Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Littérature - Page 322

  • Márai, ô ma Douleur

    Quand j’ouvre un roman de Sándor Márai, chaque fois, la voix de son narrateur me captive. La sœur (traduit du hongrois par Catherine Fay) commence ainsi : « Je vais tenter de consigner ici tout ce que j’ai vécu en ce Noël singulier... » Le quatrième Noël de la Deuxième Guerre mondiale, dans une petite station thermale désertée où un écrivain réside pour une semaine dans une auberge bon marché, celui-ci découvre étonné que son voisin de palier n’est autre que « Z., le fameux Z., le grand musicien, encore célébré quelques années auparavant, dans les salles de concert des grandes capitales, par un public international. Devant un homme qui n’est plus que l’ombre de lui-même, mais très calme et discret, il ne voudrait pas « troubler l’équilibre de son âme par une compassion malvenue ». 

    márai,sándor,la soeur,roman,littérature hongroise,musique,amour,passion,maladie,douleur,culture
    Enrico Brandani (1914-1979), La chorale

    Au lieu de profiter d’un décor de montagne féerique, les pensionnaires sont confinés à l’intérieur par une pluie glacée qui provoque des avalanches. Seul un petit cheval apporte chaque jour le courrier et des vivres. « Dans cette arche, nous étions sept bipèdes à attendre la fin de la pluie et l’émergence du soleil ». Au bout de trois jours, on trompe l’ennui comme on peut, on s’observe. Le couple de la seule chambre avec balcon intrigue, l’homme et la femme ne descendant jamais ensemble dans la pièce commune : une femme « plus toute jeune, fragile, à l’aspect maladif », un homme « chauve, légèrement empâté, au regard triste et soucieux ». Ils se succèdent pour écouter la radio, attentifs surtout à « la chronique ordinaire des accidents, des disparitions, des morts. »

    La veille de Noël, sceptiques devant la promesse de l’aubergiste d’un beau Noël blanc malgré tout, les vacanciers s’efforcent de faire bonne figure : on décore le sapin, on trinque, on parle. Seuls le couple et Z. sont restés dans leur chambre, et personne d’autre que l’écrivain n’a reconnu le musicien que chacun trouve « très distingué », bien quil quitte la salle chaque fois que la radio diffuse de la musique de danse ou des chansonnettes. Respectant l’incognito de Z., déjà là depuis deux mois, lécrivain s’interroge sur son retrait inexpliqué des scènes de concert. 

    márai,sándor,la soeur,roman,littérature hongroise,musique,amour,passion,maladie,douleur,culture

    Un drame, le jour de Noël, met fin à cette drôle d’attente, et soudain, comme promis, le temps change, la neige arrive, puis le soleil. Le pianiste semble à présent prêt à s’épancher auprès de celui qui l’a reconnu – ils se sont quelquefois croisés dans le monde avant de se rencontrer ici sur un chemin de promenade : « Chaque être humain est obligé de porter la passion sur lui comme une croix ». Quand l’écrivain s’inquiète de son retour sur scène, il lui confie ce qui a modifié son destin : deux doigts paralysés à la suite d’une maladie.

    márai,sándor,la soeur,roman,littérature hongroise,musique,amour,passion,maladie,douleur,culture

    Huit mois plus tard, le journal annonce la mort de Z. dans une ville d’eaux suisse. Quelques semaines après, l’écrivain reçoit une enveloppe épaisse par la poste. L’ambassade de Suisse lui transmet un manuscrit du pianiste hongrois, « selon la volonté du défunt ». Au tiers du livre, le narrateur cède la place à Z. « Quand une voix s’exprime à partir de l’autre rivage sur des questions de vie et de mort, sur les grandes émotions qui animent les êtres, tels la croyance, l’amour et la passion, ceux qui sont encore sur cette rive ne savent pas répondre. Ils se taisent et écoutent. »

    márai,sándor,la soeur,roman,littérature hongroise,musique,amour,passion,maladie,douleur,culture

    Sándor Márai réussit pleinement à installer en nous cette écoute, pour peu que nous acceptions d’entrer dans les abîmes intérieurs. Le récit du pianiste est une histoire d’amour et de musique brisée par la maladie qui l’a frappé brutalement lors d’un séjour à Florence, pour un concert à l’invitation du gouvernement italien. Son dernier concert. Ensuite, c’est la longue traversée de cette maladie qui l’entraîne aux confins de la vie et de la mort.  

    « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. / Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici… » A l’hôpital où on le traite avec grand soin, et son corps et son âme seront sondés par un professeur courtois et son assistant quelque peu chamane, avec l’assistance de quatre « entremetteuses angéliques », les sœurs infirmières : Dolorissa, Cherubina, Carissima et Matutina. « « La Sœur » de Sándor Márai réunit dans un étonnant dialogue un musicien et la douleur aiguë qui le foudroie », résume très bien Lisbeth Koutchoumoff dans sa critique du Temps.

  • Rosé, livre, expo

    "Rosé" est à présent publié aux éditions Espaces Regards.
     

    florence marchal,annabel sougné,rosé,littérature française,poésie,photographies,belgique,projet,autoédition,inceste,culture


    Du 25 au 29 novembre, à la Maison des Femmes de Schaerbeek,

    [ Journée internationale de lutte

    contre les violences faites aux femmes ]

    une exposition autour du livre de Florence Marchal & Annabel Sougné

    253, rue Josaphat - de 9 h à 16 h.

  • Carnets d'esquisses

    Noce Monet couverture.jpg« Monet s’y montre un remarquable dessinateur, croquant ses motifs, posant ses canevas, esquissant des parties de composition, cherchant sur le papier le trait, la fluidité et l’évocation, qu’il va reprendre sur la toile. Autour des nénuphars ou dans le bassin d’Etretat, rien que du blanc. Hors quelques reflets hâtivement croqués, sur deux ou trois feuilles seulement, l’eau n’a pas besoin d’y figurer ; elle est toujours laissée « en réserve », comme on dit dans le jargon pour désigner des parties non dessinées. Elle va trouver sa définition sous le pinceau, grâce à la couleur. Elle est ce qui ne se dessine pas – elle est la peinture. »

    Vincent Noce, Monet, l’œil et l’eau

  • C'est un Monet !

    Vincent Noce, critique d’art à Libération, se demande si l’obsession de Monet, qui « a passé sa vie à la recherche de la lumière », n’était pas aussi ou plutôt l’obsession de l’eau : le peintre a vécu près de la Seine, il a planté son chevalet devant la mer, les canaux ou les glaciers et, même ailleurs, « revenait toujours au fleuve, à la brume, à la vapeur. » La couverture bleue de Monet, l’eau et la lumière (publié en 2010, année de la rétrospective au Grand Palais) présente un détail de Marée basse devant Pourville. 

    noce,vincent,monet,l'oeil et l'eau,essai,littérature française,peinture,impressionnisme,lumière,eau,culture
    Monet, Le bateau-atelier (1876)

    La correspondance du peintre vient souvent à l’appui de cette intuition. L’auteur ne cherche pas à « poser un dogme », mais propose un fil conducteur éclairant pour suivre l’évolution du plus célèbre des impressionnistes. Son premier dessin (à quinze ans) représente un bord de rivière. « Son premier tableau connu, deux ans plus tard, est un paysage traversé par un ruisseau. »

    Les études du physicien David Quéré aident à montrer combien l’artiste s’éloigne de l’exactitude physique pour rendre les effets d’une surface aquatique, défi permanent pour un peintre soumis aux variations de l’air et de la lumière tout au long du jour. Monet a reconnu sa dette envers Jongkind : « C’est à lui que je dus l’éducation définitive de mon œil. » En compagnie du Hollandais et aussi de Boudin, il ne peut résister à l’appel du large dès qu’il est, « libéré des obligations militaires » et, en 1864, reste à Honfleur quand Bazille, qui a descendu la Seine en bateau avec lui, décide de rentrer à Paris.

