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littérature - Page 17

  • Se voir, s'écrire

    De Téhéran encore : « La Perse a pris une teinte magenta et pourpre : des avenues d’arbres de Judée, des buissons de lilas, des torrents de glycines, des hectares de pêchers en fleur. (…) Et c’est là, qui sait ?, l’une des raisons pour lesquelles j’aime mieux les femmes que les hommes, (même platoniquement,) parce qu’elles se donnent plus de mal pour façonner l’amitié et qu’elles sont plus expertes en cet art ; c’est vraiment leur affaire ; les hommes sont trop gâtés et trop paresseux. » (Vita, 8/4/1926) 

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    Vita Sackville-West rentre en Angleterre pour l’été, c’est le bonheur des retrouvailles : « Chère Mrs. Woolf, Je tiens à vous dire quel plaisir j’ai eu à passer ce week-end avec vous… Ma Virginia chérie, tu ne peux savoir combien j’ai été heureuse. » (17/6/1926) Elle repart pour la Perse à la fin du mois de janvier. Virginia travaille : « J’ai fermé la porte aux mondanités, je me suis enfouie dans un terrier humide et sinistre, où je ne fais rien d’autre que lire et écrire. C’est ma saison d’hibernation… » (5/2/1927) 

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    L’enthousiasme de Vita pour l’Asie centrale ne faiblit pas, Virginia lui écrit de Cassis où les Woolf passent leurs vacances pour lui annoncer sa nouvelle coiffure à la garçonne. De retour à Long Barn en mai, sa « très chère petite mule West » est enchantée par la lecture de La promenade au phare. Elle rassure Virginia à propos de ses autres amies : « J’aime te rendre jalouse ; ma chérie, (et je continuerai à le faire,) mais c’est ridicule que tu le sois. » (4/7/1927) 

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    Photo : http://www.smith.edu/libraries/libs/rarebook/exhibitions/images/penandpress/large/11a_orlando_gaige.jpg 

    Virginia Woolf entreprend alors d’écrire Orlando, son fameux roman inspiré par Vita. En mars 1928 : « ORLANDO EST FINI !!! N’as-tu pas senti une espèce de saccade, comme si on t’avait brisé le cou samedi dernier à une heure moins 5 ? » Quand elle l’aura lu, Vita se dira « éblouie, ensorcelée, enchantée, comme sous l’effet d’un envoûtement », elle en est bouleversée. Virginia lui a fait parvenir le jour de sa publication un exemplaire spécialement relié à son intention et la réponse enthousiaste de Vita lui vaut un télégramme en retour : « Ta biographe est infiniment soulagée et heureuse. » Virginia lui offrira aussi le manuscrit, légué par Vita à Knole (National Trust).

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    Les Nicolson en poste à Berlin, Virginia ira cette fois leur rendre visite, au grand plaisir de Vita, mais elle en reviendra avec la grippe et malade pour des semaines. Vita s’en désole, prend régulièrement de ses nouvelles, lui décrit la délicieuse Pensione qu’ils ont dénichée pour leurs vacances à Rapallo – « Pourquoi vit-on ailleurs que dans le Sud ? »

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    Ce sera un grand soulagement lorque Harold Nicolson démissionnera de la carrière diplomatique pour d’autres activités en Angleterre. Vita se lance bientôt dans la restauration du château quasiment en ruine de Sissinghurt, à laquelle elle consacre beaucoup de temps, ce qui ne l’empêche pas de voyager avec Harold, notamment pour des conférences aux Etats-Unis. Les années passent et les deux femmes continuent l’une et l’autre à écrire, avec succès, à se voir et à s’écrire.

