ART POETIQUE
Ecrire en vaut-il la peine
Des mots, des mots
Pourtant il ne faut pas dire : Hippocrène
je ne boirai plus de ton eau.
La poésie,
je la rencontre parfois à l’improviste
Elle est seule sous un saule
et recoud ma vie déchirée.
Ecoute le son de la pluie dans les gouttières de zinc
Aime les formes brèves et les couleurs vives
Foin des natures mortes et des tableaux vivants
Fous-toi de la rime
Que la tour d’ivoire devienne une maison de verre
et se brise.
Epitaphe :
Encor qu’il naquit malhabile
Il ne resta point immobile
Et disparut chez les Kabyles
D’un accident d’automobile.
Paul Neuhuys, Le Canari et la Cerise, 1921.
Parmi les poètes belges, c’est un de ceux à qui je reviens régulièrement, je sais qu’il me fera sourire à coup sûr. On a beau dire de Paul Neuhuys (1897-1984) est un volume de la collection Espace Nord, une anthologie qui rassemble des poèmes de 1921 (Le Canari et la Cerise) à 1984 (L’Agenda d’Agenor).
Que vous dire de cet Anversois épris de langage et de liberté et de liberté du langage poétique ? Le blog de la Fondation Ca ira ! le présente comme « le principal animateur du groupe et de la revue Ça ira, éditeur attentif et persévérant, poète témoin tour à tour optimiste et pessimiste, de son siècle (…) » Paul Neuhuys était l’ami de Max Elskamp, de Ghelderode, de Hellens, de Norge, entre autres. Il a publié discrètement, à des tirages limités, « des recueils où il affiche une superbe liberté de ton. » (Paul Emond)
Dans cette précieuse anthologie tissée de fils de différentes couleurs, aux motifs de fantaisie, je déroule tantôt l’un, tantôt l’autre : la ville, la poésie, l’amour, les fleurs, le voyage, la fête… Un seul mot, souvent, suffit à titrer ses poèmes : « Histoire », « Palmarès », « Lobélie »… Des textes courts, rythmés, et savoureusement imprévisibles. Pour vous, aujourd’hui, j’ai tiré sur le fil de la poésie.
ART POETIQUE
Cent fois, j’ai déposé mon crayon sur la table,
et cent fois remisé mon cochon à l’étable,
pour que passe en mes vers un souffle délectable.
O poète local, ô poète vocal,
On dira que tes jeux de style sont factices
que de plaire en parole et d’aimer en peinture
fut ta seule façon de goûter la nature,
Châteaux de cartes, Pont des Soupirs, Boîte à Malices,
que le temps balaiera un si frêle édifice.
Mais l’art des vers est, comme l’amour, disparate.
C’est à vouloir viser trop haut que l’on se rate.
Paul Neuhuys, La Fontaine de Jouvence, 1936.