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Peinture - Page 108

  • Stevens le Parisien

    « Un Flamand qui est plus parisien que tous les Parisiens », pouvait-on lire dans Gil Blas en 1893 à propos d’Alfred Stevens (1823-1906), né à Bruxelles mais installé à Paris dès 1849. La rétrospective des Musées Royaux des Beaux-Arts rassemble des peintures venues du monde entier – Paris, Londres, Budapest, Munich, Etats-Unis, entre autres. Un festival de dames élégantes dans des intérieurs qui ne le sont pas moins, mais pas seulement cela.

     

    Les premiers tableaux – une mendiante, de pauvres gens emmenés pour vagabondage – révèlent un Stevens observateur de la misère matérielle ou morale – L’orpheline, un profil pur de jeune femme en deuil, une perle sombre à l’oreille. Dans In memoriam, une femme en grand deuil allume un cierge, une autre, enveloppée dans un châle des Indes, retient d’un ruban bleu vif la voilette qui couvre ses cheveux. Stevens excelle à détailler vêtements et parures, parfois en contraste comme cette jeune fille en robe blanche, dans Consolation, qui se tient sur un canapé près d’une femme qui pleure, tout en noir. 

    Stevens, Remember (détail) d'après le prospectus des MRBAB.JPG

     

    « Il peint encore des mains tendues, mais ce sont de jolies mains blanches, et elles s’ouvrent, non à l’aumône, mais au baiser », commente Paul Mantz en 1867. Le bain (Musée d’Orsay) ouvre le bal des Parisiennes : une femme en chemise dans sa baignoire, les cheveux relevés, deux roses à la main. Un robinet en col de cygne, un porte-savon sont aussi présents que le livre ouvert posé sur du linge. « Aucun n’a un rendu matériel aussi adorable que le sien » dit Rops en 1881. Stevens s’intéresse à tous les accessoires de la féminité qu’il met en scène. Ses dames ont souvent une lettre à la main (Souvenirs et regrets) ou un éventail (Rêverie). Le pinceau précise finement froufrous et bijoux de ces élégantes représentées en pied, souvent des filles « débarbouillées » à qui il a fait prendre la pose.

     

    Quand Stevens peint Sarah Bernhardt, il s’agit vraiment d’un portrait et non d’une « scène d’intérieur ». A côté, Le sphinx parisien montre une femme en robe légère, au regard intéressant, une belle lumière sur les épaules. Dans beaucoup de toiles reviennent les éléments décoratifs d’époque : éventail, bouquet, paravent japonais... Deux musiciennes très différentes : une harpiste habillée de sombre assise près de son instrument, une violoniste en robe rouge qui joue sous un bel éclairage. Deux « ateliers » : celui de 1855, statique, où le modèle observe avec le peintre la toile posée sur le chevalet ; sur celui de 1869, beaucoup plus vivant, l’artiste, sur un canapé, regarde le modèle penché vers la traîne de sa robe somptueuse dans la lumière d’une fenêtre ouverte. 

    Stevens Marie-Madeleine.jpg

     

     

    En opposition aux figures bourgeoises qui semblent souvent s’ennuyer – Stevens le « chroniqueur de la vie mondaine » voulait-il montrer la richesse ou la vacuité des salons ? –, quatre femmes aux longs cheveux relâchés (toutes les autres les ont attachés) et plus charnelles : Salomé, Marie-Madeleine, Lady Macbeth, et une rousse caressant un chat noir (L’électricité), devant un ciel nocturne où l’on devine
    les tours de Notre-Dame et des chauves-souris. Femmes fatales, qui tranchent avec le visage sans caractère des poupées de salon.

     

    L’exposition comporte quelques scènes de bonheur familial, l’épouse de Stevens et ses enfants, près d’une Liseuse paisible en longue robe blanche. Des tableaux illustrent le goût fin de siècle pour l’exotisme : une superbe Parisienne en kimono, L’Inde à Paris ou le bibelot exotique – un éléphant en bois et porcelaine présenté en vitrine, près d’un vase chinois au dragon que l’on peut voir aussi sur quelques toiles. Beaucoup de scènes « charmantes », trop sans doute quand on les découvre ainsi en enfilade. Mais la patte de l’artiste est incontestable. « On n’a pas assez loué chez Stevens l’harmonie distinguée et bizarre des tons », écrit Baudelaire en 1864.

