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Retour à New York

Le goût de Chantal Thomas pour New York se raconte dans East Village Blues, un récit autobiographique. Elle y est de retour en juin 2017, sous l’égide de Rimbaud et de Kerouac (épigraphes). Au chauffeur de taxi qui l’emmène vers l’East Village, elle indique l’adresse de l’appartement prêté par une amie : du quinzième étage, elle peut voir les clochers de Grace Church et de St. Mark’s Church.

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« Les aubes d’arrivée ont une puissance singulière. » Dès le premier matin, elle retrouve sur Broadway Cozy Soup’n’Burger, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, où elle avait ses habitudes. New York est un « havre pour les noctambules ». Et le plaisir de marcher : « La passion me revient, le luxe de marcher pour marcher, de croiser des corps, des visages, de scruter des fenêtres, de déchiffrer au passage un titre de journal, un graffiti incendiaire, de saisir au vol un souffle d’air, une phrase, un geste étrange, un rire pour soi. Je marche dans une ville qui me fut familière. »

Chantal Thomas le professe : elle adore voyager. Pas forcément loin, assez pour « dévier de la routine », « se décaler par rapport aux horaires ordinaires ». Cette vocation remonte à la lecture de Sur la route de Kerouac, coup de foudre partagé avec son amie Sandra en classe de philo. Après le bac, elles avaient fait leur sac, « direction l’Espagne avec le vague plan de poursuivre en Afrique du Nord » en autostop. Puis ce sera le Pérou, « en camionstop ».

Leur vol de retour comprenait une escale à New York. Dans un bar, une fille noire au « port de reine » leur avait conseillé d’aller à Staten Island, « une jolie excursion, gratuite, idéale pour une unique visite à New York ». Après la merveilleuse vue de Manhattan, « çà et là scintillante », depuis le ferry pris à la nuit tombante, la peur et la fatigue s’étaient emparées d’elles dans un hôtel miteux sur l’île, avant qu’elles retrouvent sur le bateau du retour la vision fascinante des gratte-ciel.

En juin 1976, Chantal Thomas était retournée à New York, peu après sa soutenance de thèse sur Sade sous la direction de Roland Barthes. Cynthia, une Américaine qui avait laissé son numéro de téléphone à Sandra, à la voix sympathique, l’avait accueillie dans son appartement– « et c’était mieux que la porte du paradis. » Tout l’enchante, l’hospitalité de l’Américaine enjouée, la vue sur des arbres côté cour, l’accumulation de plantes dans cet appartement étriqué d’un immeuble en briques rouges.

Avec les clés, Cynthia lui donne aussi les conseils de prudence pour vivre dans ce quartier de Little Ukraine, chaleureux et dangereux. Et les autres clés de la vie new-yorkaise, de jour, de nuit, des week-ends enfiévrés. « Car, en arrivant dans l’East Village et en plongeant dans son atmosphère de parties, je n’avais fait que me fondre dans un mouvement, une sorte de carrousel ou de cirque, pas toujours brillant mais acharné à poursuivre. »

East Village Blues nous invite dans le bain de jouvence de Chantal Thomas. Elle retrouve ce qui a marqué ses précédents séjours, les endroits liés aux écrivains libertaires, aux poètes, à la Beat Generation et a fait sien leur « unique enjeu » : « garder l’intensité, ne pas perdre la note, la pousser jusqu’au bout des limites du souffle ». Au contraire de Paris, on appose peu de plaques commémoratives dans l’East Village à présent transformé par la gentrification, mais la voyageuse a ses bonnes adresses notées dans un carnet.

Les « photos de graffitis, prises par Allen S. Weiss entre 2015 et 2017 sur les murs d’immeubles qui allaient être rénovés, ou carrément détruits » (article de Sophie Joubert dans France-Amérique) donnent le tempo dans ce récit des flâneries d’une femme libre, audacieuse, qui ne craignait pas la vie de bohème et ses aléas. On reconnaît Andy Warhol sur la photo de couverture.

Rencontres, lectures, souvenirs s’y assemblent comme les menus objets dans les Shadow Boxes de Joseph Cornell au MoMA : des collages de petits riens ramenés de brocantes à Manhattan – « des boîtes à la fois minuscules et infinies, riches en merveilles incalculables de ne tenir que par le prisme de l’imagination ». Le New York de Chantal Thomas est à la fois mythique et personnel, libérateur.

Commentaires

  • Le bonheur de lire cette évocation en goûtant le premier café Merci Tania,

  • Avec grand plaisir, Elisabeth. Merci de partager votre premier café.

  • Elle possède l'art de raconter ses voyages et ses rencontres.

  • Je la rejoins dans ce plaisir de marcher en ville, seule (de préférence) et anonyme, d'observer les gens, les maisons, de sentir les odeurs locales. Flâner.
    Par contre connaître la maison où a vécu l'un ou l'autre artiste, écrivain ne m'intéresse pas vraiment.
    Bonne soirée Tania

  • "Errer est humain. Flâner est parisien" écrivait Hugo ;-). Bonne après-midi, dame Colo.

  • Une manière agréable de visiter New York en marchant dans ses pas...Perso je déteste à présent être en ville ! Je ne connais pas encore cette autrice et il faudra bien qu'un jour je me décide.

  • Parmi les titres de Chantal Thomas lus jusqu'à présent, c'est "De sable et de neige" que je mettrais en tête.

  • Merci Tania pour cette présentation. Flâner dans ses pas à NY est tentant. Je retiens "de sable et de neige". Tes conseils sont toujours judicieux. Je ne connais que "Souvenir de marée basse "et "journal de nage"

  • Avec plaisir, Claudie. Bon week-end.

  • Le dernier livre de Chantal Thomas m'attend. J'ai bien l'intention de lire également "East Village Blues". Je n'ai jamais été déçue par ce que j'ai lu de l'autrice.

  • Son "Journal d'Arizona et du Mexique" ? Bonne lecture, Aifelle.

  • À l'inverse de Dominique, je n'aime pas toujours cette auteure mais le sujet m'a tout de suite attirée par sa couverture : Warhol et Lou Reed, toute une partie de ma jeunesse. J'ai très envie de lire ce livre, merci pour la pichenette de curiosité !

  • De la jeunesse de Chantal Thomas aussi, tu verras si tu te laisses tenter.

  • Une époque riche, une époque révolue il me semble, c'est bien de faire revivre ces années là, merci Tania pour ce billet, belle semaine à toi. brigitte

  • Oui, Brigitte, ce quartier et le mode de vie ont beaucoup changé. Chantal Thomas en fait une description décapante, disons. A bientôt.

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