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Peinture - Page 113

  • Des photos au musée

    L’extension récente du Musée de la Photographie à Charleroi était un bon prétexte pour enfin découvrir ses collections. Cela vaut le déplacement. Au carrefour d’une avenue fort passante, derrière un bosquet de bouleaux, seules les briques rouges de la façade ancienne apparaissent dans une pluie d’orage, et une grande photo sur un pignon latéral.

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    Première exposition, « l’abécédaire » noir et blanc d’Hugues de Wurstemberger : « De marques en mesures, de voyages en absences est venu le désir d’en faire un recueil, sorte d’abécédaire : l’arbre, le chat, le soleil et la mouche », peut-on lire près d’une photo de Pauline et Brigitte. Des instantanés évoquent la vie tranquille : deux pieds qui vont se poser sur l’eau, une racine sur une dalle abandonnée dans l’herbe, des chiens au bout de leur chaîne, des enfants, leur grand-mère. Moins familières, ses images ramenées d’Afrique, notamment du Sahara occidental. Sur la photo de quatre pilotes marocains capturés (dixit la légende), on les voit en train d’écrire à leur famille. Fragments de têtes, bras, mains, cigarettes, briquets, et les feuilles de papier noircies d’écritures diverses. Nous sommes en vie, écrivent-ils peut-être (c’est ce à quoi j’ai pensé).

    Par la galerie du cloître, qui a perdu son carrelage mais gardé les boiseries de sa voûte et, près d’une fenêtre, de beaux éviers creusés dans la pierre noire, on arrive aux collections du XIXe siècle. Les vitrines conservent de vieux appareils et instruments, des albums, des portraits richement encadrés, un livre de Darwin, L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1877), illustré de visages aux mimiques variées. Plus loin, un magnifique visage de fillette au regard plein de défi : The Anniversary, de Julia Margaret Cameron ; des portraits de jeunes femmes silencieuses en longues robes, d’allure préraphaélite, qui font penser aussi aux toiles de Fernand Khnopff, comme les Etudes de jeunes filles de Gustave Marissiaux.

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    Une porte ouvre sur la nouvelle aile du musée, où les baies vitrées révèlent l’architecture contemporaine. Cap sur les XXe et XXIe siècles. Après la palette de gris qu’on appelle le noir et blanc, le monde retrouve ses couleurs. Un ballet de nuages au-dessus d’une route dans l’Arizona, de Stephen Share. Au centre d’un magnifique halo obscur, Lisa Kereszi a saisi une danseuse en rouge sur une scène : elle bouge dans la lumière du projecteur, et son ombre immense sur le mur du fond. Une grande vue de Séoul par Stéphane Couturier est rythmée par les perpendiculaires de grandes poutres métalliques. Une Haie de Manfred Jade nous fait plonger dans le feuillage, un rectangle saturé de verdure. Passer d’un univers à l’autre, sans transition, désarçonne un peu.

    A-t-on suivi ou perdu le sens du parcours ? Voici la section des photographes les plus connus et des moments historiques : visages du Ché, Mort de Martin Luther King, Mai 68, Prague, la jeune fille à la fleur face aux fusils manifestant contre la guerre au Vietnam (Marc Riboud), des portraits saisissants de Diane Arbus. Somptueuse neige de pétales sur une jeune fille et sur le sol sous un cerisier japonais, par Edouard Boubat. Que donnerait cette scène en couleurs - au lieu de tout ce blanc, du rose ? Pourquoi la perception en noir et blanc diffère-t-elle à ce point de la vision en couleurs ? Pourquoi les photographes contemporains se passent-ils encore souvent de ces dernières ? Est-ce pour les effets de lumière, les contrastes, ou pour effectuer leurs propres tirages ?

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    Plein de questions passionnantes accompagnent cette première visite au Musée de la Photographie où l’on se promet de retourner, pour mieux voir. Avant la sortie, encore un coup d’œil à l’exposition de Dave Anderson, Rough beauty, avec un puissant portrait de Ray Wilson. Sur les murs, des maximes : « Rester ici et faire avec », « Le monde n’a pas été fait pour nous devoir quelque chose. Il a été fait pour qu’on y fasse quelque chose. » J’ai souri à la rencontre d’un chat noir et d’un chat blanc.

  • Sous le regard

    Poser : demeurer un certain temps immobile dans l'attitude choisie par l'artiste afin qu'il puisse reproduire son modèle. Le peintre et son modèle forment un sujet classique en peinture. Les écrivains l'abordent moins souvent : Le chef-d’œuvre inconnu de Balzac a inspiré au cinéaste Jacques Rivette La Belle Noiseuse, avec Emmanuelle Béart / Marianne dans l’atelier de Piccoli / Frenhofer, à qui le peintre Bernard Dufour avait prêté ses mains. Tracy Chevalier nous a donné avec La jeune fille à la perle un roman délicat sur Vermeer, porté à l’écran par Peter Webber.

    D’origine scandinave et anglaise par ses grands-parents, l’Américain Larry Watson a publié Sonja à la fenêtre en 2003 : Sonja Skordahl, une Norvégienne, y devient le modèle de prédilection de Ned Weaver. « Weaver n’avait jamais connu de modèle qui eût autant que cette femme le talent de rester immobile. » Poser nue, quand on est une femme mariée de surcroît, paraît scandaleux à la plupart des habitants de leur ville au bord du lac Michigan. Deux couples vont en être profondément bouleversés : celui de Sonja et Henry House ; celui des Weaver, même si Harriet a depuis longtemps l’habitude des infidélités de son mari avec ses modèles.

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    Ken Orton, Blood and Milk

    Les séances de pose occupent une large place dans ce roman. Qu’éprouve le modèle sous le regard de l’artiste ? Quelle lumière, quelles lignes, quelles émotions le peintre cherche-t-il  à poser sur la toile ? Pourquoi exige-t-il que Sonja se place près de la fenêtre de son atelier, un chalet au bout de sa propriété, d’où on pourrait la voir, de la colline voisine ? L’activité du peintre à l’œuvre n’est pas ici simplement anecdotique. L’auteur tâche de cerner ce qui se passe dans la rencontre des regards, dans la rencontre des corps. Autour d’eux, nombreux sont ceux qui n’y voient qu’autre chose : une affaire de sexe, puisque Weaver a une réputation de coureur ; une affaire d’argent, vu les hauts prix demandés par la galerie new-yorkaise qui vend ses toiles.

    Mais pour les House, le choix de Sonja - elle a attendu avant d’acquiescer à la demande du peintre de poser pour lui contre rétribution – est lié à un drame personnel. Ils ont deux enfants : June, l’aînée, et le petit John. Sonja s’est juré qu’ils ne connaîtraient pas le même sort qu’elle, confiée par ses parents à une tante lointaine pour lui assurer un avenir meilleur. Henry House vit de ses vergers, où il cultive quelques variétés de pommes qui ont fait la réputation de sa famille. La perte d’un enfant va leur ôter tous leurs repères. Sonja et Henry, Sonja et le peintre : sous leur regard, l’héroïne du roman livre peu à peu ce qu’elle est, ce qu’elle refuse, ce qu’elle veut.

    Il y a bien sûr des paysages dans cette histoire, des ciels, des arbres, des bêtes, des saisons. Des hommes qui se soûlent et se lancent des défis, des femmes qui les provoquent. Il y a ce qu’on pense et ce qu’on dit – ou ce qu’on ne dit pas. Larry Watson, de temps en temps, projette ses personnages dans le futur. Fallait-il absolument fermer, pour les lecteurs, toutes les fenêtres ouvertes dans ce récit ? C’est à l’art, en tout cas, qu’il donne le dernier mot.

  • Un soir au Louvre

    L’ouverture du Louvre en nocturne le mercredi jusqu’à vingt-deux heures permet d’y terminer une journée parisienne en beauté, avant de reprendre le dernier Thalys pour Bruxelles. Les visiteurs sont moins nombreux le soir, on peut se retrouver seul, dans les salles moins courues, en tête à tête avec Corot, Chardin ou Fragonard, par exemple.

    Mercredi dernier, on était loin de cette ambiance feutrée. C’était la grande foule. Dans les salles consacrées aux Ecoles du Nord, la reine Paola était présente à l’inauguration de l’exposition exceptionnelle de Jan Fabre, L’ange de la métamorphose, que le public peut découvrir jusqu’au 7 juillet dans l’aile Richelieu. Le site de France Culture en offre une excellente visite guidée (images et sons). 

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    J’ignore si cela se produit fréquemment, mais tandis que je visitais l’exposition consacrée à Van Dyck graveur, l’art du portrait, le son d’un instrument qui s’accordait m’attira vers une salle voisine. Un jeune homme à la clarinette basse proposait avec une jeune accordéoniste, duo inattendu, une transposition du Voyage d’hiver de Schubert. Les musiciens s’étaient installés juste en dessous d’un magnifique paysage de neige, Environs de Honfleur, signé Monet. Pour les visiteurs qui choisirent de rester là pour les écouter, ce furent des instants magiques.

