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Passions - Page 372

  • Rythme

    proust,a la recherche du temps perdu,du côté de chez swann,combray,roman,littérature française,relire,pluie,culture« Un petit coup au carreau, comme si quelque chose l’avait heurté, suivi d’une ample chute légère comme de grains de sable qu’on eût laissés tomber d’une fenêtre au-dessus, puis la chute s’étendant, se réglant, adoptant un rythme, devenant fluide, sonore, musicale, innombrable, universelle : c’était la pluie. 

    – Eh bien ! Françoise, qu’est-ce que je disais ? Ce que cela tombe ! Mais je crois que j’ai entendu le grelot de la porte du jardin, allez donc voir qui est-ce qui peut être dehors par un temps pareil. »

    Marcel Proust, Combray (Du côté de chez Swann)

     

    Photo : Vue de la fenêtre de la chambre d'enfant de Marcel, après la pluie. Le Combray de Marcel Proust à Illiers-Combray © Silvia López / Pinterest

     

  • Retour à Combray

    J’ai trop souvent différé de reprendre A la recherche du temps perdu, cette fois je m’y mets, in extenso. Dans Du côté de chez Swann, relu tant de fois, Combray est le splendide portail de La Recherche. Ce texte de Marcel Proust ne s’ouvre pour moi ni sur la phrase fameuse, ni sur le sifflement des trains, mais sur celle-ci qui m’est chère, au deuxième paragraphe : « J’appuyais tendrement mes joues contre les belles joues de l’oreiller qui, pleines et fraîches, sont comme les joues de notre enfance. » 

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    Première édition chez Grasset, 1913

    L’édition en trois volumes dans la Pléiade (la dernière en comporte quatre) est préfacée par Maurois. « Définir Proust par les événements et les personnages de son livre serait aussi absurde que définir Renoir : un homme qui a peint des femmes, des enfants et des fleurs. Ce qui fait Renoir, ce ne sont pas ses modèles, c’est une certaine lumière irisée dans laquelle il place tout modèle. »

     

    « Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes. » C’est une autre de ces phrases magiques à l’orée d’un paragraphe. Proust parle d’un monde qui n’est plus, mais nous nous y retrouvons. Et quand il écrit : « le branle était donné à ma mémoire », c’est comme s’il frappait sur un gong qui ébranle la mienne.

     

    J’irai donc lentement, pour savourer le texte à l’aise, y faire des allers retours, m’arrêter aux passages nouveaux pour moi – il y en a toujours qui nous ont échappé, que les yeux ont parcourus pendant que la pensée se promenait, encore à méditer ce qui précédait ou à suivre quelque écho intérieur. 

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    Le premier portrait de Swann, décrit ici tel que le narrateur le voyait enfant, à travers les propos de sa grand-tante, de ses grands-parents, voisins du « fils Swann » à Combray, est l’occasion pour Proust de s’arrêter à « l’acte si simple que nous appelons « voir une personne que nous connaissons », « en partie un acte intellectuel » :

     

    « Nous remplissons l’apparence physique de l’être que nous voyons de toutes les notions que nous avons sur lui, et dans l’aspect total que nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande part. Elles finissent par gonfler si parfaitement les joues, par suivre en une adhérence si exacte la ligne du nez, elles se mêlent si bien de nuancer la sonorité de la voix comme si celle-ci n’était qu’une transparente enveloppe, que chaque fois que nous voyons ce visage et que nous entendons cette voix, ce sont ces notions que nous retrouvons, que nous écoutons. »

     

    C’est peine perdue, écrit Proust, de chercher à évoquer notre passé par les efforts de l’intelligence seule, juste avant l’épisode de ce morceau de gâteau amolli dans une cuillerée de thé qui fait naître en lui « un plaisir délicieux », une « puissante joie », sans explication jusqu’à ce que le souvenir de la petite madeleine que sa tante Léonie lui offrait le dimanche matin, quand il allait lui dire bonjour dans sa chambre, lui apparaisse et avec lui « tout Combray et ses environs ». 

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    Après la mort de son mari, cette tante n’a plus quitté Combray, puis sa maison, sa chambre et pour finir son lit, son existence limitée à deux pièces contiguës. « L’air y était saturé de la fine fleur d’un silence si nourricier, si succulent, que je ne m’y avançais qu’avec une sorte de gourmandise ». Quelle description que celle de la première chambre où il attendait de pouvoir entrer chez elle, des odeurs et des formes, du feu déjà allumé jusqu’au couvre-lit à fleurs ! Et celle du tilleul, « capricieux treillage dans les entrelacs duquel s’ouvraient les fleurs pâles » !

     

    Marcel Proust m’éblouit, me comble par sa manière de rendre à la fois la perception des choses et le cours de la pensée. Quand il fait parler ses personnages, il les rend plus présents encore : « Tâchez de garder toujours un morceau de ciel au-dessus de votre vie, petit garçon », dit M. Legrandin, à qui la grand-mère du narrateur reproche « de parler un peu trop bien, un peu trop comme un livre, de ne pas avoir dans son langage le naturel qu’il y avait dans ses cravates lavallière toujours flottantes, dans son veston droit presque d’écolier. »

     

    Combray, ce sont les délicieuses lectures, à l’intérieur ou au jardin, les heures qui sonnent au clocher de Saint-Hilaire et que parfois il n’entend pas – « l’intérêt de la lecture, magique comme un profond sommeil, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d’or sur la surface azurée du silence. » Ce sont les deux « côtés » pour se promener : le côté de Méséglise-la-Vineuse autrement dit le côté de chez Swann parce qu’on passe alors devant sa maison, et le côté de Guermantes, alors si loin l’un de l’autre en apparence, « dans les vases clos et sans communication entre eux d’après-midi différents ».

     

    A relire cette première partie, je suis à nouveau stupéfaite de voir tout ce qu’elle contient déjà de La Recherche, personnages, motifs, thèmes, emmêlés aux plaisirs de la table, aux habitudes familiales, aux rencontres, aux couleurs du ciel et des paysages. A la fin de Combray, le narrateur confie ses appréhensions : sur quoi donc écrira l’écrivain qu’il veut être un jour ? a-t-il des dispositions, du génie, ou renoncera-t-il ? Le jour où il arrive à rendre sur une page le plaisir spécial qu’il a ressenti à suivre du regard les deux clochers de Martinville et celui de Vieuxvicq depuis la voiture du docteur Percepied (qui les ramène à Combray en passant chez un malade à Martinville-le-Sec), la réponse se dessine :

     

    « Je ne repensai jamais à cette page, mais à ce moment-là, quand, au coin du siège où le cocher du docteur plaçait habituellement dans un panier les volailles qu’il avait achetées au marché de Martinville, j’eus fini de l’écrire, je me trouvai si heureux, je sentais qu’elle m’avait si parfaitement débarrassé de ces clochers et de ce qu’ils cachaient derrière eux, que comme si j’avais été moi-même une poule et si je venais de pondre un œuf, je me mis à chanter à tue-tête. »

     

     Relire La Recherche (1)

  • Respire

    Gao Xingjian couverture.jpg

    « Blanches comme la neige, luisantes comme le jade, les azalées se succèdent de loin en loin, isolées, fondues dans la forêt de sapins élancés, tels d’inlassables oiseaux invisibles qui attirent toujours plus loin l’âme des hommes. Je respire profondément l’air pur de la forêt. Je suis essoufflé, mais je ne dépense pas d’énergie. Mes poumons semblent avoir été purifiés, l’air pénètre jusqu’à la plante de mes pieds. Mon corps et mon esprit sont entrés dans le grand cycle de la nature, je suis dans un état de sérénité que je n’avais jamais connu auparavant. »

     

    Gao Xingjian, La montagne de l’âme

     

     

     

     

     

  • Expos en vrac

    Dimanche matin, j’arrivais d’un bon pas aux Musées Royaux des Beaux-Arts pour revoir la rétrospective Chagall (qui s’achève le 28 juin) quand j’ai remarqué les gens qui attendaient sur les marches – le week-end, depuis janvier, le musée n’ouvre ses portes qu’à onze heures au lieu de dix. Quelques-uns patientaient, sans doute pour être les premiers dans la file, mais la plupart des arrivants s’en allaient – quel horaire dissuasif, malencontreux, pour les visiteurs d’un jour ! 

