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Culture - Page 582

  • Silence, on parle

    La première fois que Denis Podalydès s’enregistre : « déception, migraine, aphasie solitaire. Ma voix n’est pas telle que je l’entends, telle que je la veux, telle que je la profère, de l’intérieur, de la tête, de la gorge, de la bouche. Trahison. » Au lycée, il s’amuse avec un ami à imiter ses professeurs. Partout, tout le temps, Podalydès qui se dit « sage, réservé, certes mutin mais souvent emprunté, doux, complaisant, diplomate et toujours modéré dans mes avis et mes positions, mais gai, avide de gaieté, de malice, de dévergondage » s’exerce à saisir ainsi ce qu’il entend. Jusqu’aux « pah – poh – pah ! », le bruit des balles, leur claquement sec qui résonne au jardin lors des tournois de Roland-Garros, son reproduit indéfiniment « sans même une raquette à la main. »

    La voix de son maître.jpg

    La voix Ruat – « Ouii ? Allô ? Ouiii ? » caractéristique de famille –, il l’a héritée de sa grand-mère qu’il adore, Mamie, dont les bibelots lui sont « chers et familiers » comme ses dîners rituels du samedi midi, animés, où les autres membres de la famille s’amusent à aborder les sujets qui la fâchent (religion, politique…) tandis que Denis Podalydès feint avec sa grand-mère de « négliger ces sujets embarrassants » au profit de ce qui les rapproche, elle et lui, leur souci profond, « l’amour de la littérature ». Son psychanalyste lui dit un jour : « Il vous faut tuer la vieille dame qui est en vous ».

    Le cinéma : voix d’acteurs, voix de doublage. Trintignant et sa « voix tapie prête à bondir ». La voix de Charles Denner (très belle photo), « drue, verticale, exemplaire », plus intérieure et plus rauque qu’il ne le pensait, se dit-il en revoyant L’homme qui aimait les femmes. « Les bruns sont les beaux ténébreux que ma mère aime. Les beaux ténébreux Giani Esposito, Sami Frey, Charles Denner. Leur voix ténébreuse, brune, chaude, sensuelle, de beaux ténébreux. La voix, le regard, la peau, les yeux. » Podalydès, blond, plus tard châtain, est un peu jaloux d’eux et de son frère Bruno, le brun avec qui aime danser sa mère..

    « Voix de mes frères », mots répétés encore et encore, entre deux blancs, sans commentaire. Denis Podalydès évoque les siens avec affection, avec humour, avec
    une grande pudeur quand il rappelle la dernière fois qu’il a entendu son frère Eric au téléphone, avant son suicide en 1997. Voix des morts, voix des vivants, passé, présent s’entremêlent. Il insère dans son essai les deux parties d’un roman intitulé « Voix de l’Empoté » (la sienne), roman d’apprentissage d’un jeune puceau. Y évoque des jardins – « Les jardins sont des salons où l’on s’adonne à la lecture. » En fait un poème, « Voix au jardin ».

    Un tel amour des voix donne du vocabulaire pour décrire la matière sonore : « voix-cerveau » de Michel Bouquet, « voix de thé » de Michael Lonsdale, « voix-cavité » de Jean-Pierre Miquel (et aussitôt j'entends celui-ci défendre la Maison de Molière dans ce formidable Bouillon de culture donné par Pivot sur la scène de la Comédie-Française lors de la restauration de la salle Richelieu). L’auteur poursuit : « Voix à peine atteinte par la maladie. Dans cet « à peine » s’entend toutefois l’irréparable. (…) Parler fait mal. Gorge irradiée. »

    J’aimerais, mais j’en suis incapable, trouver les mots pour dire à son exemple « l’inflexion grave des voix chères qui se sont tues. » Avec Denis Podalydès, au moins aurai-je un peu appris à écouter. « Le temps travaille nos voix, nous distingue, nous fait autres. »

  • Vilar

    « Ta voix ? Je l’entends encore, malgré le temps, malgré la mienne, qui s’est faite, je l’entends encore quand je veux prendre pour moi-même, quand je veux me donner, parlant en public, l’image – la note, l’accent, la hauteur dépouillée – de la responsabilité générale. Tu es encore la voix de la République, lorsque celle-ci remplit sa mission d’élévation et d’émancipation. La voix dont elle parle pour instruire la Nation. Sans y prendre garde, je me suis construit – dans et par cette voix aux ramifications profondes – une représentation vibrante, sonore, rhétorique, de ce que doivent être la Culture, l’Esprit désintéressé de la chose publique. »

     

    Denis Podalydès, Voix off 

    Jean Vilar, ses grands rôles (pochette TNP).jpg

  • Voix de Podalydès

    Avez-vous déjà tenu un journal sonore ? Collectionnez-vous les enregistrements de grands textes par de grandes voix ? Si la réponse est oui, vous serez en terrain connu. Si la réponse est non, vous serez d’autant plus fasciné, comme moi, par Voix off de Denis Podalydès (prix Femina du meilleur essai 2008). En passant de la collection Traits et portraits du Mercure de France en Folio (sur papier fort), l’ouvrage a belle allure et conserve les photos personnellles en noir et blanc, des portraits, mais pas le disque qui y était joint. J’y consacrerai deux billets.

