« J’envie désespérément les hommes qui peuvent réfléchir sans perdre le fil de leurs pensées dans des conditions qui distraient les autres – au cours d’une réunion où il y a foule ou bien au milieu de leurs enfants –, car je suis aussi sensible que la plupart des gens à la distraction, mais pour peu que je parvienne à penser, je ne suis pas sûr que le mugissement du Strand ne soit pas un cadre plus propice que le calme de mon bureau. L’esprit – on ne doit juger qu’à l’aune du sien – me semble être un appareil singulièrement mal construit. Les pensées sont des choses glissantes. Il est extrêmement difficile de les maintenir dans la piste offerte par la logique. Elles se bousculent entre elles et font soudain une embardée pour laisser la place à d’autres pensées incongrues et fortuites, tant et si bien que le cours de la pensée, dont on parle, ressemble davantage à un voyage en train que l’on fait en rêve, où tous les quelques yards, on est aiguillé sur la mauvaise voie. Or, bien qu’une rue de Londres regorge de distractions, elles deviennent si innombrables qu’elles se neutralisent mutuellement. Le maelström d’élans contraires devient un courant continu parce qu’il est tellement chaotique qu’il crée une humeur, voire une veine réflexive. »
Leslie Stephen, Eloge de la marche
Commentaires
Oh oui, les pensées sont choses glissantes, parfois, tu n'arrives pas à les retenir, elles t'entraînent, peuvent même te faire trébucher. Il faudrait tout discipliner, y compris elles, mais où seraient les aléas de la vie...qui est une marche en avant...
Je découvre le père de Virginia Woolf. Rebecca Solnit vient de publier un "art de marcher". Il m'attend sur ma pile. Ah! la fuite des idées !