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écrivain belge - Page 13

  • Du temps

    Dans l'eau qui coule à petit bruit,
    Dans l'air du temps qui souffle à petit vent,
    norge,oeuvres poétiques,littérature française,belgique,écrivain belge,poésie,langage,cultureDans l'eau du temps qui parle à petits mots
    Et sourdement touche l'herbe et le sable ;
    Dans l'eau du temps qui traverse les marbres,
    Usant au front le rêve des statues,
    Dans l'eau du temps qui muse au lourd jardin,
    Le vent du temps qui fuse au lourd feuillage
    Dans l'air du temps qui ruse aux quatre vents,
    Et qui jamais ne pose son envol,
    Dans l'air du temps qui pousse un hurlement,
    Puis va baiser les flores de la vague,
    Dans l'eau, dans l'air, dans la changeante humeur
    Du temps, du temps sans heure et sans visage,
    J'aurai vécu à profonde saveur,
    Cherchant un peu de terre sous mes pieds,
    J'aurai vécu à profondes gorgées,
    Buvant le temps, buvant tout l'air du temps
    Et tout le vin qui coule dans le temps.

    NorgeCris  (La belle saison, 1973)

  • Les mots de Norge

    « Lorsque des familiers de Norge se donnent la joie de révéler son œuvre à des amis qui l’ignorent encore, ils se trouvent tellement habités par leur sujet qu’ils cherchent à tout dire à la fois du poème et du poète. » Ainsi commence l’introduction de Jean Tordeur au gros volume des Œuvres poétiques (1923-1973) de Norge publiées chez Seghers en 1978. 

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    Je suis parfois surprise que de grands écrivains belges de langue française, comme Marie Gevers dont j’ai parlé récemment, soient inconnus hors de Belgique, même de nom. Est-ce dû à cet étiquetage fallacieux de littérature « francophone » qui pose une frontière entre la littérature française de France et celle d’ailleurs ?

    Né à Bruxelles, Georges Mogin dit Géo Norge (1898-1990), d’abord voyageur de commerce, – dans le textile et non le bois, comme Marcel Thiry, autre poète marchand – a passé la seconde moitié de sa vie en France, dans le Midi, où il s’est installé définitivement comme antiquaire à Saint-Paul de Vence. Bruxelles, le Hainaut, l’Ardenne, le paysage méditerranéen l’ont inspiré, mais surtout le langage, son royaume. 

    Dans ses Œuvres poétiques, le tout premier poème annonce la couleur : Norge joue avec les mots, le rythme, mêle humour et sérieux, sentiments et saveurs.

    La pêche du poème

    Leurre comme tout et tous
    mais je goûte quand même
    belle,
    la belle tentation de dire.

    O, si confusément tiré des limbes
    cérébraux : poème :
    poisson un peu étrange
    et féerique à travers
    les rutilances de l’aquarium
    et le cohue de l’eau.

    Scintille et sois né !

    Or, voici la phrase – illusion optique –
    si fièrement et drôlement indigente
    et non dite.

    (27 Poèmes incertains, 1923) 

    De petits traits au crayon, des croix, marquent dans la table des matières de ce gros recueil tout blanc les poèmes les plus souvent relus. C’est sur ces traces que je vous entraîne – que dire d’un poète sinon de se mettre à son écoute ?

    Réveil

    Le petit jour poreux
    qui efflue,
    réhabite
    nos vitreuses pensées

    On s’entoge encore une fois
    du faux habit de soi-même.

    On replâtre le masque d’hier
    à ce visage trop frileux
    de sa nudité.

    On reprend sa vie – pliée
    sur un fauteuil
    au pied du lit –
    comme un vêtement qu’on soigne.

    On inventorie la risqueuse
    monnaie des paroles qu’il faudra dire,

    la trouble marchandise
    des gestes qu’il faudra faire.

    Pour demeurer la dupe
    de son signalement.

    Et chacun trouve naturel
    de n’être pas devenu
    un autre.

    (Plusieurs malentendus, 1926)  

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    http://www.musicme.com/#/Norge/albums/Jeanne-Moreau-Chante-Norge-5060281616180.html

    Jeanne Moreau a chanté Norge. Plus d’un poème chante ou se dit chanson : chansons gaies, chansons graves, aux titres terre à terre ou plus secrets. Vers courts et vers longs, vers libres, poèmes en prose, hors des modes et des conventions en tous genres.

    Les pigeons

    Les paroles de Lucie, c’était comme un lâcher de pigeons. De pigeons blancs. Je les regardais monter dans le bleu du ciel ; la lumière jouait sur leurs plumes. Par trois, par six, par dix, ils tournaient, ils filaient dans toutes les directions. Et ces mouvements d’ailes !  Alors, vous ne répondez pas ? dit-elle. Moi, j’admirais, j’étais charmé. Comment ? Il fallait écouter aussi ! Et répondre.

    (Les Oignons, 1956)  

    Servez-vous au buffet : sa poésie est diverse. Pour faire connaissance avec Norge, Remuer ciel et terre est une bonne anthologie de poche. Rappelez-vous : Colo vous en a proposé quelques poèmes et les a même traduits en espagnol, à relire sur Espaces, instantsVous trouverez Norge aussi en Poésie/Gallimard. 

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    Pour finir

    Le savez-vous, chez ce peuple d’oiseaux,
    La mode fut qu’on se coupât les ailes ;
    Pourquoi de l’aile, on ne volait plus guère,
    On mangeait trop et l’on marchait si peu
    Que pour finir on se coupa les pattes.
    Quant à chanter, le fait devint si rare
    Que pour finir, on se coupa la gorge.

    (Bal masqué parmi les Comètes, 1972)

  • Vous m'avez dit

    Vous m'avez dit, tel soir, des paroles si belles

    Que sans doute les fleurs, qui se penchaient vers nous,

    Soudain nous ont aimés et que l'une d'entre elles,

    Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux. 

    Caillou-qui-bique Vous m'avez dit.jpg

    Vous me parliez des temps prochains où nos années,

    Comme des fruits trop mûrs, se laisseraient cueillir ;

    Comment éclaterait le glas des destinées,

    Comment on s'aimerait, en se sentant vieillir. 

    Caillou-qui-bique flèche musée.jpg

    Votre voix m'enlaçait comme une chère étreinte,

    Et votre cœur brûlait si tranquillement beau

    Qu'en ce moment, j'aurais pu voir s'ouvrir sans crainte 

    Les tortueux chemins qui vont vers le tombeau.


    Emile Verhaeren, Les heures d'après-midi

  • Au Caillou qui bique

    L’année dernière, à Saint-Amand, nous nous étions promis de nous rendre au Caillou-qui-bique cher à Verhaeren, après avoir visité la belle exposition du Musée provincial consacrée à ce lieu mythique. De 1899 à 1914, le poète belge, qui avait quitté Bruxelles pour s’installer à Saint-Cloud, y séjournait régulièrement avec sa femme dans la petite maison mise à sa disposition par la famille Laurent, non loin du célèbre Caillou. 

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    C’est la femme de Rodenbach qui a fait découvrir cet endroit à Verhaeren, à la fin d’une période noire pour le poète, marquée par le deuil de ses parents et des crises de neurasthénie. Rodenbach, son ami, venait de mourir et la famille de sa veuve « lui dénicha la ferme des Laurent au site du Caillou-qui-Bique, une bâtisse noyée dans les taillis où les promeneurs de la région avaient l'habitude de manger les excellents repas préparés par Madame Laurent. »

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    De mars à mai, d’août à novembre – sujet au rhume des foins, il évitait d’y passer le plein été – Emile Verhaeren venait se reposer à Roisin avec Marthe, lire, écrire, se promener, recevoir des amis : Zweig, Montald et sa femme, Emile Claus... Il vivait là très simplement (voir le récit de C. Debiève) dans une annexe aménagée pour lui au fil des ans.

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    En suivant les flèches vers « l’Espace Muséal Verhaeren », on roule en direction de Roisin sur un ruban de route qui monte vers le ciel au milieu des champs et là, déjà, on devine ce que le poète a aimé ici : l’espace complètement ouvert, la paix, la nature pour seul horizon. 

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    Les bannières du lieu portent le beau logo de Verhaeren en marche, silhouette pleine d’écriture. Et voici quelques maisons, un parking, un panneau « musée ».  