     

    Rien de personnel sur CineMovies.fr
    Denis Podalydès et Jean-Pierre Darroussin dans Rien de personnel (Mathias Gokalp) © Rezo Films
    CineMovies.fr

    Denis Podalydès, « comédien, acteur, metteur en scène et scénariste » né en 1963, sociétaire de la Comédie-Française depuis l’an 2000, vous l’avez peut-être vu dans Sartre, L'âge des passions (téléfilm de Claude Goretta en deux parties, avec Anne Alvaro dans le rôle de Beauvoir). Quand on l’a entendu une fois, on sait qu’on aimera l’entendre encore – je parle pour moi. Il parle pour tous. « Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus paisible, qu’un studio d’enregistrement ? Enfermé de toutes parts, encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute – sans effort de projection, dans le médium –, deux ou trois heures durant, je lis les pages d’un livre. Le monde est alors celui de ce livre.
    Le monde est le livre. Les vivants que je côtoie, les morts que je pleure, le temps qui passe, l’époque dont je suis le contemporain, l’histoire qui se déroule, l’air que je respire, sont ceux du livre. »

     

    Cet incipit reviendra au début de chaque partie, leitmotiv. Un comédien parle de ce qu’il vit avec sa voix, avec la voix des autres. En découvrant les livres à cassettes de France Culture – « Je ne les écoutais jamais mieux qu’en voiture » , il s’imprègne de voix exceptionnelles. « Elles forment tous les paysages : étendues désertiques, contrées verdoyantes, reliefs. La voix de Michel Bouquet est un massif élevé, dentelé. La voix de Vitez un bois de bouleaux traversé de chevaux au galop, celle de Dussollier une campagne à la tombée du soir, bruissante, paisible, secrète. Je les ai tous imités, je reconnais leur timbre à la première inflexion,
    je les parle inlassablement. »

     

    Podalydès lit Proust à voix haute, Albertine disparue, il écrit comment il le dit, ce qui traverse sa voix de lecteur. Et cela ramène la voix de son professeur de lettres en seconde, en pleine explication du Cimetière marin, qu’il cesse d’écouter pour lire le texte que pointe un ami dans le Lagarde et Michard, un passage d’Albertine disparue et en particulier cette phrase : « Que le jour est lent à mourir par ces soirs démesurés de l’été ». Il la lit d’un seul tenant, la répète, y revient. Podalydès ne connaît pas grand-chose alors de La Recherche, c’est « une révélation » – « Je crois devenir fou d’intelligence sensible, le cœur traversé de mille intuitions nouvelles. »

     

    Voix d’amis, de professeurs, d’hommes politiques, plus ou moins décrites, racontées. « Voix des livres », la crainte de manquer de livres où qu’il soit : « J’ai l’impression de rêver si fort, découvrant un grand livre, que cela s’entend, s’agite dans l’air, excède les pages, les tempes, le crâne, et se matérialise devant moi. » Dans la famille de Denis Podalydès, à Versailles, il n’en manque pas dans la bibliothèque de
    sa mère, professeur d’anglais, dans celle de sa grand-mère libraire. Il y développe son « goût maniaque, passéiste, précautionneux, de la lecture et du style » et son « culte de Proust, de Chateaubriand et de Claudel. »

     

    Voix off fait la part belle au théâtre. En écoutant Jean Vilar dans Cinna,
    « conversion brutale à la langue dite au théâtre, à la diction de théâtre ».
    Il l’aime, cette langue, jusque dans les postillons d'un comédien qu'il ne nomme pas, dans Le soulier de satin : « le jet mousseux ainsi dessiné dans l’espace – surtout lorsqu’il se découpe dans la lumière d’un projecteur – donne aux mots de
    théâtre une forme visible, la preuve de leur particulière substance, attestant du même coup l’engagement total, organique, dionysiaque, de l’artiste. »
    Jean-Louis Barrault : Podalydès voit au Théâtre d’Orsay « tout ce qui se joue entre 1978 et 1981 ». Antoine Vitez : « N’énonce-t-il pas fièrement que le théâtre, à portée de tous, de tous ceux qui partagent cette foi, n’a pas besoin des rouges et des ors, se passe de costume, d’argent, de presse, qu’il n’a besoin que de l’attention des autres – le cercle de l’attention – pour commencer ? » Bob Wilson. Ludmila Mikaël, entre autres. Beaucoup d’autres.

