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Littérature - Page 449

  • Week-end de liberté

    Plus proche du Liseur, qui l’a révélé, que du Retour, Le week-end de Bernhard Schlink raconte les trois jours de retrouvailles à la campagne des amis de Jörg, invités par Christiane, sa grande sœur, dans le vieux manoir qu’elle a acheté avec son amie Margarete : « mur en pierres, portail en fer forgé, grand chêne devant la maison et vaste parc au-delà ; la maison, une demeure vieille de plusieurs siècles. Tout était délabré. »

     

     

    Le vendredi, à sa sortie de prison où l’ancien terroriste de la Fraction Armée Rouge a purgé une peine de plus de vingt ans avant d’obtenir une grâce présidentielle, son frère lui paraît plus vieux que lors des visites. Il n’émet pas d’objection lorsqu’elle lui nomme les anciens amis qu’elle a invités, s’enquiert juste de son fils – mais celui-ci a raccroché quand elle lui a téléphoné – et de Marko Hahn qui lui a rendu visite régulièrement. « Ce fou qui, pour un peu, te coûtait ta mesure de grâce ? » : Christiane est furieuse contre Marko qui a obtenu de Jörg un message pour un « obscur congrès d’extrême gauche sur la violence », ce qui prouvait, avait-elle lu dans le journal, « qu’il était incapable de lucidité et de remords : quelqu’un comme ça ne devait pas être gracié. »

     

    L’un après l’autre, les hôtes du week-end arrivent dans l’imposante propriété : Ilse, professeur de langues et d’arts plastiques ; le journaliste Henner qui ne reconnaît pas leur « petite laitière » (son père était fermier) des années ’70 dans cette « souris grise » qui ne lâche pas son cahier d’écriture. Celle-ci a entrepris de raconter l’enterrement de Jan, suicidé dans des circonstances bizarres, à l’opposé de Jörg qui n’a jamais abandonné son engagement révolutionnaire. L’image de la chute des corps dans le vide, le 11 septembre 2001, obsède Ilse, et aussi l’idée que la mort de Jan serait un coup monté pour lui assurer une clandestinité parfaite, ce dont sa femme est elle-même convaincue.

     

    C’est Margarete qui se charge de la cuisine. Henner est d’abord agacé par l’aisance et la gaîté de cette amie de Christiane – « la gaîté des simples et l’aisance de ces heureux mortels qui se sentent chez eux en ce monde sans avoir à travailler pour cela », puis lui propose son aide. Ils sont bientôt rejoints par Ulrich, prothésiste dentaire, en compagnie de sa nouvelle femme et de sa fille, et par Karin, pasteur et évêque, avec son mari plus âgé, conservateur de musée. Andréas n’appartient pas au cercle des vieux amis, il est l’avocat de Jörg.

     

    Lors du premier repas, Ulrich est le seul à interroger l’ancien prisonnier sur son expérience, ce qui gêne un peu les autres, mais Jörg lui répond, évoque le bruit terrible qui règne en prison, de jour comme de nuit, même si le pire est la coupure avec le monde extérieur. Contrairement aux autres, Ulrich ne pense pas que Jörg doive être ménagé, sa vie, « il l’a choisie, tout comme vous avez choisi la vôtre et moi la mienne ». Quand l’ex-détenu se retire, exténué par une journée « aussi longue et aussi remplie », il étonne Henner en lui disant : « Je trouve courageux que tu sois venu. »

     

    La tension monte d’un cran quand plus tard, un cri résonne dans le hall d’entrée, suivi d’une dispute : Jörg, en chemise de nuit, s’y fait insulter par la fille d’Ulrich, nue, après avoir repoussé ses avances. Son père la couvre de sa veste et l’emmène, indulgent – lui aussi, quand il était jeune, « collectionnait » les gens célèbres. Christiane, qui a élevé Jörg à la mort de leur mère, veut à tout prix l’empêcher de faire quoi que ce soit qui renoue avec son passé violent, mais se heurte à Marko qui attend de lui qu’il reprenne son rôle de leader révolutionnaire. Pour Margarete, les membres de l’ancienne Fraction Armée Rouge sont des « malades ». « Elle ne croyait pas que le système politique et le système économique fussent importants. La mélancolie était importante. C’était elle qui marquait le pays et les gens plus que toute autre chose. »

     

    Le lendemain, la discussion reprend. Jörg, convaincu d’avoir été trahi par Henner, le seul qui connaissait la cabane où il se cachait, ne se doute pas que sa propre sœur l’a livré à la police, résolue à l’empêcher de continuer à tuer et de risquer d’être tué à son tour. Margarete explique la situation à Henner, de plus en plus sensible à son charme simple. Ilse continue son récit, imagine Jan vivant, ses voyages, ses missions, sous de fausses identités. Karin rencontre en se promenant aux alentours un étudiant en histoire de l’art très désireux de visiter le manoir et l’y fait entrer. L’heure des règlements de comptes approche. Accusations, dénonciations, souvenirs, malentendus, rêves non réalisés… Jörg et les autres ont encore beaucoup de choses à se dire.

