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Peinture - Page 112

  • Hokusai sur papier

    Il y a les expos qu’on voit, celles qu’on se contente d’imaginer en lisant une critique, celles enfin qu’on projette de découvrir mais qui ne trouvent pas leur place dans l’agenda. Quelle chance alors si le catalogue, richement illustré, nous offre une visite virtuelle de qualité – une expo sur papier, par le texte et par l’image.

    "Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante ans, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Ecrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyo Rojin, le vieillard fou de dessin."

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    Katsushika Hokusai (1760-1849) a fait récemment l’objet d’une grande rétrospective au Musée Guimet à Paris, sous le titre Hokusai, « l’affolé de son art ». A partir de 1834, il signe « le vieil homme fou de dessin », un an après avoir connu la gloire avec ses Trente-six vues du Mont Fuji. Sur la plus connue de ses estampes, Sous la grande vague au large de la côte à Kanagawa, une grande vague bleu de Prusse occupe presque tout l’espace, prête à s’abattre sur deux embarcations malmenées par la tempête, avec le mont Fuji, tout petit, à l’arrière-plan. Son profil ressemble à celui de la Vague en onyx de Camille Claudel, sous laquelle s’ébattent trois figures féminines inconscientes du danger qui les menace - même si La Tribune de l’art y voit plutôt l’influence d’un dessin de Victor Hugo, Ma destinée. (C’est à ces deux vagues que je pensais constamment en lisant le splendide Œdipe sur la route d’Henry Bauchau, lorsque Œdipe rêve de sculpter une falaise, avec Clios, le bandit devenu son compagnon de route, et Antigone, parce qu’il y a vu, lui, l’aveugle, une vague de pierre.)

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    Les estampes japonaises, littéralement « ukiyo-e » ou « Images du Monde flottant », n’étaient pas considérées au Japon comme du grand art, plutôt comme de l’artisanat. La vivacité et l’expressivité du dessin d’Hokusai enchantèrent les impressionnistes et les critiques occidentaux de la fin du XIXe siècle. Le catalogue réalisé sous la direction d’Hélène Bayou, « d’Edmond de Goncourt à Norbert Lagane », montre bien comment le regard des uns et des autres sur l’œuvre d’Hokusai a pu différer. Siegfried Bing, présenté en 2006 à Bruxelles avec la belle exposition « L’art nouveau, la maison Bing », se voulait soucieux du contexte original des œuvres, « sinon mieux vaut se détourner délibérément de ce tout ce qui est né en dehors de nous ». Henri Focillon, au début du vingtième siècle, renouvela pour sa part l’approche formelle de l’estampe.

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    A côté d'œuvres connues sont illustrés le magnifique paravent des Neuf femmes jouant au jeu du renard, les érotiques « images de printemps » (shunga). Sur l’une d’elles, derrière un couple qui s’étreint, un chat blanc, un ruban autour du cou, attend, assis, attentif aux petites souris noires à l’avant-plan. Il faudrait parler aussi des autres paysages d’Hokusai, de ses natures jamais mortes : Branche de cerisier en fleur, Bergeronnette et glycine si « art nouveau ». Des fameux Tigre et dragon, deux pendants – on le sait depuis peu – étonnamment complémentaires. La fin du catalogue offre un superbe Autoportrait sous la forme d’un vieillard qui, mieux que tout, exprime la passion d’un artiste pour rendre avec une justesse et une simplicité inouïes la vague du temps qui nous emporte tous.

  • L'art dans tout

    N’attendez pas la fin du mois d’août pour pousser la porte du musée d’Ixelles !  Après le musée d’Orsay, il propose une belle exposition sur Alexandre Charpentier (1856-1909). Moins connu que les grands noms de l’art nouveau, c’est un artiste à découvrir ou à redécouvrir en cent cinquante œuvres, dont beaucoup proviennent de collections particulières. En complément, L’Eté Belle-Epoque d’Ixelles rassemble à l’étage sa fameuse collection d’affiches de Toulouse-Lautrec, et dans les salles permanentes, un nouvel agencement des peintures et sculptures léguées par Octave Maus, le fondateur des XX, qui invita Charpentier à exposer à Bruxelles. Une jolie série d’affiches de Gisbert Combaz évoque les salons de La Libre Esthétique.

