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  • Silencieuse

    « Les mois passaient. Elle se taisait. Elle se rétablissait pourtant. Mais se retrouvait autre. Perdues en chemin, dans le puits de ce néant, ses réserves de rire, de gaminerie, éclaboussements inutiles et bruyants de sa jeunesse. Elle était calme maintenant. Silencieuse, le plus souvent. Nullement triste, bien qu’Ali, avec inquiétude, la secouât parfois : « Qu’as-tu ? A quoi penses-tu ? Parle donc ! Tu as l’habitude de tant parler ! » Elle parlait mais ne retrouvait que ce ton grave, un peu défait dont les résonances nouvelles étonnaient. »

     

    Assia Djebar, Les enfants du nouveau monde

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  • Portraits d'Algérie

    Celle qui a décidé, à vingt ans, de s’appeler Assia Djebar – Assia, c’est la consolation, et Djebar, l’intransigeance, comme l’a rappelé Pierre-Jean Rémy dans sa réponse au discours de réception – a écrit Les enfants du nouveau monde avant d’être « de l’Académie française », comme il est à présent mentionné sous son nom. Publié en 1962, année de l’indépendance de l’Algérie, plus qu’un roman, c’est une série de portraits, comme l’indique d’ailleurs une liste de vingt personnages brièvement identifiés par leur âge, leur statut ou leur fonction, comme au début d’une pièce de théâtre. Neuf chapitres, autant de monologues en fait, où ces figures vont se croiser.

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    http://ecrivainsmaghrebins.blogspot.be/2010_09_19_archive.html

    Cherifa est la première à décrire l’atmosphère d’un vieux quartier arabe, de ses ruelles où les mères font taire leurs enfants et tâchent de les retenir – « la garde peut survenir à tout moment ». Dans la montagne, « les feux de la lutte ». Parfois les combattants osent une attaque en pleine ville, il faut s’attendre alors aux ripostes. C’est « la sale guerre » pour les soldats français. Cherifa, vingt-neuf ans, s’affaire à son ménage, Youssef et elle n’ont pas d’enfants à surveiller. Sa belle-mère est morte il y a quinze jours. Réputée une des plus belles femmes de la ville, Cherifa a été répudiée par un mari qu’elle n’aimait pas, et a épousé Youssef en secondes noces.

     

    Au dernier étage d’un immeuble vide, au bord de la route, une femme s’est installée seule, bien que le concierge qui lui avait fait visiter tous les appartements, sur sa demande, ait essayé de l’en dissuader. Lila aime la vue sur le fleuve et remplit l’appartement vide de toutes les questions qu’elle se pose depuis qu’Ali est parti – « envie de s’arrêter quelque part », de dormir, d’oublier. Pour ce militant nationaliste passionné, elle a tâché d’abord d’être « une femme idéale », mais s’est montrée de plus en plus rétive à cet homme viril et autoritaire – « Ali persistait à vouloir modeler Lila ». Puis elle a perdu leur enfant, un fils de six mois, et a cru mourir.

     

    En tête du cortège funèbre, Youssef a conduit sa mère au cimetière entouré de voisins, de relations, de parents, pas de véritables amis. Ceux qui les regardaient passer d’une terrasse de café venaient grossir le cortège en silence quand ils reconnaissaient Youssef. Parmi eux, Bachir, un adolescent brillant au lycée, intimidé à l’idée de ne pas connaître l’un ou l’autre rite de circonstance. « Je n’ai pas d’amis, je n’ai jamais eu d’amis, mais j’ai des semblables. Cette foule, ces hommes, ce sont les miens », s’est dit alors Youssef.

     

    Hakim, le mari sombre, taciturne et violent d’Amna, la voisine la plus proche de Cherifa, est policier. Amna a remarqué que Youssef n’a pas passé la nuit chez lui et le dit à Cherifa, qui se tait. Mais lorsque son mari l’a interrogée à son sujet, elle lui a menti. Il l’a crue, elle est sans doute la seule qu’il puisse encore croire, dans son métier. Quelle blessure pour Hakim de vivre près de cet homme qu’il estime mais qui ne lui adresse plus la parole et l’évite. « Hakim est de l’autre bord ; objet valet ou allié de l’ennemi, peu importe. Par son silence, Youssef le lui déclare et pour cela, Hakim le hait. »

     

    Amna ne ment jamais, se répète-t-il en entrant au commissariat où Salima, l’institutrice, attend l’interrogatoire dans une cellule. Il y a quinze ans, elle était une des seules musulmanes à suivre des études, une chance. Elle a résisté jusqu’ici aux questions sur son cousin Mahmoud, auquel elle est très attachée. Par une porte restée un instant ouverte, elle est surprise d’apercevoir la jeune Touma qui l’a abordée dans la rue le jour de son arrestation, en train de rire avec les hommes. Pas avec Hakim qui traite de putains ces filles qui jouent les agents de renseignement.

     

    De scène en scène, Assia Djebar tisse la trame d’un temps de guerre, décrit les liens entre les femmes et les hommes, leur difficulté à communiquer, Comme pense Suzanne, une amie de Lila venue lui rendre visite, « la vraie solitude, c’était cela : ne pas pouvoir en parler. » Omar, son mari, a quitté le pays pour la France. Elle est restée, avec leur fille.

