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peinture - Page 83

  • Vers l'Orient

    Beaucoup de monde aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles pour les derniers jours de L’Orientalisme en Europe, de Delacroix à Kandinsky (jusqu’au 9 janvier 2011). Le rêve de Fabio Fabbi qui accueille les visiteurs en indique plusieurs composantes : scène exotique, tissus et objets pittoresques (le narguilé), portrait coloré. L’attrait pour l’Orient (de l’Espagne mauresque au Moyen-Orient, des Balkans au Maghreb), plus qu’un courant pictural, est un phénomène culturel qui touche au XIXe siècle toutes les disciplines : littérature, architecture, peinture, photographie… En contrepoint à ce regard européen, trois écrans diffusent, à l’entrée de l’exposition, des « Témoignages », réactions de personnes d’origines diverses aux œuvres sélectionnées.

     

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    Tissot James, Les Rois mages en voyage
    © Minneapolis Institute of Arts, The William Hood Dunwoody Fund
    http://www.expo-orientalisme.be/

     

    Filippo Lippi, esclave à Alger, fait le portrait de son maître, par Bergeret, illustre l’optique réaliste choisie par les peintres orientalistes, qu’ils soient français, anglais, allemands, italiens ou belges. Parmi diverses représentations de la mort de Cléopâtre, j’ai retenu une toile spectaculaire de Hans Makart et un fragment de Chassériau, Tête d’une servante en larmes. Joseph, contremaître des greniers de Pharaon (Tadema) baigne dans une jolie lumière plus claire que sur la reproduction – tissus blancs, fresques douces, motifs fleuris dans le bas du mur.

     

    L’engouement pour l’Egypte ancienne dérive d’une politique de conquête. « Joindre l’éclat de votre nom à la splendeur des monuments d’Egypte, c’est rattacher les fastes glorieux de notre siècle aux temps fabuleux de l’histoire, c’est réchauffer les cendres des Sésostris et des Mendès, comme vous conquérants, comme vous bienfaiteurs » écrit Vivant Denon à Bonaparte. La section « Un échiquier politique » présente des rencontres officielles et des scènes guerrières, des aquarelles de Théodore Frère engagé dans la suite de l’Impératrice Eugénie pour son voyage en Orient.

     

    Une Femme voilée de Gérôme aux visage, bras et pieds d’ivoire (éléphantine) et en robe de bronze n’est qu’hommage à une féminité gracieuse, loin des préoccupations d’aujourd’hui ou de la Femme arabe portant une cruche de Léopold Carl Müller. Un Portrait de Mustapha par Girodet, outre un visage expressif, fait la part belle aux tissus : veste rouge doublée de bleu, sous-veste ocre, chemise brune sur du linge blanc – pourquoi les hommes occidentaux portent-ils si souvent des couleurs neutres ? Et voilà Delacroix, présent dans différentes salles : Le Kaïd, chef marocain, sur son cheval ; une Vue de Tanger ; La mort de Sardanapale ; une Chasse au tigre, entre autres. Les architectures grandioses d’Egypte ont inspiré bien des paysagistes, mais aussi l’Espagne mauresque à Grenade ou Tolède avec ses colonnes et ses beaux arcs richement décorés, ses mosquées. L'Orient est aussi « carrefour des religions ».

     

    « Rêves hédonistes… » met en scène le harem et les fantasmes avec la fameuse Esclave blanche de Lecomte du Nouÿ à l’affiche. Près de la séduisante rousse qui souffle la fumée de sa cigarette, une nature morte raffinée sur une nappe posée à terre : orange épluchée, vaisselle décorée, verreries, « Luxe, calme et volupté ». Gérôme ou Ingres ont peint le hammam : Le bain maure, La petite Baigneuse. D’autres proposent des rapts et des razzias aux dépens de blanches chrétiennes.

     

    Prévoyez du temps pour visiter L’Orientalisme en Europe : il y a beaucoup à voir, dans des genres divers. Les types humains y inspirent la section « Au nom de la science » : des portraits, dont ce Portrait d’un Nubien par Monsted, des bronzes de Charles Cordier, une Beauté de Tanger à l’aquarelle par Tapiró Baró. Les œuvres viennent de musées européens, américains ou du Moyen-Orient, et aussi de
    collections particulières. Chacun y trouvera de quoi réjouir le regard : des Rois Mages de Tissot aux jaunes et oranges éclatants, de grands paysages, des étals de marchands, des déserts, des visages, des foules, des rêveurs et des rêveuses, sans oublier l’Arabe au grand chapeau d’Etienne Dinet (sans la vannerie du Quai Branly !). Je ne donnerai pas le dernier mot au cavalier de Kandinsky (Improvisation III) mais à Paul Klee : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. »