    Sculptures et bas-reliefs de Charpentier (il a fréquenté la « Petite Ecole », comme Rodin, qui l’engagea brièvement comme praticien) côtoient des objets dits d' « arts décoratifs » : pendules, fontaines, cendriers, vases, meubles étonnants. Ils sont exposés par thème. Les « maternités » reprennent dans différents matériaux et formats une Jeune mère allaitant son enfant, de profil. En bronze, elle orne la porte de droite d’un petit meuble à layette ravissant, dont un tiroir affiche les têtes rondes de deux enfants. Déclinée en étain, en argent, le sujet est aussi repris en grand dans un grès de belle lumière.

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    Je ne m’attendais pas à retrouver ici la formidable aventure du Théâtre Libre fondé par André Antoine en 1888, qui porte encore son nom aujourd’hui : le Théâtre Antoine. Vrai théâtre littéraire, il a révélé au grand public parisien les dramaturges étrangers comme Ibsen, Tolstoï, Strindberg, et permis à ses contemporains - Goncourt, Zola, Claudel, entre autres - d’y montrer des œuvres inédites. Charpentier a représenté en médaillons les têtes des différents membres du Théâtre Libre, qui couvrent tout un panneau de l’exposition.

    Mais la musique est sans conteste ici le thème majeur. Charpentier jouait du violoncelle, sa femme du piano. Femme jouant de l’alto, femme à la contrebasse, ronde de danseuses… On les retrouve sculptées dans l’ébène pour un couvercle de piano, en plâtre à patine de marbre, en bronze doré sur un incroyable meuble destiné à contenir les instruments d’un quatuor à cordes, superbement présenté, précédé de deux pupitres dont les courbes se délient sur l’affiche et le catalogue de l’exposition (une lecture qui promet d’être passionnante et qui donnera sans nul doute envie d’y retourner). Chant et musique décorent aussi des plaques de serrure, des boutons de porte. Comme chez Horta, l’art touche à tout - « L’art dans tout » est le nom donné par Charpentier au groupe d’artistes qu'il fonde en 1896. Sur la couverture de Sonatines sentimentales sur des poèmes de Maeterlinck et Mauclair, Charpentier a dessiné le visage d’une jeune femme aux yeux de billes et à la longue chevelure rousse en diagonale. Charpentier était l’ami de Debussy, qui a composé pour lui Cloche à travers les feuilles.

    On a envie de tout évoquer, mais à chacun de se promener dans ce bel ensemble de la fin du XIXe siècle. Il y a de jolies baigneuses sous un arbre au feuillage léger, une pendule tragique - La fuite de l’heure, une fontaine en étain baptisée Le poème de l’eau, un petit Penseur sur un encrier. Dans la collection d’Octave Maus, j’ai remarqué cette fois la belle tête d’une Herscheuse, forte sanguine de Rassenfosse ; un Jour de pluie d’Anna de Weert m’a consolée du gris été bruxellois.

    Charpentier était en correspondance avec Meunier, Van Rysselberghe, Signac, qui ont fait son portrait. Il a représenté Zola, Eugène Isaÿe et bien d’autres. Toute l’effervescence des arts est là et m’a rappelé la grande exposition Paris-Bruxelles, Bruxelles-Paris visitée à Gand il y a dix ans. Ici, la démarche est plus modeste, mais je vous garantis que vous ne vous ennuierez pas.

  • Marchand de tableaux

    Le Portrait d’Ambroise Vollard par Renoir (1908) orne la couverture des Souvenirs d’un marchand de tableaux (1937), une somme d’anecdotes qui permet de revivre une époque où l’art était plus qu’aujourd’hui à la portée des amateurs. Si Cézanne et Renoir sont les peintres qu’il a le mieux connus, il en passe beaucoup d’autres dans ces mémoires, que termine un volumineux index.