     

    Jacques Weber lui raconte, pendant le tournage d’Intrusions (2007), « la dépression qui, au milieu des représentations triomphales de Cyrano de Bergerac, retourne sa voix comme un gant, la lui rentre dans la gorge, substitue aux mots et aux tirades une déchirure, un bruit de tuyau crevé, un horrible glou-glou, un trou béant dans la voix de l’Excellence. » Jusqu’au soir où « La voix qui vibre ne vibre plus : arrêt total de la pièce. Plus rien. » Parti en larmes dans les coulisses, le comédien reprend tout de même la représentation et la finit. « Voix de Jacques Weber, comme des morceaux de pierre roulant et gisant au milieu d’un paysage de Bretagne, vaste, accidenté, coutumier des vents et des tempêtes. »

  • Pittoresque

    « … Tout cela est d’un pittoresque, d’un déchiré, d’un doux, d’un brusque, d’un suave, d’un vaste et d’un contrasté que ton imagination peut se représenter avec ses plus heureuses couleurs. On dit que c’est plus beau que le fameux Bosphore, et je le crois, car je n’avais rien rêvé de pareil… »

    George Sand, Lettre à Charles Duvernet (cité par Jean-Michel Charbonnier, Du Bosphore à la Côte d’Azur, in Tamaris le rêve d’un pacha, Connaissance des arts, hors-série n° 307)

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  • Tamaris aux iris

    Les merles chanteurs, les couples de tourterelles, les iris qui étirent jour après jour leurs soies bleu mauve, sur le printemps méditerranéen flottait un air de paradis,
    surtout après un hiver morose à Bruxelles. A l’agenda culturel de La Seyne sur mer, une annonce de visite guidée : « Tamaris, l’Orientale : de George Sand à la station Antarès », lundi 19 avril, départ à 15 heures du port du Manteau. Une trentaine de personnes, pour moitié de la région, pour moitié d’ailleurs, étaient au rendez-vous face à la Baie du Lazaret, sur la côte varoise près de Toulon.
     

     
    Tamaris La corniche.JPG

     

    Après une photo de groupe avec la conférencière de la région Paca (à la demande d’un photographe de Var-matin), on écoute Ina rappeler l’histoire des lieux, de La Seyne, une ville jeune (350 ans). Au XVIe siècle, la presqu’île de Saint Mandrier
    toute proche était encore une île et cette colline de Tamaris aujourd’hui luxuriante avec ses pins, ses palmiers et ses villas de la Belle Epoque, une campagne couverte de champs et de vergers. George Sand y a séjourné trois mois avec son fils, en 1861, pour se refaire une santé – « C’est une solitude absolue, pas d’Anglais, pas de flâneurs. Enfin, c’est ce que je désirais », écrit-elle à sa fille Solange Clésinger. Elle s’en est inspirée pour écrire un roman : Tamaris, sans être un chef-d’œuvre, paraît-il, est cher aux habitants du cru, fiers de leur illustre visiteuse. La demeure où elle résidait n’existe plus, mais bien le pavillon Roustan, ancienne maison en briques rouges du concierge, toujours visible de la corniche qui longe la baie.
     

     

    Tamaris Pavillon Roustan.JPG

    Tamaris, où se voient çà et là les arbres éponymes, doit surtout sa renommée et son développement à Marius Michel, dit Michel Pacha, le fils d’un officier de marine né à Sanary (1819-1907). Pour le protéger de l’épidémie de choléra à Marseille où il était en internat, en 1834, son père l’envoie chez des amis à Tamaris, où il se plaît. Devenu lui-même officier de marine, chargé de sécuriser les côtes de l’Empire ottoman à la suite d’un naufrage, il devient Directeur des phares et balises et obtient ensuite la concession des quais, docks et entrepôts du port de commerce de Constantinople (Istanbul). Il fait fortune. Le sultan Abdul Médjid l’élève à la dignité de pacha en reconnaissance pour les services rendus ; c’est un homme riche qui rentre à Sanary et en devient le maire en 1865. 

