Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Peinture - Page 113

  • Cobra libre

    L’aventure Cobra (1948-1951) fait l’objet, pour ses soixante ans, d’une belle exposition aux Musées Royaux des Beaux-Arts, visible jusqu’au 15 février 2009.
    Il y avait du monde, dimanche dernier, pour s’amuser aux facéties, aux couleurs et aux jeux de mots des artistes de COpenhague, BRuxelles et Amsterdam qui décidèrent, en novembre 1948, de libérer l’art des « ismes » en tous genres, dont le parisianisme. Il fallait « échapper au règne de la raison » (Asger Jorn, Discours aux pingouins, 1947), refuser de s’embrigader « dans une unité théorique artificielle » (La cause est entendue, 1948). Le serpent acronyme, leur emblème, était du côté de l’instinct contre l’idée.

    « L’esthétique est un tic de la civilisation.
    Qui nie le bonheur sur terre nie l’art.
    Pas de bon tableau sans un gros plaisir.
    En art pas de politesse – l’art c’est du désir brut. »
    (Cobra n° 4, 1949)

    Alfelt Else Paysage de Montagne Islande 1948.jpg

    Photos et revues des surréalistes révolutionnaires hollandais, belges et danois rappellent le contexte d’après-guerre. On voit d’emblée que les artistes du groupe Cobra ont beaucoup écrit. Dotremont surtout, aux innombrables trouvailles : « Et je ne vais dans les musées que pour enlever les muselières. » La revue Cobra connaîtra dix numéros – le premier publié à Copenhague, le dernier à Liège – sans compter Le petit Cobra où se côtoient joyeusement textes et dessins.

    Dans le groupe danois, à côté d’Asger Jorn, le fondateur, j’ai découvert Else Alfelt à travers deux oeuvres vibrantes peintes en 1948 : Rêve d’été (Norvège), une aquarelle diaprée, et ce Paysage de montagne (Islande), de puissantes arêtes obliques à l’assaut du ciel. Carl-Henning Pedersen, son époux, est représenté par de grandes toiles où les jaunes et les bleus dominent, même dans Personnage souriant et bateau rouge (1950).

    « Nous sommes peintres et le matérialisme est d’abord, pour nous, sensation du monde et sensation de la couleur. » (Cobra, n° 2, 1949) La vivacité des tons dans Petits masques de la désobéissance, une toile de Constant (Hollande) se retrouve aussi dans Rouge imaginaire de Anders Osterlin (Suède), faux collage de figures humaines et animales. Des oiseaux, des mains à quatre doigts, des soleils, chez Constant, ce sont des jeux de grands enfants, pleins de fraîcheur. D’Alechinsky, ne ratez pas les neuf eaux-fortes sur le thème des métiers : le coiffeur, le pêcheur et les autres y sont drôlement campés. Le pompier, par exemple. Une hache et un tuyau en spirale pour la tête, une échelle, des extincteurs - et hop !

    Cobra, ce sont aussi des sculpteurs. Sonja Ferlov-Mancoba, danoise, avec des bronzes : une bête étrange à trois pattes ; une tête penchée, La petite douce. De son compatriote Henry Heerup, plusieurs sculptures en pierre, dont un charmant Eskimo, posées sur un parterre de charbon. Du belge Reinhoud, décédé l’an dernier, un tonitruant coq en cuivre. Des ardoises gravées de Raoul Ubac. Les photographies en noir et blanc de Serge Vandercam reposent un peu les yeux, dont un très bel Hommage à Giacometti, où des tiges de métal se dressent dans le sable.

