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Culture - Page 439

  • Des oiseaux

    « Des oiseaux ! Leur chant ! Mais la Luftwaffe et ses canons Flak avaient dévoré les oiseaux, on ne les entendrait plus jamais. Ni les chiens. Ni le miaulement des chats, le croassement des corneilles, les bruits du dessus, les enfants du dessous, le passage des garçons de courses, le grincement des chariots, le bruit du seau quand la voisine se cognait la tête dans le cadre de la porte de l’immeuble, sous la fenêtre. » 

    Sofi Oksanen, Quand les colombes disparurent 

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  • L'Estonie d'Oksanen

    Purge a révélé Sofi Oksanen. La romancière, de mère estonienne et de père finlandais, ressuscite à nouveau les années sombres de l’Estonie occupée dans son dernier roman, Quand les colombes disparurent (Kun kyyhkyset katosivat, traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, 2013). Des cartes aident à situer l’action dans la « RSS d’Estonie (aujourd’hui république d’Estonie) », à Tallinn et aux environs, entre 1941 et 1966. 

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    Les noms des personnages sont des repères précieux pour s’y retrouver dans cette intrigue morcelée et non chronologique où chaque séquence s’ouvre sur un timbre daté en vignette près de l’indication du lieu. Roland et son cousin Edgar portent en 1948 la chemise de l’armée finlandaise pour reconquérir leur pays, l’Estonie, contre l’Armée rouge. Roland rêve de voir les hommes de son pays porter un uniforme estonien et aucun autre. Par prudence, il a détruit le portrait de Rosalie, sa fiancée ; Edgar, lui, ne semble guère penser à sa femme Juudit.

    « Mon cousin bénéficiait de beaucoup d’indulgence parce qu’il était une grande gueule invétérée. » Edgar a quitté l’Armée rouge (il parle couramment le russe) pour rejoindre les patriotes dans leur combat contre l’occupant ; nerveux sur le champ de bataille, il fomente des tas de plans d’avenir. Roland, lui, s’est donné en secret pour devoir de noter « des preuves des ravages commis par les bolcheviks » qui lui serviront quand la paix reviendra.

    En 1941, Edgar porte encore l’uniforme russe quand Juudit subit la destruction de Tallinn avant l’arrivée des Allemands. Elle n’a pas voulu suivre sa belle-mère à la campagne, dans la ferme des Arm, où Rosalie continue à traire les vaches malgré la terreur. Presque toute sa famille s’est réfugiée chez la tante Leonida – « dans des moments pareils, il était bon d’être entouré de ses proches. »

    Juudit, dans la guerre, souffre surtout du désastre de son mariage. Elle joue le rôle de l’épouse assagie devant tout le monde, alors que son mari n’a d’égards pour elle qu’en public et ne la touche quasi plus depuis leur nuit de noces, « un calvaire ». Une bombe sur la tête et tout s’arrangerait, mais Tallinn « branlante, brûlante et fumante » reste debout : « Juudit était en vie et l’Armée rouge s’était évanouie. » Place à la Wehrmacht accueillie sous une pluie de fleurs.

    « Juudit ne voulait pas rencontrer de femmes qui parleraient du retour de leurs maris à la maison, ou dont les fiancés, pères et frères étaient déjà sortis des forêts ou avaient déserté des troupes rouges d’Estonie ou du golfe de Finlande. » Même à Rosalie, elle n’ose parler de ses problèmes intimes, comme si elle était fautive. Ni au médecin, consulté pour se rassurer sur sa santé : « Chère madame, vous êtes née pour enfanter. » 

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    Roland s’étonne du comportement d’Edgar : celui-ci n’a plus de véritable raison de se cacher, d’autres déserteurs de l’Armée rouge se montrent à présent au grand jour. Pour quelle raison s’est-il doté d’une nouvelle identité ? Il s’appelle Fürst à présent, un nom à consonance allemande, et continue à lire ses journaux pendant que lui donne un coup de main à l’écurie.

    Edgar, opportuniste, finit par lui parler de son projet d’entrer dans la police, du travail facile et qui permettra d’éviter l’enrôlement dans l’armée allemande. Il encourage Roland à faire de même, mais celui-ci a d’autres projets qu’il se garde bien de confier à quiconque. Il continue à collecter des informations précieuses et à organiser ses notes, il va se faire engager au port pour ne pas trop s’éloigner de Rosalie et il compte sur la fausse date de naissance de ses papiers au cas où l’armée viendrait y recruter.

    Comment on se débrouille, comment on souffre dans la guerre, sous l’occupation, en ville, à la campagne, c’est ce que raconte Quand les colombes disparurent. Les uns résistent, d’autres collaborent, beaucoup disparaissent. Les femmes paient leur tribut à la guerre, Rosalie d’abord, morte dans des circonstances que personne ne veut décrire à Roland. Il persuadera Juudit de faire connaissance avec un officier allemand, un contact utile, mais voilà qu’elle se trompe d’homme et, pire, tombe vraiment amoureuse de Hellmuth, un SS-Hauptsturmführer qui la traite avec douceur et rend sa vie plus confortable  pour combien de temps ?

    Vingt ans plus tard, Edgar a encore retourné sa veste. Devenu le « camarade Parts », il est chargé d’écrire des ouvrages d’histoire – de la propagande soviétique – à partir des documents qu’on lui fournit. Lorsqu’il reconnaît dans un carnet en moleskine l’écriture de son cousin Roland Simson, il sait qu’il tient une piste prometteuse, essentielle pour son avenir. Il le croyait mort, il faut absolument qu’il le retrouve. 