    Imaginez-les, assis sur les banquettes ovales au milieu de la salle dédiée aux peintures de la donation Hélène et Victor Lyon, enveloppés par la voix chaude et caressante de la clarinette basse, accompagnée par l’accordéon. Sous les yeux, quelques belles toiles impressionnistes – il en reste au Louvre : d’autres paysages de Monet, dont les Glaçons sur la Seine à Bougival,  des arbres en fleurs sur un Pissarro, Paysage à Pontoise, un chemin dans les bois de Sisley, des fleurs de Fantin-Latour

    Trois Renoir dont la délicieuse Lecture : une fille aux longs cheveux blonds retenus par un nœud blanc, les mains croisées sur un livre ouvert, se tient les yeux baissés sur le texte ; sa compagne, brune en robe rouge, absorbée elle aussi par la lecture, le menton appuyé sur la main gauche, a posé l’autre bras sur le dossier de la chaise, dans le dos de son amie. « Il y a une telle émotion dans Renoir, un mouvement parfait, une douceur… On peut toucher le bonheur rien qu’en voyant les nœuds dans les cheveux des petites filles. » répond le peintre du roman Escalier C d’Elvire Murail à un critique d’art qui s’étonne de voir un artiste contemporain s’intéresser à ce peintre qu’il juge trop sucré (Renucci campe ce personnage de manière formidable dans l’adaptation cinématographique de Tacchella).

    Et, dans le même temps, la musique de Schubert. Un cadeau du ciel.

    Ailleurs, des étudiants du Conservatoire jouaient sur divers instruments, seuls, en groupe. Plus loin, même, de jeunes danseurs aux pieds nus improvisaient sur une musique contemporaine interprétée par des cuivres. La plupart des visiteurs se détournaient des cimaises, ce type d’événement a aussi son revers.

    Cette soirée du 9 avril 2008 au Louvre représente pour moi bien des choses. Elle restera un moment très particulier, touché par la grâce. Je le dédie à une femme remarquable, un professeur de français exceptionnel, qui a révélé à des générations de rhétoriciennes les beautés de la littérature, de l’art, de la musique, et qui, lors de voyages à Paris, les a initiées aux charmes de la ville lumière et de ses musées.

  • De A à Y Alechinsky

    La belle rétrospective des Musées Royaux des Beaux-Arts fermera ses portes à Bruxelles à la fin de ce mois de mars 2008. Les comptes rendus élogieux n’ont pas manqué, aussi je m’en tiendrai aux impressions que j’en retiens, à la lisière de la littérature et de la peinture.

    Les liens d’Alechinsky avec le livre ne manquent pas. Illustrateur, graveur, calligraphe, tout ce qui touche à l’écriture touche à la peinture. En témoigne sur un mur, sa grande signature à l’endroit et à l’envers, coquetterie de gaucher contrarié qu’il n’hésita pas à démontrer à la reine Paola dans le livre d’or, lorsqu’il l’accueillit à l’exposition. 

    Parmi les premières œuvres présentées, une jamais vue Gymnastique matinale (1949) donne aux silhouettes en mouvement des allures d’hiéroglyphes. Autre découverte, de curieuses sculptures-livres, céramiques blanches pour la plupart, où son pinceau a tracé des titres espiègles (j’aurais dû les noter), des mots clins d’œil dont il a le secret. « En avant, y a pas d’avance ! » écrivait-il pour Daily-Bul en 1975.

    En bas du grand escalier qui mène à l’exposition, une toile formidable accueille le visiteur, La Mer Noire (1988-1990) : une nuit d’encre ponctuée du blanc des étoiles et de la lune, au-dessus de la mer. Autour de ce noir et blanc, du rouge, du bleu, du vert, c’est le jour et la nuit. Pour notre plus grand bonheur, le peintre joue à l’infini sur ce contraste entre les bordures – ses « remarques marginales » depuis le fameux Central Park - et ce qu’elles entourent. D’une œuvre à l’autre, j’ai vu tantôt des entrelacs de livres anciens, tantôt des tapis d’inspiration orientale, tantôt des annotations tracées en commentaire.

    Les bleus d’Alechinsky, superbes : c’est la mer, c’est l’encre, c’est le ciel, l’eau, la vie. Parfois le noir profond de l’encre de Chine évoque un paysage d’estampe japonaise, Ostende-Douvres : les vagues, la nuit étoilée, le panache d’un bateau à l’horizon. Vocabulaire I et Vocabulaire II, bleu et crème, conjuguent des motifs serpentins, plumes de gilles, éruptions, fumées, grilles rondes, escaliers, feuillages, en une joyeuse énumération. Si vous ne l’avez jamais vue, entrez un jour au Théâtre de la Place des Martyrs, une immense fresque d’Alechinsky l’habite merveilleusement.

    Variations sur le rectangle, variations sur le cercle, le peintre cadre et se rit du cadre, comme le montrent bien les anciennes affiches dans le couloir d’entrée, qu’on a plaisir à regarder et à lire et à revoir en sortant. La peinture d’Alechinsky, c’est une fête. De haut en bas (la fumée d’un volcan) et De bas en haut (la chute d’eau). Toutes les couleurs y dansent, l’humour aussi.