    Vollard commence par son enfance à l’Ile de la Réunion. Surpris de voir sa tante s’inspirer de fleurs artificielles pour ses aquarelles, alors que celles du jardin sont bien plus belles, il s’en souviendra en apprenant que « les plus somptueux bouquets de Cézanne avaient été peints d’après des fleurs en papier. » Collectionneur précoce, il ramasse des galets, puis des fragments de porcelaine bleue, amoureux déjà des couleurs et de la lumière : « C’est, au coucher du soleil, un brouillard bleu tombant des hauteurs, ouate impalpable qui, en quelques instants, répand l’ombre, une ombre comme faite de ces gris argentés qui enchantent dans les toiles de Whistler. »

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    Etudiant en droit, Vollard préfère à l’étude les flâneries sur les quais, à observer dessins et gravures dans les vitrines parisiennes. Premiers achats. « 1890 ! Quelle époque bénie pour les collectionneurs ! Partout des chefs-d’œuvre et autant dire pour rien. » Attentif aux prix, il les voit grimper en passant d’une main à l’autre et comprend très vite comment faire pour enrichir ses collections et commercer, tandis que le sympathique Père Tanguy, marchand de couleurs, fait crédit aux jeunes peintres.

    Dans la galerie où il s’initie au métier de marchand de tableaux, Vollard constate la défiance du patron envers les peintures nouvelles qu’il lui conseille d’acquérir et se décide à le quitter. « Ecoutez, mon cher Vollard, nous nous quittons bons amis, n’est-ce pas ? Quand vous parlerez d’impressionnisme, je compte sur votre loyauté pour dire que je déteste ça. – Non seulement je prends l’engagement de le dire, mais, si l’occasion se présente, je l’écrirai. Je tiens ma parole. »

    A Montmartre en ces années-là, Vollard fréquente Bonnard, Lautrec, Degas et Renoir si dissemblables. En affaires, il apprend vite ce qu’il convient de dire ou de taire, comment faire monter les prix pour susciter l’intérêt de l’acheteur, comment recueillir l’information qui permet de s’emparer le premier d’œuvres possédées par des gens qui n’ont aucune idée de leur valeur. Ce qui rend ses souvenirs très vivants, ce sont toutes les conversations que le marchand rapporte : bêtises des uns, astuces des autres, propos d’artistes surtout. Renoir : « Avec toutes leurs sacrées histoires de peinture nouvelle, j’aurai mis quarante ans à découvrir que la reine des couleurs, c’est le noir ! » Manet : « Un peintre peut tout dire avec des fruits ou des fleurs, ou des nuages seulement. » - « Je voudrais être comme le saint François de la nature morte ! »

    Vollard rend un bel hommage à Mary Cassatt, la plus discrète des impressionnistes, qui se dépensait sans compter pour le succès de ses camarades sans se soucier de sa propre peinture. Il nous décrit le convoi funèbre de cette artiste généreuse, suivi par le village entier de Mesnil-Beaufrêne, dans l’Oise, en 1926. On jeta des œillets et des roses sur sa tombe – qu’en aurait pensé Degas qui se montrait intransigeant à propos des fleurs qu’il ne supportait qu’au jardin, capable de quitter une table où on l’avait invité s’il s’y trouvait un bouquet ? Odilon Redon, au contraire, avait toujours des fleurs dans son atelier, malgré le dénuement. Il raconte à Vollard une visite chez un ami peintre à la Ruche : « Sur une table, il y avait des tulipes et un livre dont la reliure fatiguée témoignait qu’on le lisait souvent. Je me suis dit : « Voilà qui sonne bien ! » »

    Posant pour Cézanne, le collectionneur-marchand s’endort et s’écroule de la plate-forme préparée par le peintre : « Malheureux ! Vous avez dérangé la pose ! On doit poser comme une pomme. Est-ce que ça remue, une pomme ? » Dans l’atelier de Rodin, à qui Vollard apporte une statuette de Maillol, Bourdelle est là, poussant de réguliers « Rodein ! Le grand Rodein ! » Voyant Rodin donner forme à une boule de glaise, quelqu’un lui demande : « Illustre ami, où puisez-vous toute cette vie qui palpite dans les moindres fragments de votre œuvre ? – Dans la vie elle-même… Je fais de la vie avec la vie ! »