    En contraste avec Roland, le juste, et Juudit, la souffrante (son personnage le plus fort aux yeux de Sofi Oksanen)Edgar, prêt à tout pour être du côté du pouvoir quel qu’il soit, est la figure la plus odieuse du roman, un labyrinthe où l’on se perd régulièrement, comme dans la forêt estonienne, avant de retrouver le fil de l’histoire, une histoire sombre et douloureuse qui ne laisse personne indemne. 

  • Sans les choses

    « Les périodes ne manquent pas, où on vit sans les choses. C’est la limite de la série entreprise ici : on part un an à l’étranger, on reçoit par les yeux, la parole, l’expérience, on revient avec aussi peu qu’on est parti mais les choses laissées vous attendaient, on enlève la poussière, on reprend sa vie assise. »  

    François Bon, « sous cadenas » Autobiographie des objets 

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  • Les objets d'une vie

    Raconter une enfance par les choses : François Bon, dans Autobiographie des objets (2012), ouvre de « question » à « l’armoire aux livres », 64 entrées dans sa vie d’avant, complétées depuis sur son site. « L’ancien nous émeut : pas forcément pour l’avoir tenu en main dans l’enfance – un tracteur à rouiller dans un champ, une voiture en équilibre sur la pile d’une casse périurbaine, vue rapidement du train, et c’est le temps tout entier qui vous surgit à la face, et ce qu’on n’a pas su en faire. » 

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    Photo Regulator974 / Wikimedia 

    A la recherche de son premier objet personnel, François Bon trouve une corde en nylon achetée pour deux francs à l’épicerie bazar du village. Sa mère la lui confisque deux jours plus tard – de l’argent « gaspillé » – et bientôt la tend au jardin comme corde à linge supplémentaire : là, elle n’intéresse plus l’enfant, « dénouée, utile, sans opacité ni brillance. »

    « Nous habitions loin des villes. » Le passé, un temps, mais aussi des espaces : « si je parle via les objets des lieux de mon enfance et de mon adolescence, cela ne crée pas d’affinité pour autant, et de nostalgie moins encore. » Raccord au présent : « J’aime New York, un des rares lieux où je me sente chez moi. »

    Choisir des objets pour voyager dans le temps, cela mène à évoquer ceux dont ils rappellent la présence, comme Tancrède Pépin, jardinier, et son outil pour poser des carreaux de ciment au bord des allées, appareil « merveilleux » à ses yeux d’enfant. Ou le grand-père, dont il conserve encore sur sa table la tige et la rondelle d’acier forgé si souvent tirées du tiroir pour les lui montrer, ou l’arrière-grand-mère aveugle et sa canne.

    La magie d’un gros appareil radio Telefunken (jusqu’en 1962), l’apparition des transistors (année 1964), les guitares électriques, les machines à laver ou à écrire, voire la règle à calcul à l’école d’ingénieurs, l’approche de François Bon est kinesthésique : « Je prends les choses selon qu’elles me viennent là dans la main. » Son arrière-grand-père était tailleur de pierre.

    Sa mère est institutrice. Les garages, activité du père, sont terrains de jeux ou de « rêveries actives », une dépanneuse faisant un très bon repaire de lecture. Un objet peut être détourné de sa fonction convenue. Ainsi du premier miroir dont il se servait dans la maison « en suivant (son) chemin au plafond. C’était fantastique et merveilleux. » Ou du microscope : « il suffisait de le tenir à l’envers pour le braquer sur la nuit, les étoiles, les plafonds et fenêtres, les arbres, la vie courante » et « alors on rêvait bien plus. »

    Parmi « les choses oubliées, les points fragiles de soi-même », il y a deux « casquettes de Moscou » qui réveillent les images d’un séjour de trois mois en 1978. « J’étais contre la photo, par principe. Qui s’occupe du langage doit voir avec les mots, et se contenter de son carnet de notes. »

    François Bon ressuscite dans Autobiographie des objets des lunettes et des toupies, des vêtements et des jouets, des voitures et des bateaux. Et, forcément, le « compagnonnage des livres ». Même s’il affirme n’avoir rien lu entre treize et vingt-deux ans, il y a les titres d’enfance et, plus tard, les découvertes décisives. Dans sa « tentative de web-autobiographie malléable », très détaillée, vivante, l’écrivain note qu’il a repris goût à la lecture lors de son séjour à Moscou, à la bibliothèque de l’ambassade.

    « Les années » d’Annie Ernaux m’avaient transportée, ce livre-ci, plus retenu, m’a laissée à distance, sauf à certains passages où l’émotion affleure malgré le parti pris d’objectivité. Curieuse impression de croiser un contemporain aux balises différentes des siennes, avec qui pourtant on a partagé certains gestes comme relever la moitié de vitre d’une deux-chevaux. 

    « J’appartiens à un monde disparu », voilà sans doute le ton qui m’a gênée. Ce monde disparu, nous en venons ; y appartenons-nous plus qu’au présent qui nous requiert ? Mais reprenons la phrase entière, moins mélancolique : « J’appartiens à un monde disparu – et je vis et me conduis au-delà de cette appartenance. C’est probablement le cas pour tout un chacun. » Un lecteur a vibré davantage et m’a donné envie de lire Autobiographie des objets, je vous recommande son billet sur Marque-pages.

  • A six

    « – Tu veux dire qu’un couple reproduit le fonctionnement des parents 
    – Répète ou bien fait le contraire…
    Ce débat s’éterniserait entre Serge et Marianne, renaissant à chacune de leurs disputes, chacun reprochant à l’autre d’imiter qui son père qui sa mère, preuve s’il en faut que le mariage unit deux familles et deux styles, et qu’on le traverse non pas en tête à tête mais en lignée, non pas à deux mais à six. »
     

    Alice Ferney, Cherchez la femme 

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