    Cet univers plein de fantaisie détonne sans doute moins aujourd’hui que dans les années ’50. Il y souffle un vent de liberté créatrice très réjouissant. On n’a pas cité tous les artistes, les Karel Appel, Corneille, Van Lint, Hugo Claus, et compagnie. Connus, peu connus, ils sont tous à la fête, au Palais des Beaux-Arts aussi, dans une exposition parallèle, Estampes et imprimés, bientôt clôturée (jusqu’au 4 janvier). L’expo Cobra des MRBA se termine sur des œuvres mixtes : Reinhoud & Alechinsky, Claus & Vandercam, un grand paravent d’Alechinsky, Abrupte fable, avec un poème de Dotremont. Celui-ci s’y montre partout – textes, peintures, calligraphies – fidèle à sa conviction : « La vraie poésie est celle où l’écriture a son mot à dire. »

    Chère lectrice, Cher lecteur, que l'année 2009 vous soit douce et légère !

  • Cottages d'artistes

    Esther Freud, née en 1963, est la fille du peintre Lucian Freud, l’arrière-petite-fille de Sigmund Freud. La romancière anglaise s’est inspirée d’archives familiales pour écrire La maison mer (The Sea House, 2003), une double histoire dont les cottages de Steerborough, dans le Suffolk, sont plus que le décor. Une histoire d’artistes.

     

    En 1953, le peintre Max Meyer se rend sur la Côte à la demande de Gertrude Jilks, une psychanalyste pour enfants, l’amie de sa sœur Kaethe. Max est sourd depuis l’âge de treize ans. Gertrude remplit une promesse faite à son amie récemment disparue en demandant à Max de venir peindre sa maison, Marsh End, pour l’occuper. Cinquante ans plus tard, Lily Brannan s’installe à son tour à Steerborough. Etudiante en architecture, elle veut découvrir de près ce village où a vécu l’architecte Klaus Lehmann. Pour son travail de fin d’études, elle lit les lettres qu’Elsa Lehmann, son épouse, a conservées, une correspondance de vingt ans que lui a confiée un parent. Nick, son fiancé, resté à Londres, ne comprend pas son refus d’un téléphone portable. La cabine téléphonique locale fonctionne mal. Dès le premier jour, Lily se promène pour prendre ses repères : « La mer roulait ses vagues, juste derrière la ligne d’horizon, elle semblait appeler Lily de son grondement magnétique. » 

    Munnings.jpg

    Cette double histoire, celle de Max, celle de Lily, appelle la lumière et les couleurs. « Le paysage dans son ensemble était déjà une aquarelle qui n’avait nul besoin de ses coups de pinceau » se dit Max au début. Le soleil « donnait à l’herbe un vert surnaturel, aux flaques un bleu alpestre, et rappelait à Max les ciels de la peinture religieuse italienne qu’il avait étudiés, les chérubins potelés, les doigts de la lumière divine. » Lui aussi relit des lettres d’autrefois, celles de son maître en peinture, Cuthbert Henry. Le père de Max avait rétribué celui-ci pour conseiller son fils dont on lui envoyait les dessins, et puis ces échanges s’étaient mués en une véritable amitié. « Un peu sourd ? Qui vous dit que vous avez besoin de vos oreilles pour peindre ? » lui avait-il écrit un jour. Et une autre fois, « « Et si vous attendez de savoir dessiner à la perfection, alors vous pouvez aussi bien attendre jusqu’à l’heure de votre mort. »

     

    Quand Gertrude invite les Lehmann, Klaus et sa femme, pour qu’il fasse leur connaissance, Max est ébloui par la beauté d’Elsa. A sa grande surprise, celle-ci se souvient de lui, du temps des vacances d’été à Hiddensee. Enfant, elle avait observé le beau couple qu’il formait avec une jeune fille en robe verte – « C’était ma première rencontre avec l’amour », dit-elle. Max se met à peindre, une maison après l’autre, sur un rouleau de papier d’apprêt trouvé chez Gertrude. Par tous les temps, on le voit sur son tabouret, croquant les architectures, les détails, les gens aussi. « Une large frise composée de verts, de briques et de fenêtres, d’oiseaux, de chats, de ciel. » On découvre par petites touches le passé de Max, son départ d’Allemagne, l’histoire de sa famille. La rencontre avec les Lehmann – l’architecte juif allemand a fui les nazis lui aussi -  fait affluer les souvenirs. Elsa, un jour, l’emmène dans la maison mer, une cabane blanche sur pilotis, où l’amour et le drame se donneront rendez-vous.