    L’essai de Vincent Noce suit la chronologie d’une vie et d’une œuvre, les amours, les déplacements, les saisons. Confrontés à la photographie, les peintres de la seconde moitié du XIXe siècle donnent à voir autre chose. « Monet, dès qu’il pouvait s’émanciper, distinguait ainsi deux parties dans ses paysages : le haut, généralement d’une grande exactitude topographique, dont attestent les photographies de l’époque ; et le bas, réservé au fleuve ou à la mer, qui souvent s’écarte d’une reproduction fidèle de la réalité. »

    Les débuts du peintre, très longtemps « dans un dénuement matériel dramatique » (ce qui l’a même conduit, un jour de juin 1868 où il est mis à la porte d’une auberge pour n’avoir pas payé son loyer, à se jeter de désespoir dans la Seine), ont été difficiles. « Déceptions, affronts, espérances, redéceptions » : Monet exprime son découragement dans ses lettres. « Voilà deux mois que je ne peux plus travailler, j’ai pris ma profession en dégoût ; la peinture me fait horreur, comme l’eau à un chien enragé. » 

    Peindre à bord du navire de Caillebotte va donner envie à Monet, plus tard, de disposer de sa propre embarcation, comme Daubigny qui avant lui peignait déjà des nénuphars. La barque de Monet, qu’il emportera jusqu’à Giverny, où il pouvait manger ou piquer un petit somme, est représentée sur quelques œuvres : « Ce n’est pas le bateau-atelier, écrit Vincent Noce, c’est un autoportrait. »

    D’Impression, soleil levant aux grandes « Décorations » des Nymphéas, l’essai rapporte les préoccupations du peintre, examine son choix des motifs, des cadrages, des formats, et surtout sa manière d’interposer l’eau sous toutes ses formes « entre lui et cette industrialisation à laquelle il ne voulait dire mot » : fleuve saisi par les glaces, crues, inondations, bords de mer, brouillard… Monet peignait par tous les temps, il ne craignait pas le froid. Lors d’un voyage en Norvège, il étonna ses hôtes en supportant aussi bien qu’eux les quelque moins trente degrés de l’hiver.

    On prend conscience en lisant Monet, l’œil et l’eau, de la complexité des problèmes rencontrés par le peintre devant l’eau-miroir et les reflets, et de l’originalité de sa touche rythmée grâce à laquelle il donne vie aux surfaces même les plus étales. On suit bien sûr les péripéties de l’agrandissement du bassin aux nénuphars à Giverny et les problèmes de la cataracte dont Monet a longtemps évité l’opération par peur d’y perdre la vue – son appréhension des couleurs en sera terriblement chamboulée.

    Vincent Noce donne des titres évocateurs à ses séquences de quelques pages : « Vagues », « Amour », « La vapeur, enfin », « Vague à l’âme », « Eaux semblantes », « La verticale du peuplier »… Ou encore « C’est un Monet ! », des mots qui auraient été prononcés par Rodin en découvrant l’océan sur la côte bretonne, d’après Mirbeau (chargé du catalogue d’une exposition commune du sculpteur et du peintre).

    Cette biographie thématique très accessible, agréable à lire, donne envie de se rendre à Paris, à Giverny, entre autres, et de replonger sans attendre dans les livres d’art et les catalogues pour y observer un clapotis, un courant, des vaguelettes dans les paysages de Monet, y compris même dans des prairies, des champs de fleurs et jusque dans les nuages.

  • Des oiseaux

    « Des oiseaux ! Leur chant ! Mais la Luftwaffe et ses canons Flak avaient dévoré les oiseaux, on ne les entendrait plus jamais. Ni les chiens. Ni le miaulement des chats, le croassement des corneilles, les bruits du dessus, les enfants du dessous, le passage des garçons de courses, le grincement des chariots, le bruit du seau quand la voisine se cognait la tête dans le cadre de la porte de l’immeuble, sous la fenêtre. » 

    Sofi Oksanen, Quand les colombes disparurent 

    oksanen,sofi,quand les colombes disparurent,roman,littérature finnoise,estonie,nazisme,urss,guerre,occupation,résistance,collaboration,culture