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Littérature française - Page 129

  • Au jardin d'amour

    La belle est au jardin d'amour,

    Voilà un mois ou six semaines,

    Son père la cherche partout

    Et son amant est bien en peine.

     

    Faut demander à ce berger

    S'il l'a vue dans la plaine.

    — Berger, berger, n'as-tu point vu

    Passer ici la beauté même ?

     

    Comment est-elle donc vêtue ?

    Est-ce de soie ou bien de laine ?

    — Elle est vêtue de satin blanc

    Dont la doublure est de futaine. 

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     — Elle est là-bas dans ce vallon,

    Assise au bord d'une fontaine ;

    Entre ses mains tient un oiseau,

    La belle lui conte ses peines.

     

    — Petit oiseau, tu es heureux

    D'être entre les mains de ma belle !

    Et moi qui suis son amoureux,

    Je ne puis m'approcher d'elle.

     

    Faut-il être auprès du ruisseau,

    Sans pouvoir boire à la fontaine ?

    — Buvez, mon cher amant, buvez,

    Car cette eau-là est souveraine.

     

    — Faut-il être auprès du rosier,

    Sans en cueillir la rose ?

    — Cueillez, mon cher amant, cueillez,

    Car c'est pour vous qu'elle est éclose.

     

    Pierre Dupont (1821-1870)

  • Handicap

    Desarthe Le remplaçant.jpg

     

     

     

    « Nous sommes pratiquement incapables de comprendre ce dont nous n’avons pas, personnellement, fait l’expérience et c’est, selon moi, ce handicap qui constitue l’une des sources les plus certaines de la barbarie. »

    Agnès Desarthe, Le remplaçant

     

     

     

     

    En partance pour le Midi, je vous laisse pour quelque temps en compagnie de poètes et de poétesses.
    Des poèmes choisis pour "mettre l'eau à la bouche, pratiquer la poésie en tous sens et à tous vents"
    (Colette Nys-Mazure).

     

    Tania

     

  • BBB le remplaçant

    « Chez nous, écrit Agnès Desarthe, ce qui permet de sortir du lot, c’est la façon de raconter des histoires. » Le remplaçant (2006) raconte celle du grand-père Bousia (Bouse, Bouz) qui s’appelait en réalité Boris et aussi Baruch, bref, « B.B.B. » ou « triple B » – « Mais peut-être ferais-je mieux de commencer par expliquer que mon grand-père n’est pas mon grand-père. » 

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    Après que le père de sa mère « a été tué à Auschwitz en 1942 », sa grand-mère maternelle a décidé de vivre avec un de leurs amis, devenu veuf de la même façon : « Triple B avait le bon goût de n’être pas à la hauteur du disparu ; ni aussi beau, ni aussi intelligent, ni aussi poétique que le mort qu’il remplaçait. » D’où cette atmosphère amicale que ressentait chez eux leur petite-fille, sans « la malédiction de la conjugalité ».

     

    Ces choses étant dites (ce n’est pas une autobiographie), ne vous méprenez pas sur le ton de ce récit court (moins de cent pages) où la narratrice égrène avec délicatesse le collier des souvenirs du grand-père à la Peugeot 204 vert bouteille, de la même façon qu’elle aimait, fillette, retrouver les « objets typiques » chez ses grands-parents : petit vase en Vallauris, décapsuleur-guitare, service à thé chinois en porcelaine ultrafine, poupée chauffe-théière à la jupe matelassée – une « princesse russe », jeune fille et non matrone, « bref, mon modèle ».