     

    Lily, un demi-siècle après, tombe littéralement sous le charme de l’endroit et de ses habitants. Sa voisine Ethel prend chaque jour un bain de mer à quatre-vingts ans passés. A côté, Grae, qu’elle entend se disputer avec sa femme, a deux fillettes, Em et Arrie, qui suivent Lily partout ou bien l’emmènent sur des chemins inattendus. Lily voudrait partager son enthousiasme avec Nick, mais il y a toujours quelque chose d’urgent qui le retient à Londres. Et les mots d’amour qu’il ne lui a jamais dits lui manquent terriblement, si loin de ceux qu’écrivait Klaus à Elsa.

    La maison mer d’Esther Freud parle des choses de la vie, au dehors comme au dedans. Les rapports entre les êtres, la création, la vie au village, la nature et les demeures des hommes, leurs élans et leurs hésitations… Un roman palpitant.

  • Bouddha en Corée

    Si vous vous rendez au Palais des Beaux-Arts pour « Le sourire de Bouddha », exposition exceptionnelle consacrée aux seize cents ans d’art bouddhique en Corée, ne manquez pas de monter à l’étage : vous y verrez « Sacred Wood » de Bae Bien-U, qui photographie depuis 1981 les forêts de pins typiques de son pays. Le pin y symbolise la longévité et, pour le photographe coréen, l’arbre dans la forêt, comme l’homme parmi ses semblables, est à la fois pareil et unique. Ses grands paysages où
    la lumière joue un rôle essentiel veulent restituer « l’essence du réel ». C’est superbe.

     

    Mais commençons par le commencement, à savoir l’énorme Bouddha du VIIIe siècle, en granit, qui accueille les visiteurs en face du grand hall. Au pays du matin calme, le bouddhisme fut la seule invasion pacifique, au IVe siècle. Avant cela, les Coréens partageaient avec le peuple sibérien le culte de l’Ourse, la mère originelle. Dans la première salle d’un parcours chronologique, j’ai admiré un très fin petit Bouddha debout (Chine, VIe s.), plein de douceur. Il précède le trésor de tombes royales, dont une grande couronne et une ceinture en or massif sont les pièces maîtresses. Le motif de la couronne rappelle que l’arbre fait le lien entre les enfers et les cieux. Au mur,
    une vidéo reconstitue virtuellement les anciens palais et anime de belles fresques consacrées aux activités quotidiennes : musique, danse, arts martiaux et chasse.

     

    DSC09997.JPG
    Contemplative Bodhisattva, National Museum of Korea (Seoul)
    (d'après Bozarmagazine, novembre 2008)

     

    Des panneaux rappellent, entre autres caractéristiques de la représentation du Bouddha, la protubérance crânienne, les lobes d’oreilles étirés, les trois plis au cou.
    Le geste de la main droite rassure, celui de la main gauche donne. Les bodhisattvas sont ceux qui se sont strictement engagés dans la voie de la foi. Parmi eux, Avalokitesvara, figure de la compassion, est considéré comme le sauveur des âmes sensibles. Il y a aussi des Bouddhas médecins, un bol à la main. Au bout de la première aile apparaissent des Bouddhas méditants, conjuguant élégance et spiritualité : jambe droite repliée, pied sur le genou gauche, doigts de la main droite contre la joue, voici la merveilleuse sculpture en bronze doré, Contemplative Bodhisattva, qui sert d’affiche à l’exposition, image gracieuse de la méditation.

