Dans Eloge de la marche (traduit de l’anglais par Thierry Gillyboeuf), Leslie Stephen (1832-1904), le père de Virginia Woolf, encourage à sortir du bureau ou de la bibliothèque pour mieux penser. « Il invente un genre littéraire à part entière, celui de l’essai buissonnier » écrit le traducteur dans sa préface, où il rappelle qui était Leslie Stephen : un garçon « pâle et chétif », « tête de Turc de ses condisciples » à Eton qu’il quitte à quatorze ans, parti étudier la philosophie en Allemagne grâce à une bourse de Cambridge.
Vue sur le Cervin, été 2008 (Photo T&P)
En 1857, il entreprend de traverser l’Allemagne à pied, fait l’ascension du mont Rose et découvre les Alpes bavaroises et le Tyrol. « Sept étés durant », de juillet à septembre, il se rend en Suisse pour une tournée des « pics, cols et glaciers ». Il préside l’Alpine Club et édite l’Alpine Journal pendant plusieurs années. Aujourd’hui on le considère comme « l’une des figures majeures de l’alpinisme littéraire ». Le Terrain de jeu de l'Europe (The Playground of Europe, 1871) est un classique du genre. Deux des quatre textes de ce petit recueil en sont extraits.
En premier vient « Mon père : Leslie Stephen » par Virginia Woolf. Elle rappelle que cette « période faste » d’exploits paternels « fluviaux et montagnards » était terminée quand les enfants Stephen étaient jeunes, mais qu’il en restait des vestiges dans la maison : coupe en argent, alpenstocks rouillés… Son père se contentait alors de simples balades en Suisse ou dans les Cornouailles. Virginia fait le portrait d’un homme attachant, avec des sautes d’humeur mais le sens de l’humour, frugal mais exigeant avec ses enfants tout en leur accordant la liberté dans leurs choix.
Eloge de la marche, le deuxième texte, date de 1902. « Marcher est aux loisirs ce que labourer et pêcher sont aux travaux industrieux : quelque chose de simple et de primitif ; cette activité nous met en contact avec la terre maternelle et la nature élémentaire, elle ne requiert aucun dispositif complexe ni excitation superflue. Elle est faite pour les poètes et les philosophes, et pour pouvoir pleinement l’apprécier, il faut au moins être capable de vénérer l’« ange qu’on nomme la Contemplation ». » (tiré de Milton)
Leslie Stephen, également professeur et biographe, s’appuie sur sa propre expérience de marcheur et sur de nombreux exemples tirés de ses lectures, quasi tous d’écrivains anglais, qu’il faudrait mieux connaître pour en apprécier tout le sel. Néanmoins son propos reste intéressant par sa façon de décrire le bonheur de marcher : « Quand on s’est mis en route de bonne heure, que l’on a suivi le sentier des gardes-côtes sur les versants dominant les falaises, que l’on a traversé non sans mal le tapis pourpre et doré d’ajoncs et de bruyères recouvrant les landes… »
Un coucher de soleil au mont Blanc, – « la meilleure chose qu’il ait écrite, selon lui », écrit Virginia Woolf –, superbe hommage au « vieux Monarque des montagnes », comme il l’appelle, rapporte une ascension entreprise le 6 août 1873 en partant de Chamonix. « Le soleil se levait sur une de ces aubes fraîches, pleines de rosée, de celles que l’on ignore partout, sauf dans les montagnes, où l’air vivifiant semble pénétrer tous les pores de la peau. »
Il prend le temps de décrire l’état d’esprit, la vue qu’on a en chemin, le constant souci de l’orage imprévu, le calcul de l’horaire pour arriver à temps au sommet pour admirer le coucher du soleil, les exercices de gymnastique pour lutter contre le froid. Puis vient le spectacle du coucher du roi des montagnes, sublime, avec ses éclairages changeants, somptueux, et des émotions d’une intensité rare.
Les Alpes en hiver terminent le recueil. Après des années de marche estivale, il lui fallait absolument découvrir les montagnes à la saison des neiges et du gel. « En hiver, les Alpes, comme je l’ai dit, sont un pays de songe. Depuis que me voyageur aperçoit, des terrasses du Jura, la longue série de pics qui va du mont Blanc au Wetterhorn, jusqu’à un moment où il pénètre dans les recoins les plus reculés de la chaîne, il traverse une suite de rêves dans un rêve. »
Du sommet inaccessible où elle est maintenant, ce billet est pour Jo qui aimait tant les Alpes et les a portées dans son cœur jusqu’au bout. (Merci à celle qui m’a offert cette lecture.)
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Voici pour vous mes dernières lectures du mois d’août.
Ne vous étonnez pas si je laisse vos commentaires sans réponse – le temps d’une pause pour moi.
Bonnes lectures & que tout aille bien !
Tania
Commentaires
Bonjour Tania, je ne vais pas beaucoup faire de marche...quoique...Je vais arpenter galeries et musées en suisse très prochainement;; ça ne remplacera pas la Sardaigne où je devais aller...marcher; mais les avions...Bref, j'approche des Alpes...et penserai à ces lignes!
Une vision du père de VW, à découvrir, ma foi
bonne pause, Tania!
je t'embrasse tout fort
Marche, marche beaucoup en vadrouille, un beso
Coucou Tania, je viens de lire Virginia d'Emmanuelle Favier, dès que je le pourrai, j'en parlerai sur P.d'Anges, et j'ai noté ce livre de L.Stephen que je lirai avec ferveur... Bises, à bientôt. brigitte