commence mes tableaux sous l’effet d’un choc que je ressens et qui me fait échapper à la réalité. La cause de ce choc peut être un petit fil qui se détache de la toile, une goutte d’eau qui tombe, cette empreinte que laisse mon doigt sur la surface brillante de cette table. De toute façon, il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme crée une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. »

    Miró, Je travaille comme un jardinier (cité par Roland Penrose, Joan Miró, Thames & Hudson, 1990.)

  • Miró peintre poète

    Le dimanche 19 juin, l’exposition « Joan Miró peintre poète » fermera ses portes à l’Espace Culturel ING, sur la Place Royale à Bruxelles. Ne la manquez pas, il vous reste une semaine. Ce sont 120 peintures, gravures, sculptures et dessins où la fantaisie créatrice de l’artiste catalan s’en donne à cœur joie, ce qui n’exclut pas le noir de sa palette, où priment souvent les couleurs primaires. Les œuvres proviennent des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et surtout de la Fondation Joan Miró de Barcelone. Voici l'affiche.

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    Déjà La danseuse espagnole, Olée, en début de parcours, signale et l’esprit facétieux du peintre et la présence des mots dans sa peinture. « J’ai beaucoup fréquenté les poètes, car je pensais qu’il fallait dépasser la « chose plastique » pour atteindre la poésie… Vivre avec la dignité d’un poète » déclare Miró (1893-1983) dont l’atelier parisien voisinait avec celui du peintre surréaliste André Masson. Il rencontre alors Reverdy, Tristan Tzara, Max Jacob, Artaud, Michel Leiris…

    Louis Marcoussis grave un Portrait de Miró à la pointe sèche en 1938, présenté en quatre états successifs : son modèle le complète, ajoute ici une araignée, là une étoile, y inscrit « Pluie de lyres » et « Cirques de mélancolie » jusqu’à une quatrième version où son visage se couvre de lignes et de signes. Quelques collages esquissent une façon de faire : sur la page blanche, Miró éparpille de petites illustrations d’objets découpées dans des magazines, sans rapport apparent. Il procèdera de même dans ses « poèmes-tableaux » ou « dessins-poèmes » comme Tête de fumeur, à la manière d’un rébus. Sur une photo de son atelier à Palma de Majorque, les murs aussi portent ses hiéroglyphes.

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    Miró, Chiffres et constellations amoureux d’une femme
    © Miró successió / Sabam Belgium

    Au cœur de cette exposition, disposées sur un arc de cercle, les 22 fameuses « Constellations » peintes en 1940-1941, d’abord à Varengeville-sur-mer (Normandie) puis à Palma et à Montroig. Les gouaches originales ont été dispersées, mais on peut les découvrir grâce à ces reproductions rehaussées au pochoir rassemblées dans un album avec un texte d’André Breton : « Le lever du soleil », « L’échelle de l’évasion »… Des aplats noirs, des couleurs primaires, des formes stylisées. Tout un bestiaire – araignée, chenille, escargot, chat, poisson, tortue, baleine – flotte dans les ciels de Miró où les étoiles, la lune s’offrent à l’œil grand ouvert qui les contemple au milieu de cercles, flèches et autres diabolos noirs.

    Un titre sur deux, il m’a semblé, contient le mot « femme », souvent associé à « oiseau ». Peindre, pour Miró, c’est peupler l’espace. J’entends quelqu’un dire « c’est enfantin », puis se reprendre : « c’est poétique », et je laisse résonner en moi ces deux qualificatifs. Il y a tant à voir dans ces Constellations, comme dans un tapis d’Orient aux multiples motifs, avec leurs variantes, que les grandes toiles à l’acrylique, par contraste, semblent lourdes, brutales. 

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    Miró, Partie de campagne

    A côté, deux beaux ensembles en vis-à-vis : « Archipel sauvage », six gravures au ciel nocturne, et « Partie de campagne » (1967), cinq autres, à l’eau-forte et aquatinte : sur un fond clair, des taches de couleurs s’étendent, comme si elles venaient de se poser, du vert surtout, mais aussi du jaune, du rouge, et dialoguent avec les lignes et les formes. C’est simple, léger, paradisiaque. « Je travaille comme un jardinier. Les formes s’engendrent en se transformant. »

    Miró voulait « détruire tout ce qui existe en peinture », seul « l’esprit pur » l’intéressait. Apprécié comme illustrateur – l'exposition propose des pages de Parler seul de Tristan Tzara, d' A toute épreuve d’Eluard –, Miró aime « dire avec la ligne », comme dans la série « Haïku ». Et quand le pinceau ou la plume se taisent, il bricole avec des boites de conserve, des cartons à œufs, toutes sortes d’objets de récupération. Coulées dans le bronze, ce sont ses sculptures, à nouveau des « femmes » , le plus souvent. Ou une étonnante « Tête de taureau ».

    « Conquérir la liberté, c’est conquérir la simplicité » : ces mots résument bien la trajectoire de Joan Miró, peintre et poète. Cet homme qui éprouvait le « besoin d’échapper au côté tragique » de son tempérament, reste l’inventeur d’une nouvelle calligraphie où les choses les plus simples, reconnaissables ou non, par la grâce du geste pictural, entrent dans la danse.