     

    On découvre ensuite l’art des pagodes : tuiles faîtières, pierres sculptées, urnes funéraires. Une première magnifique photographie de Bae Bien-U en noir et blanc montre dans un très grand format (135 x 260 cm) le site des tumuli funéraires abritant les tombes royales. Des vitrines exposent le contenu de reliquaires : petites statues de Bouddha, minuscules stupas votifs à base carrée. Cloches de bronze, encensoirs, coupes en céladon, toutes sortes d’objets rituels et usuels illustrent l’art bouddhique typiquement coréen. Puis de riches statues dorées : couvert de bijoux, un Avalokitesvara assis du XIVe siècle se déhanche, un coude sur le genou, décontracté. Il contraste avec un Vairocana en fonte du Xe siècle, assis traditionnellement en position du lotus, qui offre un extraordinaire sourire.

     

    Dans les peintures bouddhiques plus tardives, le rouge et le vert dominent. Les figures couvrent la toile et saturent l’espace. En contraste, les peintures sur soie privilégient la finesse, comme sur ces rouleaux où sont calligraphiés des textes sacrés, et les nuances subtiles, par exemple pour le Bouddha « lune - eau » représenté devant des bambous, les yeux baissés vers un lac où la lune se reflète. L’exposition se termine sur des œuvres contemporaines de Park Dae-Sung, un autodidacte inspiré par les temples anciens. Mais avant de passer dans cette dernière salle, n’oubliez surtout pas de prendre à droite l’escalier qui mène aux forêts magiques de Bae Bien-U.

     

    Quelle déception de ne trouver qu’une douzaine de cartes postales à la fin d’une si beau parcours ! Et dans cette série, aucun des plus beaux Bouddhas. Bien sûr, le catalogue reprend toutes les œuvres, mais les acheteurs du catalogue aimeraient aussi envoyer à leurs amis des reproductions des plus fameuses, d’une part, et ceux qui n’emportent pas le catalogue seraient heureux de repartir avec quelques cartes postales, d’autre part. Dommage. Espère-t-on qu’ils se consolent avec les fanfreluches du Bozarshop ? Les « Joyaux de la Nation » coréenne sont exposés jusqu’au 18 janvier 2009.

  • Le don de l'Italie

    « L’Italie a fait don de la Renaissance au monde. J’ose lui rendre un simple livre (…) » : la modestie d’Edouard Pommier à la fin de son passionnant Comment l’art devient l’Art,  dans l’Italie de la Renaissance (2007) ne doit pas masquer la formidable entreprise de l’auteur qui nous raconte l’aventure des « trois arts du dessin », peinture, sculpture et architecture, au pays de Michel-Ange, du XIVe au XVIe siècle. Servi par sa « passion raisonnée pour l’Italie », l’essayiste montre comment les composantes essentielles de l’art sont nées à cette époque, en Toscane et à Rome : aussi bien le mot « artiste » que l’histoire de l’art, l’entrée des génies artistiques parmi les hommes illustres que l’invention des académies, des musées, du public même.

    Un objectif si vaste peut inquiéter le profane. Pommier le prend par la main et le guide vers la lumière. Au début, il y a Dante, premier à prophétiser la gloire ici-bas pour les peintres à l’instar des poètes. C’est lui l’inventeur absolu du personnage de l’artiste, de sa dignité nouvelle, de son dialogue avec les Anciens et avec la nature - à propos de Giotto. Celui-ci fait la gloire de Florence, reconnaît Boccace, et Pétrarque admire son art du portrait devenu  « l’image vivante de l’être humain ». Ces trois poètes ont l’intuition d’une étape décisive pour les arts vers 1430, le mythe de Florence est né.