  • Des photos au musée

    L’extension récente du Musée de la Photographie à Charleroi était un bon prétexte pour enfin découvrir ses collections. Cela vaut le déplacement. Au carrefour d’une avenue fort passante, derrière un bosquet de bouleaux, seules les briques rouges de la façade ancienne apparaissent dans une pluie d’orage, et une grande photo sur un pignon latéral.

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    Première exposition, « l’abécédaire » noir et blanc d’Hugues de Wurstemberger : « De marques en mesures, de voyages en absences est venu le désir d’en faire un recueil, sorte d’abécédaire : l’arbre, le chat, le soleil et la mouche », peut-on lire près d’une photo de Pauline et Brigitte. Des instantanés évoquent la vie tranquille : deux pieds qui vont se poser sur l’eau, une racine sur une dalle abandonnée dans l’herbe, des chiens au bout de leur chaîne, des enfants, leur grand-mère. Moins familières, ses images ramenées d’Afrique, notamment du Sahara occidental. Sur la photo de quatre pilotes marocains capturés (dixit la légende), on les voit en train d’écrire à leur famille. Fragments de têtes, bras, mains, cigarettes, briquets, et les feuilles de papier noircies d’écritures diverses. Nous sommes en vie, écrivent-ils peut-être (c’est ce à quoi j’ai pensé).

    Par la galerie du cloître, qui a perdu son carrelage mais gardé les boiseries de sa voûte et, près d’une fenêtre, de beaux éviers creusés dans la pierre noire, on arrive aux collections du XIXe siècle. Les vitrines conservent de vieux appareils et instruments, des albums, des portraits richement encadrés, un livre de Darwin, L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1877), illustré de visages aux mimiques variées. Plus loin, un magnifique visage de fillette au regard plein de défi : The Anniversary, de Julia Margaret Cameron ; des portraits de jeunes femmes silencieuses en longues robes, d’allure préraphaélite, qui font penser aussi aux toiles de Fernand Khnopff, comme les Etudes de jeunes filles de Gustave Marissiaux.

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    Une porte ouvre sur la nouvelle aile du musée, où les baies vitrées révèlent l’architecture contemporaine. Cap sur les XXe et XXIe siècles. Après la palette de gris qu’on appelle le noir et blanc, le monde retrouve ses couleurs. Un ballet de nuages au-dessus d’une route dans l’Arizona, de Stephen Share. Au centre d’un magnifique halo obscur, Lisa Kereszi a saisi une danseuse en rouge sur une scène : elle bouge dans la lumière du projecteur, et son ombre immense sur le mur du fond. Une grande vue de Séoul par Stéphane Couturier est rythmée par les perpendiculaires de grandes poutres métalliques. Une Haie de Manfred Jade nous fait plonger dans le feuillage, un rectangle saturé de verdure. Passer d’un univers à l’autre, sans transition, désarçonne un peu.

    A-t-on suivi ou perdu le sens du parcours ? Voici la section des photographes les plus connus et des moments historiques : visages du Ché, Mort de Martin Luther King, Mai 68, Prague, la jeune fille à la fleur face aux fusils manifestant contre la guerre au Vietnam (Marc Riboud), des portraits saisissants de Diane Arbus. Somptueuse neige de pétales sur une jeune fille et sur le sol sous un cerisier japonais, par Edouard Boubat. Que donnerait cette scène en couleurs - au lieu de tout ce blanc, du rose ? Pourquoi la perception en noir et blanc diffère-t-elle à ce point de la vision en couleurs ? Pourquoi les photographes contemporains se passent-ils encore souvent de ces dernières ? Est-ce pour les effets de lumière, les contrastes, ou pour effectuer leurs propres tirages ?