     

    Nous suivons Cherifa, voilée, à  travers la ville, elle qui ne sort jamais d’habitude, décidée à prévenir Youssef du danger et, qui sait, à le rejoindre dans la lutte, s’il le veut. Sur la place, elle remarque Touma l'aguicheuse, « l’Arabe affranchie » qui déteste les Arabes. Elle ignore qu’elle joue avec la mort. Nous regardons Hakim au commissariat, coincé par son chef qui lui ordonne de « faire parler » un compatriote. Nous entrons dans les souvenirs de Lila qui évoque ses premières rencontres avec Ali, le temps de l’amour, éperdument tournée vers son passé.

     

    Dans la guerre, il y a des hommes et des femmes qui souffrent, chacun à leur manière, parfois ensemble, parfois séparés. La jeune Hassiba a su gagner la confiance des résistants, ils ont besoin d’une infirmière comme elle dans leurs rangs. D’une aube à l’autre s’écoulent les jours et le sang de l’été 1961.

     

    Lors d’un entretien au Centre Pompidou en juin 2008, Assia Djebar a daté sa véritable entrée en écriture d’après Les Enfants du nouveau monde et l’indépendance de l’Algérie, avec son quatrième roman, Les alouettes naïves (1962-1967). Dans son discours de réception à l’Académie française, elle a confié avoir choisi en silence pour devise cette phrase d’Henri Michaux : « J’écris pour me parcourir. »

  • A Murnau

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    Kandinsky, Lanzenreiter in Landschaft (Lancier dans un paysage), 1908

     

    « En 1908, Münter et Kandinsky reviennent à Munich, après différents voyages et séjours à l’étranger. Ils découvrent la petite ville pittoresque de Murnau, et y passent l’été à peindre. Jawlensky et Werefkin les rejoignent et les quatre artistes oeuvrent de concert, discutant les résultats de leurs travaux. La similarité des problèmes auxquels se confronte leur peinture indique qu’en ces premiers moments du dialogue, Jawlensky est l’élément moteur. Les leçons qu’il a apprises de Matisse et des Fauves ont sur Münter un effet libérateur, mais semblent aussi encourager Kandinsky à émanciper la couleur de la forme et de sa fonction traditionnelle au service de la représentation. Toutes les peintures réalisées à Murnau ont cette touche expressive, qui incorpore de multiples motifs, les fond les uns dans les autres, définit, dans les corrélations d’une surface plane, des relations spatiales. »

     

    Armin Zweite, « Le Cavalier bleu » (catalogue « Van Gogh, Picasso, Kandinsky… Collection Merzbacher », Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse, 2012.)

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    Gabriele Münter, Jawlensky et Werefkin, 1908-1909

    P.S. D'autres illustrations sur http://rumeurdespace.wordpress.com/2012/07/28/le-mythe-de-la-couleur/

     

     

  • Couleurs à Martigny

    « Le mythe de la couleur », annonce en sous-titre la Fondation Gianadda pour sa grande exposition d’été, « Van Gogh, Picasso, Kandinsky… Collection Merzbacher », une riche sélection déjà montrée avec succès à Jérusalem, au Japon, à Londres, à Zurich et au Danemark. Werner Merzbacher a souvent prêté des œuvres de sa collection, mais en 2006 à Zurich, il est sorti de l’anonymat, notamment pour exprimer sa reconnaissance envers la Suisse où il a été accueilli, enfant juif allemand, pendant la seconde guerre mondiale – ses parents sont morts à Auschwitz. Il le rappelle dans un petit mot émouvant au début du parcours (il y en aura quelques autres, adressés aux visiteurs, qu’on retrouve en préface du catalogue).

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    André Derain (1880-1954), Bateaux dans le port de Collioure, 1905,
    Huile sur toile, 72 x 91 cm, © 2012, ProLitteris Zurich / Photo : Peter Schälchli

    Sa rencontre avec la peinture a débuté par un coup de foudre devant les quelques toiles modernes de premier plan des grands-parents de sa femme, Gabrielle Mayer. Werner Merzbacher les découvre en 1954, notamment, visibles à Martigny, Le Couple de Picasso (période bleue) et Intérieur à Collioure, La sieste de Matisse, accroché non loin d’un Derain de la même eau (Bateaux dans le port de Collioure). Les Merzbacher se tourneront surtout vers les peintres fauves et puis les expressionnistes.

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    Sisley, Saules au bord de l’Orvanne

    L’exposition s’ouvre sur un Sisley d’une fraîcheur incomparable, Saules au bord de l’Orvanne, où les verts et les bleus bruissent dans la lumière. Un Monet le sépare de La Pelouse ensoleillée de Van Gogh : l’herbe y bouge par vagues au jardin public de la place Lamartine. Un enchantement, cette ouverture fin XIXe.