     

    Dans la dernière partie de l’exposition (sans compter la section du Panorama de l’histoire du Siècle, présentée à l’étage, que je n’ai pas vue), je me suis arrêtée longuement devant deux marines. D’abord il y a un petit Nocturne sur la mer (collection privée) qui fait penser à Turner ou Jongkind : un dégradé bleu nuit, avec quelques étoiles dans le ciel, un horizon imperceptible, le bleu plus sombre de la mer où l’on distingue quelques falots, le panache d’un bateau, le vague ourlet des vagues. Superbe. J’ai aussi aimé Marine, Le Havre (Reims), une délicate harmonie de gris, de beige et de rose – très mal éclairée, comme presque tous ces paysages, le cadre supérieur leur faisant de l’ombre !

    Une seule carte postale est disponible – La dame en rose des MRBA – en dehors du catalogue et du livre de Christiane Lefebvre (2006) qui situe « le flambeur magnifique » par rapport à ses frères Joseph, peintre animalier, et Arthur, critique d'art et marchand de tableaux. Rares sont les occasions de découvrir l’œuvre d’Alfred Stevens, visible à Bruxelles jusqu’au 23 août 2009 (ensuite au Musée Van Gogh à Amsterdam).

  • Variations

    « M. Claus n’est pas purement néo-impressionniste ; mais il s’emploie à
    résoudre les mêmes problèmes que les artistes de cette école. Il étudie la lumière, qui modifie et crée la couleur, dans toutes ses variations saisonnières – matin, midi et soir. Ses interprétations sont fidèles à la nature, fraîches, libres et éthérées. (…) On pourrait dire de lui qu’il peint seulement des choses dans un état de transition, le passage d’une nuance à une autre : le mouvement même de la lumière, l’aspect le plus fluctuant des choses. »

     

    Emile Verhaeren (1898) dans Claus et la vie rurale (Fonds Mercator) 

    Claus Enfants dans un paysage.jpg
  • Au soleil de Claus

    En manque de soleil ? Rendez-vous à Gand, où le Musée des Beaux-Arts propose jusqu’au 21 juin Emile Claus et la vie rurale. Des œuvres de la maturité, présentées par thèmes, où le plein air domine largement. Sous l’influence des impressionnistes, Claus (1849-1924) a créé son propre courant : le luminisme. L’exposition confronte son univers pictural à celui de ses élèves et des contemporains qui, comme lui, ont peint les paysans et les paysages de cette région de la Lys – où il habitait la Villa Zonneschijn (Rayon de soleil).

     

    Une petite toile m’a attirée dans la première salle consacrée à « Emile Claus et son milieu » : une Vue sur l’ancien pont du Pas à Gand, très animée (un arbre au centre, trois axes où passent des voitures, des piétons, des bateaux sur le canal) – rares sont les paysages urbains dans son oeuvre, excepté ses vues de la Tamise à Londres. De l’autre côté, une eau-forte de Jenny Montigny montre Claus sur le vif. Le sculpteur Constantin Meunier, bien présent tout au long du parcours, a donné au buste du peintre l’élégance mondaine de l’artiste. Près de photos d’atelier ou d’extérieur, ce sont surtout les portraits qui attirent l’attention : l’épouse de Claus assise à table, de profil – une harmonie de bleu et de vert exquise ; ses élèves, Jenny Montigny et Anna de Weert, la première en robe rose et chapeau à fleurs, la seconde, plus imposante, en barque, avec dans l’eau qui couvre la plus grande partie de la toile les reflets des arbres, d’une voile – elle tient un carnet de croquis. Un étonnant Camille Lemonnier parmi les blés, l’écrivain naturaliste était son ami. 