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    Plein de questions passionnantes accompagnent cette première visite au Musée de la Photographie où l’on se promet de retourner, pour mieux voir. Avant la sortie, encore un coup d’œil à l’exposition de Dave Anderson, Rough beauty, avec un puissant portrait de Ray Wilson. Sur les murs, des maximes : « Rester ici et faire avec », « Le monde n’a pas été fait pour nous devoir quelque chose. Il a été fait pour qu’on y fasse quelque chose. » J’ai souri à la rencontre d’un chat noir et d’un chat blanc.

  • Sous le regard

    Poser : demeurer un certain temps immobile dans l'attitude choisie par l'artiste afin qu'il puisse reproduire son modèle. Le peintre et son modèle forment un sujet classique en peinture. Les écrivains l'abordent moins souvent : Le chef-d’œuvre inconnu de Balzac a inspiré au cinéaste Jacques Rivette La Belle Noiseuse, avec Emmanuelle Béart / Marianne dans l’atelier de Piccoli / Frenhofer, à qui le peintre Bernard Dufour avait prêté ses mains. Tracy Chevalier nous a donné avec La jeune fille à la perle un roman délicat sur Vermeer, porté à l’écran par Peter Webber.

    D’origine scandinave et anglaise par ses grands-parents, l’Américain Larry Watson a publié Sonja à la fenêtre en 2003 : Sonja Skordahl, une Norvégienne, y devient le modèle de prédilection de Ned Weaver. « Weaver n’avait jamais connu de modèle qui eût autant que cette femme le talent de rester immobile. » Poser nue, quand on est une femme mariée de surcroît, paraît scandaleux à la plupart des habitants de leur ville au bord du lac Michigan. Deux couples vont en être profondément bouleversés : celui de Sonja et Henry House ; celui des Weaver, même si Harriet a depuis longtemps l’habitude des infidélités de son mari avec ses modèles.

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    Ken Orton, Blood and Milk

    Les séances de pose occupent une large place dans ce roman. Qu’éprouve le modèle sous le regard de l’artiste ? Quelle lumière, quelles lignes, quelles émotions le peintre cherche-t-il  à poser sur la toile ? Pourquoi exige-t-il que Sonja se place près de la fenêtre de son atelier, un chalet au bout de sa propriété, d’où on pourrait la voir, de la colline voisine ? L’activité du peintre à l’œuvre n’est pas ici simplement anecdotique. L’auteur tâche de cerner ce qui se passe dans la rencontre des regards, dans la rencontre des corps. Autour d’eux, nombreux sont ceux qui n’y voient qu’autre chose : une affaire de sexe, puisque Weaver a une réputation de coureur ; une affaire d’argent, vu les hauts prix demandés par la galerie new-yorkaise qui vend ses toiles.

    Mais pour les House, le choix de Sonja - elle a attendu avant d’acquiescer à la demande du peintre de poser pour lui contre rétribution – est lié à un drame personnel. Ils ont deux enfants : June, l’aînée, et le petit John. Sonja s’est juré qu’ils ne connaîtraient pas le même sort qu’elle, confiée par ses parents à une tante lointaine pour lui assurer un avenir meilleur. Henry House vit de ses vergers, où il cultive quelques variétés de pommes qui ont fait la réputation de sa famille. La perte d’un enfant va leur ôter tous leurs repères. Sonja et Henry, Sonja et le peintre : sous leur regard, l’héroïne du roman livre peu à peu ce qu’elle est, ce qu’elle refuse, ce qu’elle veut.

    Il y a bien sûr des paysages dans cette histoire, des ciels, des arbres, des bêtes, des saisons. Des hommes qui se soûlent et se lancent des défis, des femmes qui les provoquent. Il y a ce qu’on pense et ce qu’on dit – ou ce qu’on ne dit pas. Larry Watson, de temps en temps, projette ses personnages dans le futur. Fallait-il absolument fermer, pour les lecteurs, toutes les fenêtres ouvertes dans ce récit ? C’est à l’art, en tout cas, qu’il donne le dernier mot.