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    En pénétrant dans la cour, nous apercevons le profil des Verhaeren sur le mur d’une maisonnette.  Nous avons oublié que le musée n’ouvre que le week-end et les jours fériés, dans l’après-midi ; en semaine, il se visite sur rendez-vous. Heureusement, en faisant le tour de l’autre côté, nous rencontrons une personne très aimable qui possède la clé de ce petit musée à la mémoire d’Emile Verhaeren à Roisin.

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    Nous y entrons (le musée est situé dans une annexe) en musique : de jeunes flamands répètent ici et là, trompettes, saxos, logés sans doute au foyer d’hébergement du Caillou qui bique. Quelques dessins nous retiennent près du seuil, dont une jolie gravure inspirée par les jonquilles locales très appréciées des promeneurs au printemps.

    verhaeren,caillou qui bique,espace muséal verhaeren,roisin,musée,promenade,honnelle,culturehttp://www.emileverhaerenroisin.net/

    Des panneaux racontent la vie de Verhaeren, en français et en néerlandais. Le buste du poète sculpté par César Schroeven, dont nous avions vu la version en bronze à Saint-Amand, donne de la présence au poète dans cet espace jaune et bleu qui lui est dédié. 

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    Belle couverture d’un livre posthume portant le nom du lieu, dessins, correspondances, reproductions de peintures, photographies, poèmes de ses différents recueils, l’hommage au poète est présenté avec soin. Valère Brussov, son premier traducteur russe, lui écrit de Moscou en 1906 : « Cher maître, (…) je serai toujours fier d’avoir été le premier prophète de votre poésie chez nous. » Stefan Zweig, fin août 1909, lui écrit sur papier à en-tête d’un hôtel à Saint Blasien, Schwarzwald, à propos d’un article à sa gloire : « ce n’est plus un essay (sic), c’est une fanfare ! » Plus loin, quatre feuillets signés Verlaine, « A vous de coeur. » 

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    Dans une lettre à Rodin, datée de Saint-Cloud, 23 mai 1916, Verhaeren évoque la comtesse de Caraman, la reine Elisabeth, La Panne, et conseille au sculpteur d’attendre un signe de la comtesse avant de se déplacer en Belgique « sans péril ». A la fin du parcours, le terrible télégramme annonçant la mort de Verhaeren à la gare de Rouen : « Verhaeren victime épouvantable accident – veuillez préparer Madame Verhaeren (…) » 

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    En contrebas des habitations, près d’une barrière blanche, c’est le début de la promenade des pierres : au pied du monument à Verhaeren, de grandes dalles grises. On y a gravé des vers du poète, et on en retrouvera tout le long de cette boucle qui nous fait d'abord descendre dans les bois pour traverser la Honnelle.

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    La légende du Caillou : http://www.pnhp.be/html/fr/curiosites.html

    On longe la rivière jusqu’au Caillou éponyme, le fameux poudingue, curiosité naturelle : un énorme caillou qui « bique », c’est-à-dire qui se tient en équilibre sur un autre. Bel endroit sauvage où pierres et arbres se tutoient au bord de l’eau.

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    Un peu plus loin, on laisse à droite une maison de briques aux fenêtres joliment arrondies pour monter à la terrasse du Chalet du Garde. Ne croyez pas que je l’invente, un aimable chat tigré gris nous y attendait sur les vers du poète.

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    Le temps d’un thé dans ce décor bucolique, puis nous retraversons la Honnelle pour remonter vers les champs. Au sortir du bois, après quelques maisons, c’est à nouveau l’espace grand ouvert, « mon ami le paysage », chanté par Verhaeren.

  • Boîte noire

    « S'adressant à Eric, la directrice lui demanda ce qui n'allait pas à l'école. "J'aimerais bien être comme tout le monde", répondit-il et après un long silence : "J'ai une boîte noire dans la tête que je ne peux pas ouvrir." Il parlait tout bas comme s'il avait peur d'être entendu, ce qui se traduisait par d'énigmatiques chutes de voix. Juliette était bouleversée. N'en pouvant plus, elle se leva et discrètement prit congé de la directrice. »

    Jean-Luc Outers, De jour comme de nuit

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    Jacob Smits, Profil de jeune homme