    Claus, Fillettes au champ.jpg

     

    Place ensuite aux types sociaux dans la peinture de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Quand Claus peint La blanchisseuse près de la rivière, elle travaille, tandis que les bourgeois d’une Soirée d’été jouissent du beau temps. Pour composer Le pique-nique, le peintre s’est placé derrière un groupe de villageois qui se détendent en famille sur la rive ; certains observent, sur l’autre berge, la « belle société » attablée à l’ombre. Mais quand Eugène Laermans montre des paysans, la dénonciation de la misère prend plus nettement le dessus sur le décor. Le vieux jardinier de Claus est tout de même d'une présence très forte.

     

    De grandes toiles sont consacrées à la moisson : La récolte du lin, des Faneuses au soleil couchant, ou ce Repas de midi qu’une jeune paysanne, de dos, apporte à ses compagnes, un panier à la main. Sur les chemins ou dans les champs, des enfants se promènent, leurs sabots à la main. Le musée de Gand a eu la bonne idée de présenter en parallèle des photographies contemporaines de la vie rurale, notamment celles de Léonard Misonne, au rendu impressionniste – En passant en est un superbe exemple.

     

    La rivière occupe une place primordiale dans l’œuvre de Claus, elle structure le paysage et renvoie la lumière. La Lys, il la peint par toutes les saisons, d’un bleu presque turquoise sous des arbres orangés, en hiver, ou encore un jour d’Inondation. Bleu et orange, on retrouve ces tons dans un petit pastel, Nuit de Noël, où des fidèles se pressent dans la neige vers une église aux fenêtres éclairées. Partout, dans les paysages de Claus, ces allées d’arbres typiques de la Flandre orientale. Heureux collectionneur qui possède une merveilleuse Matinée de septembre, avec ses silhouettes à contre-jour – des femmes occupées à étendre le linge.

     

    Un tableau extraordinaire, chef-d’œuvre du musée gantois, inscrit Claus dans la
    grande tradition flamande des paysages hivernaux, ce sont Les Patineurs : sur la Lys gelée, un gamin joue avec une luge, ses camarades sont déjà remontés sur la berge.
    La ligne d’horizon, placée très haut, réduit à peu de chose les maisons et les arbres du lointain. La neige et la glace, rosées par le couchant, couvrent toute la toile de leurs nuances nacrées. Lumière divine.

     

    Quant au Châtaignier, celui de son jardin au printemps, il est le personnage principal d’une autre féerie de couleurs. Claus a choisi le moment où son nouveau feuillage voile à peine la charpente de l’arbre et l’auréole de brume végétale. Si des branches à l’avant-plan poussent leurs feuilles vert tendre dans une lumière encore froide, le peintre ose plus loin, de l’autre côté de la Lys envahie par les reflets, des roses et des mauves étonnants, presque fauves.

    Amoureux de la nature et des campagnes paisibles, amoureux des couleurs et de la lumière, allez vous réchauffer au soleil de Claus, qui irradie depuis plus d’un siècle.

  • L'oeil de Steinlen

    Ses chats sont souvent plus connus que lui. Les félinophiles adorent ses affiches publicitaires : Lait pur stérilisé, Compagnie française des chocolats et des thés, et surtout Le Chat noir, célèbre cabaret parisien. Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), un Vaudois devenu la mémoire visuelle du peuple de Montmartre, n’est pas très visible dans les musées. Je m’étais promis d’aller un jour pour lui au musée du Petit Palais à Genève, et voilà que le musée d’Ixelles accueille Steinlen, l’œil de la rue, une exposition qui vient d’être montrée à Lausanne – quel bonheur !  

    Steinlen, Chats couchés (détail).jpg

     

    Dessinateur, caricaturiste, graveur, illustrateur, affichiste, peintre et sculpteur, Steinlen aimait les chats, les recueillait. Il les a dessinés à profusion. Pour l’affiche de sa première exposition personnelle, A la Bodinière, il choisit d’ailleurs un chat noir, de profil, et un chat écaille de tortue, la tête tournée vers nous. Le musée d’Ixelles a repris ce célèbre duo pour annoncer cette grande rétrospective, à visiter jusqu’au 30 mai 2009.