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    Vita et Virginia à Monk's House, 1933

    Les restrictions à l’approche de la seconde guerre mondiale touchent davantage les Woolf à Londres que Vita à la campagne, au moins dans un premier temps. Elle leur envoie du beurre, du pâté pour Noël. Quand Virginia s’inquiète de ce que devient leur amitié, Vita la rassure : « Ma Virginia chérie, tu es très haut sur les barreaux de l’échelle – toujours » (25/8/1939) 

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    Dans leur entourage, la curiosité s’exprime de temps à autre sur la vraie nature de leur relation, questions que Vita et Virginia éludent. Leurs maris savent pertinemment à quoi s’en tenir ; les autres, ça ne les regarde pas. « Il faut que je me procure un assortiment d’encres teintées – lavande, rose, violette – pour nuancer la signification de ce que j’écris. Je constate que je t’ai donné à entendre beaucoup de significations erronées en ne me servant que d’encre noire. C’était une plaisanterie – ce sentiment que nous dérivions loin l’une de l’autre. Mais c’était sérieux, ce désir que j’avais que tu m’écrives. » (Virginia, 19/1/1941) 

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    Rien ne laisse supposer à Vita que ce sont leurs derniers mois de correspondance. La dernière lettre de Virginia, le 22 mars, parle de perruches : « Est-ce qu’elles meurent toutes en un instant ? Quand pourrons-nous venir ? Dieu seul le sait – » Six jours plus tard, Virginia Woolf se noyait dans l’Ouse. Longtemps après, Vita écrivit à Harold qu’elle aurait pu la sauver – « si seulement j’avais été sur place et si j’avais pu savoir l’état d’esprit vers lequel elle évoluait. »

  • Plutôt fâchée

    Lundi [7 juin 1926]                                                    52 Tavistock Square, W.C. 1

    « Pas grand-chose de nouveau. Plutôt fâchée – Aimerais avoir une lettre. Avoir un jardin. Avoir Vita. Avoir 15 petits chiots à la queue coupée, 3 colombes, et un peu de conversation. La soirée chez les Sitwell a été un four noir. J’en avais fait mention pour te donner à croire que tu étais une péquenaude – et ça a marché. Ça m’a confirmée dans mon opinion que les réceptions des autres ont un mystère et une aura que les nôtres n’ont pas. Ecris-tu de la poésie ? Si oui, alors explique-moi où est la différence entre cette émotion-là et l’émotion de la prose ? Qu’est-ce qui te porte vers l’une, et pas vers l’autre ?... » 

    Virginia Woolf à Vita Sackville-West, Correspondance 1923-1941 

    Virginia_Woolf,_Tavistock_Square,_London.JPG

    Buste de Virginia Woolf à Tavistock Square, Londres,
    par Stephen Tomlin (installé en 2004)

     


  • Vita & Virginia

    Elles se sont rencontrées, connues, aimées, elles se sont écrit pendant dix-huit ans, jusqu’à la mort de Virginia. La Correspondance entre Vita Sackville-West et Virginia Woolf (The Letters of Vita Sackville-West to Virginia Woolf, traduction de Raymond Las Vergnas), du 23 mars 1923 au 22 mars 1941, vaut d’être lue à plus d’un titre. Aux lettres de Vita répondent ici « quelque cent soixante-quinze extraits tirés des quatre cents lettres, ou presque, aujourd’hui préservées, qu’a écrites Virginia à Vita. » (Note des présentateurs)

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    C’est un long échange entre deux écrivaines : Vita reconnaît à Virginia son génie littéraire, elle aime parler écriture avec elle, toutes deux sont très sensibles aux encouragements et aux commentaires de l’autre. C’est un amour hors du commun entre deux femmes : Vita a trente ans, dix ans de moins que Virginia, quand elles font connaissance en décembre 1922. Leur relation évoluera avec le temps et leurs autres affections, attachées comme elles le sont et à leur vie de couple et à leur liberté : Vita se déplace au gré des mutations de Harold Nicolson, son mari diplomate, lui-même bisexuel ; Virginia et Léonard Woolf sont tous deux amis de Vita qui restera fidèle à la Hogarth Press, leur maison d’édition. 

