C’est un parti-pris sur ce blog de ne pas faire de publicité aux romans dont la lecture ennuie ou agace, abandonnés en cours de route ou achevés par curiosité pour l’éventuel rebond romanesque qui sauverait la mise. Il en va souvent ainsi pour ces signatures connues mises en évidence sur les tables des librairies ou des bibliothèques, best-sellers dont on est désolé de découvrir le vide affligeant – désolé non pour ceux qui en tirent profit, mais pour la littérature contemporaine ainsi desservie.
Illustration © Jean-Baptiste Talbourdet
Je ne m’attarderais pas sur leurs ingrédients censés faire pleurer Marco ou Margot – un héros ou une héroïne solitaire, un secret de famille, des péripéties sentimentales (un homme, une femme, ou plusieurs partenaires, c’est plus excitant), un peu d’exotisme et beaucoup d’érotisme voire de porno (c’est dans l’air du temps) – s’il ne fallait y ajouter désormais ce qu’on appelle au cinéma le « placement de produit », expression qui s’affiche à présent sur l’écran de télévision de temps à autre, un mal venu du grand écran.
« Les placements sont de plus en plus nombreux dans les livres et tout particulièrement les romans. L’investissement pour la littérature américaine a été évalué à 26,6 Millions de dollars. » (Wikipedia, qui en cite quelques exemples.) Pour une telle fabrique romanesque, on installe volontiers l’intrigue dans un cadre luxueux, par exemple un hôtel cinq étoiles, avec tous les détails concrets aujourd’hui signes convenus de la richesse. Les beaux vêtements ne sont pas décrits, il suffit de citer leur marque pour les faire étinceler, les montres sont forcément des exemplaires de collection, les téléphones portables du dernier modèle, on y précise même la marque des savons et des boissons.
Bien sûr, XXIe siècle oblige, on évoque l’un ou l’autre événement dramatique qui a nourri l’actualité médiatique durant des semaines, « people » de préférence, le personnage se montre accro aux réseaux sociaux et fait un usage immodéré de son portable jour et nuit. Au bout du compte, une fin heureuse ou du moins apaisante, qui joue sans doute le même rôle que la musique d’ambiance dans les grands magasins, au bonheur des marques.
Fumer tue, affichent les emballages de cigarettes. Enfumer les lecteurs de publicité quaisi explicite ou sous-jacente (voir la définition de la publicité subliminale) ne les tue pas, certes, et peut-être en devient-on même dépendant, comme si un exhausteur de goût donnait l’envie de recommencer encore et encore la même histoire au paradis des choses qui s’achètent et des gens qui s’enrichissent. Ils ne manqueront pas la prochaine mouture de leur fournisseur d’histoires préféré, ravis de ce merveilleux à la sauce mercatique pour lecteurs-consommateurs.
A ces acteurs du marché du livre – rien à voir avec la Petite fabrique de littérature – manque l’ironie d’un Perec qui concluait ainsi, il y a une cinquantaine d’années déjà : « Le voyage sera longtemps agréable. Vers midi, ils se dirigeront, d’un pas nonchalant, vers le wagon-restaurant. Ils s’installeront près d’une vitre, en tête à tête. Ils commanderont deux whiskies. Ils se regarderont, une dernière fois, avec un sourire complice. Le linge glacé, les couverts massifs, marqués aux armes des Wagons-Lits, les assiettes épaisses écussonnées sembleront le prélude d’un festin somptueux. Mais le repas qu’on leur servira sera franchement insipide. » (Les Choses)
Commentaires
Un aspect extrêmement intéressant du livre moderne. Je ne saurais beaucoup évoquer les livres aux "ingrédients-recettes" pour la simple raison que je les ignore. Ceci me rappelle que beaucoup de lecteurs sont autophages. je suis plutôt du genre explorateur. Voir http://www.christianwery.be/article-dietetique-spirituelle-1-le-lecteur-autophage-110643766.html
Le placement de produit: je suis étonné du chiffre aux EU. J'ai noté beaucoup de marques chez Echenoz, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un PP. Il recourt à des objets légendaires, pas dans un but mercantile.
Continuons à défendre les bons livres.
A la fois surprenant et attendu, je fais comme toi Tania il est rare que je parle de livres qui me sont tombés des mains et parfois d'ailleurs ce ne sont pas de "mauvais" livres mais tout simplement je ne les ai pas aimé
mais ceux fabriqués à la chaine selon une méthode éprouvée seront peut être un jour les seuls à disposition du public, je dis bien public et non lecteurs !
ça fait froid dans le dos...
Je tombe des nues ! j'ignorais cette pratique, j'ai peut-être eu de la chance de ne pas tomber sur ce genre de livre. Quelle tristesse ..