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    Vincent van Gogh (1853-1890), Pelouse ensoleillée. Jardin public de la Place Lamartine, 1888,
    Huile sur toile, 61 x74 cm, Photo : Peter Schälchli

    Les rapports de couleurs étonnent et fascinent depuis toujours. Klaus Stromer rappelle dans le catalogue comment leur perception a suscité maintes théories de l’antiquité jusqu’à nos jours (Penser en couleurs. Théories des couleurs). Werner et Gabrielle Merzbacher ont fondé leur collection sur le dynamisme des couleurs, l’énergie qui s’en dégage. Voici l’harmonie rose et mauve d’un portrait de femme par Toulouse-Lautrec (Sous la verdure), voilà Jeanne Hébuterne, assise que Modigliani a peinte le visage penché – la courbe d’un bras y répond –  sa peau douce et claire si lumineuse sur un fond subtilement partagé entre tons froids et chauds.

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    Amedeo Modigliani (1884-1920), Jeanne Hébuterne, assise, 1918,
    Huile sur toile, 92 x 60 cm, Photo : Peter Schälchli

    Quelques sculptures ponctuent le parcours, dont Femme assise de Kirchner, en bois. Ce dernier est très présent avec des toiles où tons et formes déconcertent au premier regard, comme dans Fillette et chat, Franzi, aux ombres et contours bleus, une scène où le rouge et l’orange dominent.

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    Kirchner, Femme assise

    Autre figure majeure, le Kandinsky encore figuratif, de 1908 à 1911, juste avant le passage à l’abstraction, est magnifiquement représenté par plusieurs paysages de Murnau aux couleurs intenses. Vlaminck, Derain, Jawlensky précèdent des expressionnistes allemands, dont Beckmann. Un festival de couleurs fortes, audacieuses et passionnées !

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    Vlaminck, Derain (vue d’ensemble)

    En descendant vers la suite de l’exposition au sous-sol, il ne faut pas manquer, dans la galerie qui mène vers la salle permanente de la collection Franck, de belles aquarelles et gouaches d’Emil Nolde, un Ciel du soir flamboyant, des Tournesols, un Jardin de fleurs avec femme en robe violette (à l’huile). En face, une Maison jaune de Paul Klee, mystérieuse et gaie, lui oppose une composition plus graphique.

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    Emil Nolde (1867-1956), Blumengarten - Frau mit rotviolettem Kleid, 1908,
    Huile sur toile, 56 x 84 cm, © 2012, ProLitteris Zurich / Photo : Peter Schälchli

    Puis on découvre Le juif à la Thora de Chagall : ses mains et son visage sont verts, son âge, jaune ; rouge, le Livre qu’il serre contre lui ; une pendule vole sous la lune, un village dort dans la neige. Plusieurs Kupka, quelques toiles futuristes. Au sol, une machine de Tinguely (Meta-Herbin Taxi) qu’on aimerait voir en mouvement fait de l’œil aux mobiles de Calder – pour ceux-ci, miracle, un léger souffle suffit à les animer (j’aime les encourager de la sorte, même sous les yeux attentifs d’un gardien – pas de remarque).

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    Gabriele Münter (1877-1962), Sonnenuntergang über dem Staffelsee, vers 1910-1911,
    Huile sur carton, 33 x 41 cm, © 2012, ProLitteris Zurich / Photo : Peter Schälchli

    Les femmes peintres ne manquent pas dans cette collection dédiée à la couleur : plusieurs Sonia Delaunay-Terk, Gabriele Münter avec un superbe coucher de soleil, Sophie Taeuber-Arp, Natalia Goncharova et quelques constructivistes russes. De Bridget Riley, Harmony in rose (1997) est l’œuvre la plus récente de cet accrochage.

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    Sam Francis (1923-1994), Untitled, 1958, Collage sur papier,
    75.5 x 56 cm, © 2012, ProLitteris Zurich / Photo : Peter Schälchli

    J’aimerais encore vous parler des champs colorés de Sam Francis, mais vous en savez assez, j’espère, pour ne pas manquer cette étape à Martigny. « Puisse cette exposition éveiller en vous des émotions positives, dans un monde difficile et si souvent triste. Je serais heureux qu’elle vous aide à échapper, ne serait-ce qu’un instant, à la grise réalité, à éprouver la joie de vivre et à comprendre tout ce que l’art peut apporter de positif. » (Werner Merzbacher)

  • Eau vive

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    Cette main recevant l’eau et la refilant dans le même courant

    Suggère que l’eau n’est qu’empruntée,

    Qu’elle poursuit son cycle perpétuel et qu’il faut en prendre soin.

    Main bienveillante, ouverte et réceptive, sensible,

    Qui reçoit et laisse filer entre ses doigts écartés sans retenir.

    La main ne capte pas l’eau tout à fait, elle ne se l’approprie pas.

    Elle la saisit un instant puis la retourne au bisse

    Afin qu’elle poursuive sa course vivifiante.

    Principal constituant des êtres vivants,

    L’eau est une ressource commune, universelle, à préserver

    Et à passer, saine, au suivant.

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    Sculpture de M. Raphaël Pache. 1753 Matran (juillet 2010)

    & texte sur le Bisse Vieux de Nendaz


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