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    « Par leur fertilité et leur abondance, ces documents relèvent autant de la littérature que de la vie », écrit Mitchell A. Leaska qui introduit à ces années de correspondance dans une soixantaine de pages éclairantes : « Pour Virginia, Vita était la femme supérieure alors que, pour Vita, Virginia était l’écrivain supérieur. » 

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    Long Barn et ses jardins (Sequoia gardens)

    Les « Chère Mrs. Woolf » et « Chère Mrs. Nicolson » du début ne dureront guère – « (Mais je souhaiterais que vous vous laissiez persuader de m’appeler Virginia) », précise très vite celle-ci. Les Woolf s’installent à Tavistock Square (Bloomsbury) en mars 1924 et y transfèrent la Hogarth Press. Virginia suggère à Vita d’écrire un livre pour leur maison d’édition : Séducteurs en Equateur, composé pendant un voyage dans les Dolomites avec Harold, lui vaudra l’admiration et un surcroît d’intérêt de la part de Virginia ; elle lui rend visite à Long Barn, où Vita réside, et aussi à Knole, la demeure ancestrale des Sackville-West (transmissible seulement entre hommes, ce qui affecte beaucoup Vita.) Celle-ci rend leurs visites aux Woolf à Monk’s House (Rodmell) où ils passent l’été. 

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    Quand Harold Nicolson apprend qu’il doit quitter l’Angleterre pour Téhéran, où Vita ira le rejoindre quelques mois plus tard, les échanges entre les deux amies sont déjà devenus plus personnels. Elles se parlent de leurs livres : « Il y a 100% de poésie en plus dans une page de Mrs. Dalloway (que selon vous je n’aime pas) que dans une section tout entière de mon satané poème. » (Vita, 2/9/1925) Mais aussi des plantations, des chiens et des chats, du temps qu’il fait, de leur santé (les migraines de Virginia), de voyages projetés.

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    Avant le départ de Vita pour la Perse, qui laisse Virginia « pleine d’envie et de désespoir », celle-ci passe trois jours en décembre 1925 à Long Barn et c’est là que débute leur liaison intime. Le ton des lettres change, le vouvoiement disparaît : « Je me dépêche pour aller acheter une paire de gants : Je suis assise dans mon lit : je suis très, très charmante ; et Vita est un très cher vieux chien de berger à poil dur (…) Ah, mais que j’aime être avec Vita. » (Virginia, 22/12/1925) – « Virginia, ma chère, ma belle,… » (Vita, 24/12/1925) Virginia est désolée de devoir annuler un de leurs rendez-vous pour raison de santé, reçoit en retour des mots de consolation : « Oh ma pauvre chérie, malade de nouveau, et le roman en panne – tu dois être folle de rage. » (Vita, 11/1/1926)

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    Dès qu’elle quitte l’Angleterre, Vita écrit, et tout au long de son voyage : impressions d’Italie, de Suisse, en mer, tendres pensées. D’Egypte, elle envoie de belles descriptions de la Vallée des Rois. Virginia n’hésite pas à l’informer en retour de l’installation, grâce au succès de Mrs. Dalloway et du Common Reader, de deux cabinets – « et tous deux te sont dédiés » ! Les lettres de Vita sont longues, c’est une formidable épistolière. De ce qui lui répugne en Inde, elle passe aux questions littéraires, aux mots doux. Virginia lui répond à propos du style, du rythme encore plus important que le mot juste.

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    La Perse enchante son amie : « Téhéran, Perse, 9 mars – Tu ne peux imaginer avec quel plaisir j’écris l’adresse ci-dessus. J’ai découvert mon véritable rôle dans la vie : je suis une snob. Une snob géographique. Chaque matin quand je m’éveille, avec le soleil qui inonde ma chambre immaculée de nonne, je reste allongée une minute sous le charme de l’émerveillement ; puis, très lentement, comme un enfant qui retourne un caramel dans sa bouche, je me répète : « Tu es en Asie centrale. » » Lucide : « Comment se fait-il que l’on ne puisse jamais communiquer avec autrui ? Seules les choses imaginaires peuvent être communiquées, comme les pensées, ou l’univers d’un roman ; mais pas l’expérience réelle. »

    Nous n’en sommes pas encore à la moitié de cette superbe correspondance (près de sept cents pages), aussi j’y reviendrai dans un prochain billet.