@ Christw : Je suis allée lire votre billet sur le lecteur autophage, qui correspond bien à ce que je dénonce ici dans un mouvement d'humeur, déçue par un titre qui me plaisait bien et une quatrième de couverture prometteuse (du bon travail ;-) Cette abondance de marques m'a franchement énervée. Sans doute certains auteurs en font-ils un usage "sociologique", mais gare, le ver est dans le fruit (sans viser Echenoz).
@ Dominique : Cela m'arrive rarement de "mal tomber", parfois je suis tentée de lire un roman à succès pour me faire une idée de ce qui plaît. Espérons que les éditeurs ne cèdent pas trop de terrain à ces sirènes commerciales.
@ Adrienne : Verra-t-on un jour la mention "publi-roman" comme pour les "publi-reportages" des magazines ?
@ Aifelle : Eh oui, autant savoir. En tout cas, cela entame sérieusement le crédit accordé à certains éditeurs.
Oh là, là....comme Aifelle j'ignorais ce côté mercantile et avilissant pour la littérature.
N’empêche qu'en te lisant je pensais à "Au bonheur de dames", pub non rémunérée pour ce grand magasin, ou dans le Père Goriot par exemple, où Balzac parle de la porcelaine de Tournai...enfin, c'est tout autre chose.
Une femme avertie en vaut deux, merci!
très intéressant ton article tania - personnellement je ne raffole pas trop des livres dont on fait beaucoup de pub, tout comme je ne supporte pas trop les prix littéraires d'ailleurs
je suis déjà suffisamment influencée par les lectures des blogueuses et l'envie parfois de découvrir ce qu'elles ont lu -
heureusement, j'ai tellement de bouquins différents dans mes bibliothèque et pal, j'ai de quoi m'occuper :)
@ Colo : Certes, le roman réaliste fournit bien des exemples de ce genre, et à bon escient. Rien à voir avec l'accumulation et la répétition à tour de... pages.
@ Niki : Je les évite en général et je m'en méfierai encore davantage. Bonnes lectures, Niki.
La littérature est malheureusement un commerce, une industrie. Des auteurs et maisons d'éditions de qualité mais sans gros moyens doivent se battre face aux "grosses machines" (Gallimard, Albin Michel, p.ex.). Ce ne sont pas toujours les meilleurs qui ont droit à la plus grande publicité. A nous de ne pas être dupes, d'avoir l'esprit curieux et de ne pas s'attarder à la première table des "Meilleures ventes".
Pas la littérature ! Mais l'édition, oui. D'accord avec ta conclusion.
Merci pour ce billet intéressant! C'est une pratique que j'avais remarquée dans la chick-lit mais peu dans d'autres types de romans. Dorénavant, je serai plus attentive à cette publicité masquée...
Ouvrir l'oeil, certes ! Merci d'avoir réagi.
J'ignorai également cette pratique dans la littérature (?) ! Je lis très peu de romans qui viennent de sortir et la plupart du temps quand je le fais, cela me conforte dans mon attitude d'évitement ! Je l'ai encore vécu récemment avec un livre de Laura Kasischke que la quatrième de couverture présentait comme un potentiel grand écrivain de notre temps, alors que j'ai trouvé que ce roman sentait le procédé... et avec le fameux fakir dans son armoire suédoise (tiens donc) que j'ai reposé, déjà fâchée après trois chapitres !
Les éditeurs sont évidemment preneurs de livres qui se vendent bien, ce qui leur permet, disent-ils, de publier les écrivains moins populaires. Mais de là à y glisser de la publicité... "Fâchée", oui, c'est ce qui m'a fait écrire ce billet. Bonne soirée, Annie.
Petite visite de retour, je découvre avec plaisir votre blog. J'ai autrefois épinglé la chose dans un billet sur Houellebecq http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?post/2011/02/19/Houellebest%2C-Houelleberk.... que j'entreprenais de découvrir. Depuis, j'évite la littérature "réaliste" contemporaine. Il y avait le même genre de pratique dans un roman de Piperno, que sa connaissance de Proust propulse aux sommets (?) de la littérature, selon de complaisants critiques. Aussi n'ai-je pas lu le fakir, déconseillé par moult amies lectrices. Ma dernière perplexité dans ce domaine date de la lecture de "Nue", de votre compatriote JPh. Toussaint. J'ai eu le sentiment de lire M le magazine du Monde, ou Le Figaro madame, mais je dois me tromper.
Bonjour, Agnès, merci de réagir ici. A lire certains, il semble en effet y avoir plus de place pour la complaisance que pour la critique. Parmi les auteurs que vous citez, je ne prendrai la défense que de Jean-Philippe Toussaint dont j'ai aimé les premiers romans et "La télévision" en particulier. Sur ses derniers romans (je n'ai pas lu "Nue"), je partage votre perplexité.