    3e4f7c52679aaa410354d19ff8d45cdc.jpg 
    http://www.toscane-toscana.org

    Si l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien a permis de connaître l’Antiquité, c’est aux Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes de Vasari que l’on doit les informations les plus précieuses sur ces personnes de basse condition, ni princes ni héros, jusque-là de simples artisans. Ils osent à présent se représenter : le peintre ou le sculpteur se glisse parmi les personnages secondaires d’un récit biblique ou historique, comme Botticelli dans L’Adoration des Mages. Ghiberti sculpte deux fois son portrait sur la porte du Baptistère de Florence. Quant au premier portrait d’artiste vraiment public, en reconnaissance envers celui qui a dessiné l’image de sa ville pour toujours avec la géniale coupole de la cathédrale florentine, il orne le tombeau de Brunelleschi. Au XVIe siècle, les galeries de portraits d’artistes, par exemple au Palais de la Seigneurie à Florence, les feront entrer définitivement dans l’Histoire.

    La découverte à Rome, en creusant des fondations, du Laocoon « dont parle Pline », a changé le regard sur les œuvres antiques. Images des dieux païens, elles avaient été rejetées parce qu’issues des empereurs ennemis de l’Eglise. Mais l’heure est venue de les mettre en vue sur les places. Même le pape considère qu’il faut garder la mémoire des « choses bonnes » et accorder l’ancienne et la nouvelle Rome. Toute une génération d’artistes ressuscite l’antiquité et s’en inspire. Ainsi naissent les « chefs-d’œuvre », ces œuvres anciennes qui méritent le voyage, et bientôt aussi les nouvelles, de Michel-Ange et de Raphaël en particulier. Peintres et sculpteurs affluent à Rome et à Florence pour s’initier à leur exemple.

    La figure de la femme idéale, Renommée, Victoire ou Vertu, se met à incarner les activités de l’esprit. Bramante, pour la première fois, représente l’Architecture, vers 1505, par une noble silhouette féminine tenant les instruments de son art. Sur le tombeau de Michel-Ange, la Peinture est une femme tenant une statuette à la main, peut-être pour rappeler sa primauté dans la sculpture. L’unité du « Disegno », des trois arts du dessin (peinture, sculpture et architecture), est essentielle à l’identité de Florence.

    « Ils ont une grande dette de reconnaissance envers le ciel et la nature, ceux qui enfantent sans peine des œuvres dotées d’une grâce que d’autres ne peuvent obtenir ni par le travail ni par l’imitation », écrit Vasari. Pour lui, l’idéal artistique se définit par une certaine liberté dans la règle, sans pour autant la transgresser. Pommier a d’autres belles formules :  « La grâce est un don reçu et se révèle dans le don aux autres » ou encore elle est « l’art de cacher l’art ».

    Le jardin de Saint Marc à Florence est-il le premier musée et la première académie des arts de l’Europe ? A cette question et à plein d’autres qui participent de cette Renaissance italienne, Comment l’art devient l’Art apporte des réponses nuancées, étayées, enrichies d'anecdotes et de commentaires, ainsi que d'une centaine d’illustrations. A qui s’intéresse aux beaux-arts, la remarquable synthèse d’Edouard Pommier offre une mine d’informations et de sujets de réflexion. Inutile de préciser qu’en lisant, on caresse le projet de partir illico pour l’Italie et de redécouvrir de visu tant de splendeurs, « belles antiques » et chefs-d’œuvre nourriciers.

  • A l'heure japonaise

    La remarquable exposition « Oriental fascination » ou « Le japonisme en Belgique, 1889-1915 » se tient encore à l’Hôtel de Ville, Grand-Place, jusqu’au 28 septembre. On y est accueilli par une élégante Parisienne japonaise d’Alfred Stevens, en kimono fleuri, qui se regarde dans un miroir. Les femmes occupent une grande place dans ces « japonaiseries », la nature aussi. Mais tout était prétexte alors pour se mettre à l’heure japonaise, comme on le voit sur des photographies de soirées costumées, engouement qui fit dire à Alexandre Dumas : « Tout est japonais de nos jours. »