  • Pour l'artisan

    « Comme tout est différent pour l’artisan qui transforme une partie du monde avec ses propres mains, qui peut voir son œuvre comme émanant de son être et peut, à la fin d’une journée ou d’une vie, regarder un objet – que ce soit un
    carré de toile peinte, une chaise ou un pot d’argile – et y voir un réceptacle stable de ses talents et un reflet exact de ses années d’efforts, et se sentir ainsi rassemblé en un seul lieu, plutôt que dispersé dans des projets depuis longtemps évaporés, réduits à rien de tangible ou de visible. »

    Alain de Botton, Splendeurs et misères du travail (VI. Peinture)

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  • Du travail / 2

    Splendeurs et misères du travail, l'essai d’Alain de Botton quitte les voies de l’industrie et du transport pour nous amener à contempler un peintre au travail. Stephen Taylor peint depuis cinq ans le même chêne auprès duquel il se rend dans une vieille Citroën avec tout son matériel, à nonante kilomètres au nord-est de Londres, « submergé par le sentiment que quelque chose dans cet arbre très ordinaire demandait à être peint, et que s’il parvenait à lui rendre justice, sa vie serait, d’une façon indistincte, justifiée, et ses épreuves sublimées. » Taylor a vu ce
    chêne pour la première fois, cinq ans avant, après la mort de sa petite amie. L’art de peindre les feuilles lui a été enseigné par Homme à la manche bleue du Titien, à la National Gallery : « Titien lui avait appris l’économie : comment suggérer les choses plutôt que les expliquer ».

     

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    Pylônes électriques à la Gare Vimont à Laval, photo Francely Rocher (Wikimedia commons images)

     

    VII. Pylones et câbles raconte un tout autre voyage, en voiture et à pied avec un installateur de pylônes pour suivre l’itinéraire d’une des lignes à haute tension les plus importantes du Royaume Uni. 542 pylônes, 175 km. Le compagnon d’Alain de Botton lui montre son encyclopédie de poche des pylônes, de toute taille et de toute forme. Il lui explique « l’effet de couronne », ce bruit intense sous la ligne, la composition du câble, nonante et un brins d’aluminium tordus comme une corde.
    En le voyant noter des équations qui calculent la force gravitationnelle exercée sur le câble, Botton envie les ingénieurs pour leur langage concis et international, rêve d’un pareil code applicable aux sentiments. Comme les moulins à vent ont été magnifiés par les peintres paysagistes hollandais, il faudrait que les pylônes à haute tension et leurs câbles soient appréciés à leur juste valeur, et qu’on ne les efface plus des paysages de cartes postales.

     

    Le chapitre sur la comptabilité a pour décor un de ces nouveaux immeubles de verre
    le long de la Tamise, avec leur hall où « l’attente semble être la plus ancienne activité humaine ». Dans une entreprise de cinq mille employés, Botton a l’occasion d’observer les comportements durant une journée de travail. Réveil à cinquante kilomètres de Londres. Dans le train, lecture du journal – « Lire le journal, c’est porter un coquillage à son oreille et être assourdi par le brouhaha de l’humanité ». Au bureau, chacun joue son rôle. « Qu’il est rassurant d’être cantonné dans un certain rôle par l’idée que les autres se font de soi, au lieu d’être contraint de songer, dans la solitude du petit matin, à tout ce qu’on aurait pu être et ne sera jamais… » Le bien-être mental des employés est devenu une préoccupation majeure des patrons.

     

    Tout autre est l’univers des inventeurs, des petits entrepreneurs. A leur salon annuel, Botton a rendez-vous avec un Iranien inventeur de « chaussures qui marchent sur l’eau », mais celui-ci est retenu à l’aéroport où on le traite comme suspect de terrorisme. Un compatriote inventeur d’une protection anti-collision vient à sa place. Admiratif de l’esprit d’entreprise, de toutes ces personnes convaincues du potentiel
    de leur innovation, l’essayiste est douché par les statistiques qu'on lui communique : 99,9 % de ces candidats échouent, preuve que « nous préférons finalement l’excitation et le désastre à l’ennui et à la sécurité ». Mais il suffit d’un « Sir Bob » à la réussite stupéfiante pour ressentir devant ces héros de la réussite commerciale une envie mêlée d’un sentiment d’insuffisance.