    Couvertures originales à la Hogarth Press illustrées par Vanessa Bell, la soeur de V. Woolf

  • Fascination

    « Je veux en somme demander aux livres qui me sont tombés un jour entre les mains ce qu’il en est de la littérature en général, ce qui justifie son extraordinaire pouvoir social et de quel fonds mal exploré elle tire toujours sa fascination. »

    Marthe Robert, Livre de lectures 

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    Un rappel : il reste 16 jours pour soutenir le projet "Pour Rosé" sur http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/rose?ref=similar


  • Avec Marthe Robert

    Tandis que je vous prépare quelques extraits choisis pour les deux semaines qui viennent – espérant trouver plus de chaleur dans le sud de la France – je me décide à vous écrire quelques mots sur la grande lectrice avec qui je vais vous laisser, en bonne compagnie (vous en jugerez). 

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    J’ai puisé dans le Livre de lectures de Marthe Robert (1914-1996) et je me désole de ne pas trouver davantage de renseignements sur la Toile pour vous parler d’elle, que je connais par ses livres, et que j’aurais aimé connaître aussi en personne. C’est Kafka qui m’a fait découvrir son nom, son cher Kafka sur qui elle a tant écrit : de l’Introduction à la lecture de Kafka (1946) à Seul, comme Franz Kafka (1969).

    Essayiste et traductrice nourrie de littérature et de psychanalyse, Marthe Robert « occupe dans la géographie de notre monde intellectuel une place inassignable, et pourtant irremplaçable. » (Livre de Poche) Tournée surtout vers la littérature en langue allemande, langue qu’elle a apprise « parce que son père, combattant dans la Première Guerre mondiale, était devenu un militant de la paix » (Wikipedia), elle a traduit entre autres le Journal de Kafka, « triplement suspect aux yeux des Tchèques » de Prague par le fait qu’il était juif, parlait allemand et était le fils d’un commerçant dont la plupart des employés étaient tchèques.

    La notice consacrée à Marthe Robert sur « L’Encyclopédie libre » ne nous apprend pas grand-chose de sa vie, mais la bibliographie de cette spécialiste de Kafka parle pour elle. Etonnant tout de même d’apprendre là qu’elle a eu pour premier mari un peintre, et pour second un psychanalyste, alors que les notices concernant ces messieurs ne citent même pas le nom de Marthe Robert (ni rien de leur vie privée). Et c’est ainsi que le nom des femmes (intellectuelles, artistes, etc.) continue trop souvent à être gommé des tablettes de l’histoire.

    Roman des origines et origines du roman (1972) est une lecture essentielle pour qui s’intéresse au genre romanesque. Genre « indéfini », le roman est « passé du rang de genre mineur et décrié à une puissance probablement sans précédent » et règne à présent sur la vie littéraire, « genre révolutionnaire et bourgeois », « libre jusqu’à l’arbitraire et au dernier degré de l’anarchie ».

    « Les histoires à dormir debout sont de celles qui tiennent le mieux éveillé », écrit-elle à propos des contes. S’inspirant du « roman familial des névrosés » selon Freud, elle distingue « deux façons de faire un roman : celle du bâtard réaliste, qui seconde le monde tout en l’attaquant de front ; et celle de l’enfant trouvé, qui, faute de connaissances et de moyens d’action, esquive le combat par la fuite ou la bouderie. » Dans la première catégorie, Balzac, Hugo, Tolstoï, Dostoïevski, Proust, Faulkner, Dickens… Dans la seconde, Cervantes, Hoffmann, Kafka, Melville… Où situer Flaubert ? La réponse de Marthe Robert sintitule En haine du roman.

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    Pour vous, j’ai feuilleté les quatre tomes de son Livre de lectures, « une sorte de Journal non daté » où elle s’est donné pour but de « relever au jour le jour ce que le fait littéraire a de flou, de fuyant et d’incompréhensible au fond sous ses airs rassurants de phénomène classé ». Je vous en souhaite bonne lecture.