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    Cap sur le Palais des Beaux-Arts ou Bozar, tout proche, où j’ai vu bien des choses réjouissantes. D’abord V+ 2014-2015, une exposition d’architecture, présentée dans les anciennes boutiques côté rue, – bonne idée de faire revivre ces espaces bien éclairés. Des documents, matériaux, maquettes, autour de « cinq projets publics en cours d’étude ou de chantier » : un château d’eau (Ghlin), un centre culturel (Deinze), des musées – de la mode et du design (Bruxelles), du folklore (Mouscron) – et un cinéma (Charleroi).  (Jusqu’au 20 septembre.) 

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    Ensuite, et c’est aussi entrée libre, en marge de la grande exposition « Les Belges. Une histoire de mode inattendue », le joli coup de pub d’une célèbre marque de lingerie qui fête ses 150 ans, à gauche du grand hall Horta : « La mémoire de l’intime ». Cette entreprise belge met en scène l’évolution de ses parures à même la peau à travers « une sélection remarquable d'articles de lingerie datant de 1865 à nos jours ». Une présentation originale, de quoi réjouir les yeux et aussi apprécier de ne plus vivre à l’époque des corsets ! (Jusqu’au 28 juin.) 

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    De l’autre côté du hall, on est loin du travail des petites mains qui assemblent jusqu’à trente éléments pour fabriquer un soutien-gorge. Place à l’impression en trois dimensions : « Making a difference / A difference in making ». Les balbutiements de la 3D font place à présent à des objets très originaux, voire des œuvres d’art ou de design, et à des matériaux nouveaux pour  l’ingénierie et les sciences. On imprime même des robes ! Etonnant. (Jusqu’au 23 juin.)

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    De retour aux Musées des Beaux-Arts, c’est la foule des grands jours : la queue serpente pour l’achat des tickets – les Amis des Musées, heureusement, accèdent directement aux expos avec leur carte de membre. Quel monde à la rétrospective Chagall ! Une fois de plus, je vérifie qu’il vaut toujours mieux, quand on le peut, visiter une grande exposition à ses débuts et en semaine, pour regarder tout bien à l’aise. (Vu l’affluence, on a prévu des nocturnes pour les derniers jours.) 

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    ©
    Gao Xingjian, Ailleurs, Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles.

    Terminons avec Gao Xingjian, dont je n’ai malheureusement pas vu la récente rétrospective au Musée d’Ixelles. Il présente ici « L’éveil de la conscience ». Au bout du magnifique Forum où je n’avais pas encore remarqué l’accrochage de « Visio Smaragdina », vision d’émeraude de Thierry De Cordier (2009), c’est dans la première salle à gauche que le peintre et écrivain, prix Nobel de littérature 2000, a installé six œuvres monumentales « créées spécialement pour les lieux ». A l’encre de Chine sur toile blanche, une invitation à la méditation et à la contemplation. Des banquettes permettent de laisser le regard s’immerger dans cette « mer d’encre » avec ses noirs, ses gris, ses blancs – et dans une paix totale, à cette heure où personne d’autre n’en franchit le seuil.

  • Obsédés textuels

    guillaume duthoit,paroles d'obsédés textuels,conférence chantée,bibliothèque sésame,schaerbeek,juin,2015,chanson,paroliers,rimes,allitérations,calembours,chanson française,cultureLes mots étaient à la fête de la musique, ce samedi 20 juin, à la bibliothèque Sésame de Schaerbeek. Guillaume Duthoit nous a régalés d’une grande balade dans la chanson française – guitare, voix, vidéos – à la rencontre de paroliers aimant rimer, voire « tarés de l’allitération » et autres auteurs de malicieuses « chansons listes » à la Prévert ou Oldelaf.

     

    Vous l’avez manqué ? Bonne nouvelle : il revient samedi prochain, 27 juin, 13h30, pour la seconde partie de sa « conférence chantée ». Au menu :


    les (dé)calés des calembours
    les vraivolutionnaires du faucabulaire
    les adeptes du hors-piste.

     

    Séance de rattrapage pour les curieux : ici, si si  la rime est à peine suffisante, mais vous en entendrez des « ultrariches »  – salut Gainsbourg, Boby Lapointe, Nougaro, Stella et, ça alors, David McNeil, auteur-compositeur (Mélissa, c’est lui), le fils de… Marc Chagall. Entrée libre.

     

    Source de la photo : http://www.mabiblio.be/?p=4831