    Le dernier chapitre intitulé Aviation découle d’une commande par un journal slovène d’un article sur le Salon du Bourget. Du représentant solitaire de l’Arabie Saoudite assis au milieu d’un stand luxueux mais vide aux jeunes et timides responsables du marketing d’un nouveau jet japonais, Alain de Botton observe les choses et les gens, inlassable curieux de notre monde, philosophe intéressé par nos grandeurs et nos petitesses. Pour conclure Splendeurs et misères du travail, l’auteur, aux accents parfois mélancoliques, observe que finalement, l’importance exagérée que les mortels donnent à ce qu’ils font, « loin d’être une erreur intellectuelle, est en réalité la vie elle-même coulant en nous ».

  • La couleur

    « Loin de tout, sur l’île de Tahiti, Paul Gauguin écrivait en 1891 que, puisque la couleur elle-même était mystérieuse dans les sensations qu’elle procurait, on pouvait en toute logique en jouir, non comme dessin mais comme source de sensations dérivées de sa nature propre, de sa force intérieure mystérieuse et énigmatique. »

     

    Alberto Manguel, Le Livre d'images

     

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  • Lire des images / 3

    « Tout portrait est, en quelque sens, un autoportrait qui réfléchit celui qui le regarde. Parce que « l’œil ne se rassasie pas de voir », nous prêtons à un portrait nos perceptions et notre expérience. Dans l’alchimie de l’acte créateur, tout portrait est un miroir. » Ainsi s’ouvre, dans Le Livre d’images de Manguel, Philoxène – L’image reflet, autour d’une mosaïque conservée à Naples, La bataille d’Issos, où l’on voit Alexandre se lancer à la poursuite de Darius, une mêlée de chevaux et de cavaliers – « Le ciel est une forêt de lances obliques. » Manguel, au départ d’une scène de guerre, remonte le temps et interroge l’art de montrer un visage. Les relations des Grecs avec leurs reflets dans un miroir, nos propres rapports avec nos traits qui évoluent, s’altèrent au cours de notre vie, les miroirs dans la peinture, les autoportraits de Rembrandt, l’essayiste ouvre de multiples voies à la réflexion.

     

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    La Femme qui pleure de Picasso – l’image violence, aujourd’hui conservée à la Tate Gallery (Londres), est « petite, de la taille d’un visage humain, elle brûle de couleurs complémentaires qui attirent l’œil dans des directions opposées : vert et rouge, violet et jaune, orange et bleu. » Comment, interroge Manguel, supporter de regarder « ce chagrin très privé » ? L’essayiste rappelle comment Picasso et Dora Maar se sont rencontrés, comment ils se querellaient, comment, lorsqu’elle fondait en larmes, Picasso sortait son carnet et son crayon. De ces portraits torturés, Dora Maar dira un jour : « Tous sont Picasso, pas un seul n’est Dora Maar. »

     

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    La première image sculptée, dans cet essai, est le Saint Pierre de L’Aleijadinho. « Comme les Français dans la pierre et les Italiens dans le marbre, les architectes du Portugal avaient trouvé dans le bois doré leur matériau idéal. » Au Brésil, dans l’Etat de Minas Gerais, pousse un cèdre brésilien dont la souplesse permet « de fines ciselures ». L’Aleijadinho, « le petit éclopé », fils de peintre, souffrait de diverses maladies affectant sa peau et ses articulations, puis sa vue, et se faisait assister par Mauricio, un esclave africain très doué. Devenu l’un des artistes « les plus renommés et les plus demandés au Minas Gerais », il réalise pour le sanctuaire de Congonhas « soixante-seize sculptures (…) parmi les plus puissantes et les plus spectaculaires de leur temps ».

     

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    Église du sanctuaire du Bon Jésus de Matosinhos à Congonhas, Minas Gerais, Brésil,
     avec les Prophètes sculptés par Aleijadinho,
    photographie de Eric Gaba (Sting - fr:Sting) sur Wikimedia Commons Images

    Manguel s’arrête aussi sur l’image architecturale (Claude Nicolas Ledoux – L’image philosophie), sur le monument du mémorial de l’Holocauste à Berlin (Peter Eisenman – L’image mémoire), sur la grande toile des Sept œuvres de la miséricorde signée Le Caravage pour l’église Pio Monte delle Misericordia à Naples. Pour conclure sur la richesse de ce Livre d’images où chaque lecteur devrait trouver son bonheur, voici ce qu’écrit Alberto Manguel dans sa conclusion : « Nous vivons dans l’illusion que nous sommes des créatures d’action ; il serait sans doute plus sage de nous considérer, ainsi que le suggère la philosophie hindoue appelée Sâmkhya, comme les spectateurs d’un éternel défilé d’images. »

    (entre-deux)