    Tamaris Jardin du Château de Michel Pacha (serres et iris).JPG

     

    On se rend alors à Tamaris pour jouir de son climat. Michel Pacha décide de doter la station d’une plage – on accèdera aux Sablettes par une corniche d’un kilomètre et demi, créée en faisant combler des marécages –, d’un casino, d’un Grand Hôtel et d’un service de navettes maritimes (toujours en activité). Il fait construire sur un terrain de 400 hectares (qu’il a acquis à un prix très inférieur à sa valeur, affirme Ina) une soixantaine de maisons de rapport sur la colline de Tamaris. C’est alors la vogue de l’éclectisme, les villas seront de styles variés, toutes bâties avec leur entrée sur le côté de manière à dégager des pièces de séjour bien ensoleillées.

     

    Tamaris Kiosque à musique du Château de Michel Pacha.JPG

     

    Près de son propre château, aujourd’hui disparu et remplacé par des immeubles à appartements, Michel Pacha plante une palmeraie. Le parc (propriété privée) possède encore son beau kiosque à musique de style oriental, des serres, une rocaille fameuse du début du siècle, une volière blanche en fer forgé. Un peu plus loin, à l’arrière d’une maison, voici la chapelle où se pressait la bonne société en villégiature à Tamaris ; l’endroit est malheureusement inaccessible, comme tous les bâtiments que nous découvrons de la rue. Pour commencer, la Villa Pierredon (Michel Pacha fut anobli en 1882 par Léon XIII qui lui octroya le titre de Comte héréditaire Michel de Pierredon) construite pour son fils ; elle est de style italien, comme la villa Amicis.

     

    Tamaris Volière du Château de Michel Pacha.JPG
     

     

    Dans les Allées de Tamaris se succèdent de jolis noms d’autrefois à l’entrée des villas. La Provençale se louait vide, à l’année, contrairement aux villas meublées louées au mois. Les Chênes, dont il ne restait que les murs, sont en plein chantier de restauration. Dans ce registre, nous verrons Les Marronniers, La Feuillade, Les Mimosas, Les Acacias, entre autres. Les Anémones, une belle demeure, semble modeste par
    rapport à la grande Villa Tamaris Pacha : construite pour l’épouse de Michel Pacha, assassinée en 1893 (une des nombreuses tragédies familiales), c’est aujourd’hui un espace d’exposition. Le Chalet suisse a encore sa pancarte pour le désigner aux visiteurs. La Sauvagine, chalet basque, vient de refaire sa clôture en bois, en face de La Coquette. La Lézardière fait partie des Gîtes de France. Plus haut, L’Orientale arbore des faïences et une tour d’où l’on peut voir la mer.

     

    Tamaris L'Orientale.JPG

     

    En redescendant vers la baie, arrêt près de la Villa des Palmiers, annexe de l’ancien Grand Hôtel converti lui aussi en appartements. Ne pas manquer la petite Poste de type chalet et sa boîte aux lettres en forme de gueule de monstre marin. On s’étonne devant deux villas neuves à louer le long de la corniche, sur du terrain réputé inconstructible – à moins qu’il appartienne à la descendance de Michel Pacha ? Nous continuons jusqu’à la jolie Villa du Croissant, de style oriental, avec sa lune qui se détache sur le ciel bleu. La promenade se termine en face de l’Institut Michel Pacha, dédié d’abord à la biologie marine, propriété de l’Université de Lyon. L’immeuble le plus exotique de Tamaris, le plus visible, le long de la corniche, est malheureusement fort négligé. Aujourd’hui, des chercheurs du CNRS y ont installé la station Antarès, une expérience d’astrophysique unique au monde. Reliée à un télescope installé au large à 2500 mètres de fond, elle a pour mission de capter les neutrinos cosmiques – un projet financé par la Communauté européenne où collaborent diverses universités. Ce joyau du patrimoine varois reste donc dévolu à la science, espérons qu’il ait droit à la restauration qu’il mérite, avant d’être trop dégradé.

     

    Tamaris Institut de biologie marine.JPG
     

     

    Le magazine Le Seynois annonce le réaménagement, attendu depuis longtemps, de la corniche Georges Pompidou - Michel Pacha, avec une « voie verte » du côté de la mer pour les piétons et les cyclistes. Espérons qu’à l’instar de Toulon qui, depuis quelques années, rénove en profondeur ses belles places et ses rues passantes, où il fait bon flâner, La Seyne attire ainsi à Tamaris de nouveaux admirateurs. Si vous séjournez dans la région - salut aux visiteurs qui ont partagé cette promenade, vos commentaires sont les bienvenus -, ne manquez pas de découvrir cet endroit qui rappelait à Michel Pacha le détroit du Bosphore, un trésor d’architecture et de verdure s’y maintient aux abords de la magnifique rade de Toulon, une des plus belles d’Europe.