    Comment résister au charme de La belle Yosooi de Mastuba-ya, en train d’écrire sur un rouleau de papier, ou à la magnifique Princesse descendant d’une calèche de Kitagawa Utamaro ? C’est une longue estampe horizontale dans une dominante de rose : près d’un cerisier en fleurs, une femme descend de sa voiture qu’entourent des courtisanes attentionnées. Hiroshige, le célèbre paysagiste du XIXe siècle, est très bien représenté dans les deux salles de l’exposition, avec Mésange sur une branche de camélia, par exemple, et des vues de sa série de paysages japonais, souvent traversés par un pont, sujet cher aux Asiatiques.

    80008f73dfcbfa9a0afc331b546cab67.jpg

    Des poètes belges se sont associés à cette fascination de l’Orient. De Max Elskamp sont présentées plusieurs belles pages illustrées de L’éventail japonais. Emile Verhaeren, qui fut sollicité pour accompagner des Images japonaises de textes inspirés par des estampes (sous vitrine), publia Les villages illusoires avec une série de gravures signées Ramah dans un style japonisant.

    Les estampes ont inspiré à Adolphe Crespin un grand ensemble de toiles pour orner une chambre à coucher. Décoratif aussi, un panneau commandé par Rops à Auguste Donnay, Et pour l’automne. Une étude à l’aquarelle, avec une bordure corail, des tons contrastés, une ligne ferme, jouxte la grande toile plus crémeuse. Dans la même gamme de couleurs, on peut voir un beau pastel de Fernand Khnopff, Des roses, en bouquet près d’un visage de rousse énigmatique.

    6f3e8337dbc43e876d19424129b28f1f.jpg

    Spilliaert est bien sûr au rendez-vous, avec des bords de mer à l’encre de Chine où les courbes puissantes vont souvent par trois, comme dans Fillettes devant la vague et Femme au bord de l’eau. Moins japonaise, mais impressionnante, sa Hofstraat à Ostende où le reflet de la lune plonge entre les hauts immeubles d’une des rues étroites qui mènent à la mer. Son étonnant chat noir, silhouette fantastique, est accroché au-dessus d’un autre moins inquiétant peint par Rik Wouters, près du Merle de Boitsfort, gaiement croqué par ce génie du familier.

    Parmi les affiches inspirées par l’art japonais, on retrouve une composition de Rassenfosse pour le Salon des Cent en 1896 - deux dames à une exposition, dans de chauds tons ocre - reprise en 1980 pour annoncer la mémorable exposition bruxelloise « Vies de femmes 1830-1980 ». Gisbert Combaz a peint pour le salon 1906 de La Libre Esthétique un voilier secoué par les flots, lui qui était excellent marin se représente par ailleurs à la barre dans un autoportrait. Van Rysselberghe, Rops, Lemmen, Ensor… La liste des peintres belges influencés par le Japon et présents dans cette exposition serait fastidieuse. Des artistes moins connus sont associés à ces grands noms, par des paysages aux lignes sinueuses (Melchers) ou vibrants de lumière (Van Ermengen, frère de l’écrivain Franz Hellens).

    1cc16675b2fdf82a816305f814dc239d.jpg

    Quelle bonne surprise de retrouver ici l’Autoportrait d’Hokusai âgé, une reproduction de 1905 prêtée par le Musée national de Cracovie – le musée polonais a hérité en 1920 de près de cinq mille estampes d’un collectionneur -, et quelques-unes de ses fameuses Cascades ! Une citation traduite en trois langues (français, néerlandais et anglais, comme le catalogue trilingue) résume bien l’état d’esprit que reflètent toutes ces œuvres : « Vivre seulement pour l’instant, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les érables rouges ; chanter des airs, boire, se divertir et se laisser flotter comme flotte la gourde au fil de l’eau. » (Asai Ryoi, Le Dit du Monde flottant, 1661)

    (Merci à Vayhair de m’avoir rappelé cette exposition.)