      

    Dans la section des « félinités », des pastels, des huiles, de petites sculptures aussi, pleines de vie. L’hiver, chat sur un coussin, est une de ces lithographies où Steinlen excelle à rendre l’animal au naturel, dans sa nonchalance qui n’exclut pas la vigilance. Par sa composition en diagonale et son aplat d’un rose délicieux, l’œuvre évoque le japonisme, comme le monogramme de l’artiste. Pour son cachet d’atelier, celui-ci a sculpté un chat angora juché sur une colonne.

    Steinlen Nu asssis au bord du lit (d'après le catalogue).jpg

    Parmi les femmes dessinées par Steinlen, des nus remarquables (fusain et pastels) : Nu couché de dos, lové dans un drap blanc ; Nu assis au bord du lit, une femme songeuse ; Femme à sa toilette, ajustant ses cheveux. Masséïda, la gouvernante puis, un temps, la compagne de l’artiste après la mort de son épouse, était d’ascendance princière africaine. Détente, une grande toile, la montre nue sur un fond très coloré, qui rappelle Gauguin, près d’une femme allongée habillée de vert, avec une corbeille de fruits à l’avant-plan.

     

    Les journaux illustrés, à la fin du XIXe siècle, permettent à Steinlein de gagner sa vie. On a estimé, d’après sa production en 1894, qu’il remettait un dessin tous les trois jours, ce qui donne une idée du travail intensif dont il se plaignait parfois, parce qu’il l’empêchait de réaliser de plus grandes ambitions dans la peinture. A Montmartre, Steinlein croque les passants dans son carnet de notes, dessine sur le vif, l’œil ouvert. Loin du pittoresque, il rend habilement la silhouette, le costume des petits métiers, les groupes dans la rue. Les Commères, ce sont des femmes de différents âges, près d’une jeune mère avec un enfant dans les bras. Il peint la Parisienne dans tous ses aspects, les trottins, les couples, les foules aussi, en ethnographe de la France contemporaine. 

    Steinlen Autoportrait de profil (d'après le catalgue).jpg

     

    Au bout de l’allée principale de l’exposition, bordée de réverbères, ne ratez pas les planches des Dessins sans paroles, qui content à la manière d’une bande dessinée des histoires de chats, heureuses – Comment l’amour vient aux chats – drôles ou malheureuses. On peut les apprécier aussi en diaporama sur un écran. Rare chat personnifié chez Steinlen, le chat debout, gueule ouverte, de Gaudeamus – cri emprunté à un chant estudiantin dans l’esprit de Montmartre –, ouvre sur une autre part de l’œuvre : la révolte. « A quoi bon prêcher ? Il faut agir, le monde ne va pas ainsi qu’il devrait aller » écrit-il à sa sœur en 1898, faisant écho à  Jean Grave, l’éditeur des Temps nouveaux, une revue anarchiste : « Par le spectacle qu’elle nous offre, la société engendre elle-même les révoltés ».

     

    S’il garde la trace des midinettes, des chanteurs des rues, des marchands de fleurs, des blanchisseuses, Steinlein peint aussi avec tendresse sa fille Colette, qui lui servira de modèle pour des affiches. A l’étage, un très beau portrait de Gorki, un autre de Tolstoï – Steinlen était devenu membre de l’Association des amis du peuple russe – illustrent les temps noirs de la première guerre mondiale. « En Belgique, les Belges ont faim », crie une affiche solidaire. Humaniste et antimilitariste, Steinlen dénonce la guerre à coups de crayon, montre les familles dispersées, les soldats blessés, les cadavres. La Gloire ? Quatre femmes en voiles noirs devant un cercueil couvert du drapeau tricolore et de palmes. C’est le temps des danses macabres.

     

    Issues de collections publiques et particulières, les œuvres exposées au musée d’Ixelles sont rarement rassemblées. C’est l’occasion idéale de découvrir le « compromis, vraiment, entre l’art graphique et l’écriture, griffe plutôt que dessin – la griffe de Steinlen » (Camille Mauclair, 1915).