  • Arabie

    « De mon environnement terne et banal et “respectable”, le Djinn m’emporta immédiatement au pays de ma prédilection, l’Arabie, une région si familière à mon esprit qu’à première vue elle semblait être une réminiscence de quelque vie métempsychique antérieure dans un lointain Passé. »

     

    Richard Francis Burton (Guide du Visiteur de L’Orientalisme en Europe)

     

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    Jean-Léon Gérôme
    Femmes fellahs puisant de l'eau, Médine-el-Fayoum © NAJD Collection
    http://www.expo-orientalisme.be/
  • Vers l'Orient

    Beaucoup de monde aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles pour les derniers jours de L’Orientalisme en Europe, de Delacroix à Kandinsky (jusqu’au 9 janvier 2011). Le rêve de Fabio Fabbi qui accueille les visiteurs en indique plusieurs composantes : scène exotique, tissus et objets pittoresques (le narguilé), portrait coloré. L’attrait pour l’Orient (de l’Espagne mauresque au Moyen-Orient, des Balkans au Maghreb), plus qu’un courant pictural, est un phénomène culturel qui touche au XIXe siècle toutes les disciplines : littérature, architecture, peinture, photographie… En contrepoint à ce regard européen, trois écrans diffusent, à l’entrée de l’exposition, des « Témoignages », réactions de personnes d’origines diverses aux œuvres sélectionnées.

     

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    Tissot James, Les Rois mages en voyage
    © Minneapolis Institute of Arts, The William Hood Dunwoody Fund
    http://www.expo-orientalisme.be/

     

    Filippo Lippi, esclave à Alger, fait le portrait de son maître, par Bergeret, illustre l’optique réaliste choisie par les peintres orientalistes, qu’ils soient français, anglais, allemands, italiens ou belges. Parmi diverses représentations de la mort de Cléopâtre, j’ai retenu une toile spectaculaire de Hans Makart et un fragment de Chassériau, Tête d’une servante en larmes. Joseph, contremaître des greniers de Pharaon (Tadema) baigne dans une jolie lumière plus claire que sur la reproduction – tissus blancs, fresques douces, motifs fleuris dans le bas du mur.

     

    L’engouement pour l’Egypte ancienne dérive d’une politique de conquête. « Joindre l’éclat de votre nom à la splendeur des monuments d’Egypte, c’est rattacher les fastes glorieux de notre siècle aux temps fabuleux de l’histoire, c’est réchauffer les cendres des Sésostris et des Mendès, comme vous conquérants, comme vous bienfaiteurs » écrit Vivant Denon à Bonaparte. La section « Un échiquier politique » présente des rencontres officielles et des scènes guerrières, des aquarelles de Théodore Frère engagé dans la suite de l’Impératrice Eugénie pour son voyage en Orient.

     

    Une Femme voilée de Gérôme aux visage, bras et pieds d’ivoire (éléphantine) et en robe de bronze n’est qu’hommage à une féminité gracieuse, loin des préoccupations d’aujourd’hui ou de la Femme arabe portant une cruche de Léopold Carl Müller. Un Portrait de Mustapha par Girodet, outre un visage expressif, fait la part belle aux tissus : veste rouge doublée de bleu, sous-veste ocre, chemise brune sur du linge blanc – pourquoi les hommes occidentaux portent-ils si souvent des couleurs neutres ? Et voilà Delacroix, présent dans différentes salles : Le Kaïd, chef marocain, sur son cheval ; une Vue de Tanger ; La mort de Sardanapale ; une Chasse au tigre, entre autres. Les architectures grandioses d’Egypte ont inspiré bien des paysagistes, mais aussi l’Espagne mauresque à Grenade ou Tolède avec ses colonnes et ses beaux arcs richement décorés, ses mosquées. L'Orient est aussi « carrefour des religions ».

     

    « Rêves hédonistes… » met en scène le harem et les fantasmes avec la fameuse Esclave blanche de Lecomte du Nouÿ à l’affiche. Près de la séduisante rousse qui souffle la fumée de sa cigarette, une nature morte raffinée sur une nappe posée à terre : orange épluchée, vaisselle décorée, verreries, « Luxe, calme et volupté ». Gérôme ou Ingres ont peint le hammam : Le bain maure, La petite Baigneuse. D’autres proposent des rapts et des razzias aux dépens de blanches chrétiennes.

     

    Prévoyez du temps pour visiter L’Orientalisme en Europe : il y a beaucoup à voir, dans des genres divers. Les types humains y inspirent la section « Au nom de la science » : des portraits, dont ce Portrait d’un Nubien par Monsted, des bronzes de Charles Cordier, une Beauté de Tanger à l’aquarelle par Tapiró Baró. Les œuvres viennent de musées européens, américains ou du Moyen-Orient, et aussi de
    collections particulières. Chacun y trouvera de quoi réjouir le regard : des Rois Mages de Tissot aux jaunes et oranges éclatants, de grands paysages, des étals de marchands, des déserts, des visages, des foules, des rêveurs et des rêveuses, sans oublier l’Arabe au grand chapeau d’Etienne Dinet (sans la vannerie du Quai Branly !). Je ne donnerai pas le dernier mot au cavalier de Kandinsky (Improvisation III) mais à Paul Klee : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. »