     

    C’est le portrait d’un artisan peu doué, d’un papi qui a reçu des électrochocs pour le guérir d’une dépression – sa mère lui en dira plus long un jour, à elle qui a du mal à retenir : « Un mélange de distraction, de propension à la rêverie, de manque d’esprit de synthèse et d’absence de mémoire fait que je suis incapable de fixer l’information, à la manière de certains organismes qui ne parviennent pas à fixer le magnésium. Je ne comprends jamais ce qu’on me dit. Je comprends autre chose. Il me faut des images, il me faut des métaphores. »

     

    Quand elle écrit son récit, son grand-père, 96 ans, est alité dans une tour du treizième arrondissement à Paris, endormi la plupart du temps. Triple B lui a toujours raconté des histoires, mais elle n’y prêtait pas toujours assez d’attention. « J’aimais l’idée de pouvoir être sa petite-fille, alors que ma mère n’était pas sa fille, comme s’il avait été permis de sauter une case. » Il lui avait confié qu’à Kichiniev, en Bessarabie, il avait appris à sculpter la pierre, à graver des noms sur des tombes, mais qu’au lieu de devenir sculpteur, il était devenu communiste.

     

    Parfois il parlait roumain, yiddish, mais toujours français en présence de ses petits-enfants. Il avait ses expressions favorites : « tout ce qu’il y a de… », « fameux », « pas fameux », « bernique » ou encore « Silence, la queue du chat balance »... Il parlait à sa petite-fille de son frère Refoul, très pauvre ; de son cousin Léon, qui « a crevé la faim » en Belgique avant d’être expulsé, essayant en vain de retourner en Bessarabie. « Les histoires racontées par triple B sont rapides et elliptiques. On saute d’une époque à l’autre comme à l’aide d’un projecteur de diapositives. »

     

    L’intérieur des grands-parents était plus moderne que celui de ses parents : couteau électrique, ventilateur, « placard intégré qui avait tout d’une caverne d’Ali Baba », ascenseur à miroir et rampes en aluminium. Dans la tour de triple B, beaucoup de ses amis s’étaient installés, on lisait sur les boîtes aux lettres « de plus en plus de noms imprononçables,  bourrés de consonnes qui se télescopaient. »

     

    Le remplaçant raconte – raconte ou invente, peu importe ici – l’histoire d’une vie, avec ses détours et ses surprises, ses drôleries et ses larmes. Agnès Desarthe a écrit cette « fiction » sur son grand-père au lieu du livre qu’elle projetait de consacrer à un pédagogue polonais, mais elle arrivera à établir un lien, vous pouvez compter sur la conteuse qui sait que « l’enchantement ne doit pas jaillir de la chute, mais plutôt agir tout au long de la narration ».

  • Jeunesse

    Jeunesse qui t'élances

    Dans le fatras des mondes

    RFL Fillette aux fleurs Ecole belge vers 1900 (2).jpgNe te défais pas à chaque ombre

    Ne te courbe pas sous chaque fardeau

     

    Que tes larmes irriguent

    plutôt qu'elles ne te rongent

     

    Garde-toi des mots qui se dégradent

    Garde-toi du feu qui pâlit

     

    Ne laisse pas découdre tes songes

    Ni réduire ton regard

     

    Jeunesse entends-moi

    Tu ne rêves pas en vain

     

     

    Andrée CHEDID (née en 1925),

    Poèmes pour un texte, Flammarion, 1991.

  • Dérive

    ozouf,mona,la cause des livres,essai,littérature française,lecture,correspondances,histoire,révolution,culture« Il y a encore une autre dérive de l’idée démocratique, apparemment moins ruineuse pour les libertés, mais aussi plus insidieuse, et qui naît paradoxalement moins des échecs de la démocratie que de sa réussite. On peut, faute d’un meilleur terme, l’appeler la dérive prosaïque. Dans le monde moderne, en effet, où l’opinion commune est reine, que régente la publicité avec sa traîne de besoins artificiels, la contrainte n’a nullement disparu : mais c’est une contrainte douce, qui parvient à imposer l’uniformité des comportements et des mentalités. Inutile, tant il est criant, d’évoquer le déficit esthétique de cette uniformité. Le déficit civique ne l’est pas moins : chacun bricole désormais sa représentation particulière de l’intérêt public, l’idée du bien commun se décolore, le souci de soi se solde par le repli sur soi, loin des grandes causes et des grands projets. Le désenchantement atteint tous les individus démocratiques, privés d’une représentation de l’avenir. »

     

    Mona Ozouf, Le thérapeute de la croyance in La cause des livres