    S’il questionne la violence révolutionnaire, ce roman décrit aussi d’anciens amis qui se sont perdus de vue et qui profitent de ce rendez-vous très particulier pour se situer les uns vis-à-vis des autres et aussi par rapport à eux-mêmes. Liens fraternels, liens amoureux, solitudes choisies ou subies, Bernhard Schlink décrit les modes de vie et les choix, que la confrontation avec les autres éclaire presque toujours d’une lumière plus vive. 

  • Les défauts

    Avec Ensor et Verhaeren / 8    

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    Ensor, Trois silhouettes, 1880, aquarelle, MRBAB, Bruxelles

    « Mes amis, les œuvres de vision personnelle seules resteront. Il faut se créer une science picturale personnelle et vibrer devant la beauté comme devant la femme qu’on aime. Oeuvrons avec amour, ne craignant pas les défauts, compagnons habituels inévitables des grandes qualités. Oui, les défauts sont les qualités et le défaut est supérieur à la qualité. Qualité signifie uniformité dans l’effort en vue d’atteindre certaines perfections communes accessibles à tous. Le défaut échappe aux perfections uniformes et banales. Le défaut est donc multiple, il est la vie et reflète la personnalité de l’artiste, son caractère, il est humain , il est tout et sauvera l’œuvre. »

    Discours prononcé par Ensor au banquet offert par « La Flandre littéraire », 1922

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    Ensor, Portrait de Verhaeren ou Verhaeren taillant son crayon (détail),
    1890, Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles

  • Des masques

    Avec Ensor et Verhaeren / 7    

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    Ensor, Ensor aux masques ou Ensor entouré de masques, 1899, Menard Art Museum, Aichi (Japon)

    « L’entrée dans le royaume des masques, dont James Ensor est roi, se fit lentement, inconsciemment, mais avec une sûre logique. Ce fut la découverte d’un pays, province par province, les lieux pittoresques succédant aux endroits terribles et les parages tristes prolongeant ou séparant les districts fous. Grâce à ses goûts, mais aussi grâce à son caractère, James Ensor n’a vécu pendant longtemps qu’avec des êtres puérils, chimériques, extraordinaires, grotesques, funèbres, macabres, avec des railleries faites clodoches, avec des colères faites chienlits, avec des mélancolies faites corque-morts, avec des désespoirs faits squelettes. »

    Emile Verhaeren, Sur James Ensor (1908), Complexe, 1990.

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    Ensor, Les Masques singuliers (détail), 1892, MRBAB, Bruxelles

  • Lui-même

    Avec Ensor et Verhaeren / 6    

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    Ensor, Après l’orage, 1880, Museum voor Schone Kunsten, Ostende

    « En ces temps-ci où chacun est tout le monde, le poète, le peintre, le sculpteur, le musicien ne vaut que s’il est authentiquement lui-même. C’est le plus réel des privilèges que la nature, sans aucune intervention que celle de sa puissance, confère et maintient à travers les siècles, et seul,  le poète, le peintre, le sculpteur, le musicien en peut jouir pleinement. »

    Emile Verhaeren, Sur James Ensor (1908), Complexe, 1990.

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    Ensor, L'Estacade, 1880
  • Audition musicale

    Avec Ensor et Verhaeren / 5    

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    Ensor, Musique russe, 1881, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

    « La Musique russe (Salon de Bruxelles, 1881 et  Les XX, 1886) représente le peintre Finch à quelqu’audition musicale qu’une pinaiste lui donne. L’œuvre est plus qu’un portrait. L’auditeur, assis sur une chaise, se croise les jambes, rejette légèrement le corps en arrière, détourne aux trois quarts la tête et, dans cette pose attentive et tendue, écoute. Ce sont des gris délicats rehaussés ci et là d’une couleur plus vive qui constituent l’harmonie en demi-teintes du tableau. Aucun accent violemment sonore, mais une succession de nuances et de touches assourdies comme si la musique frêle, étrange, atténuée qu’on est censé entendre commandait à la peinture. »

    Emile Verhaeren, Sur James Ensor (1908), Complexe, 1990.

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    Ensor, Marine au nuage blanc,1884, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers