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Que pèse une maman

Par hasard, après la quête d’un père, voici celle d’une mère, dans Dix-sept ans, le dernier roman d’Eric Fottorino. Un dimanche de décembre, une mère invite ses trois fils à déjeuner avec leurs familles. Après le repas, Lina veut parler à « ses garçons », à eux seuls. Nervosité, inquiétude, et puis une révélation inattendue : en 1963, elle a mis au monde une petite fille qu’on lui a enlevée aussitôt.

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Bonnard, Jeune femme à table, 1925

Deux ans après Moshé, le « père juif de Fès » d’Eric, le fils aîné, Lina s’est retrouvée enceinte pour la deuxième fois, d’un autre Marocain, et cette fois sa mère furieuse, bigote, lui a fait signer immédiatement une promesse d’abandon – « Pour votre grand-mère, j’étais une Marie-couche-toi-là ». Elle l’a éloignée en louant un studio à Bordeaux pour sa fille et son petit-fils, sous la garde de Paul, oncle et parrain d’Eric.

Troublé par cet aveu, Eric, 47 ans, n’en peut plus d’essayer de recoller ses souvenirs. L’absence de son père biologique, il l’a heureusement acceptée grâce à son père adoptif, Michel Signorelli, pied-noir de Tunis, qui lui a donné son nom quand il avait dix ans en épousant sa mère (cf. L’homme qui m’aimait tout bas), puis en lui donnant deux petits frères, François et Jean. Mais après le récit de sa mère, il se sent incapable de lui dire quoi que ce soit, « impuissant à l’aider ».

Rentré chez lui, il donne ses cours machinalement à la fac, garde le silence à la maison, finit par décider de partir seul quelques jours à Nice, où il est né. « En réalité, je n’avais jamais accordé à Lina l’importance qu’elle méritait. A-t-on déjà entendu dire : ma mère, ce héros ? Que pèse une maman de rien du tout face à l’aura de deux pères ? »

De sa naissance sans père, ils s’en sont sortis vivants, sa mère et lui – « Vivants, pas indemnes. Dans mon cœur, une statue de pierre est toujours debout, raide et menaçante. » A Nice, il arpente les rues en quête de signes, cherche où il est né, se remplit « de soleil tiède », imagine Lina sur la Promenade des Anglais avant que sa mère l’emmène dans le village d’Ascros, chez des inconnus qui la cacheront jusqu’à l’accouchement, en août 1960.

Au restaurant où il prend ses habitudes, il fait la connaissance de Novac, un pédopsychiatre appelé en renfort après l’attentat de Nice ; il l’écoute parler des enfants traumatisés, qui revivent sans cesse les scènes d’horreur. Durant ses promenades, il imagine comment sa mère se sentait, à Nice, imagine son regard sur ce qu’il regarde lui, à présent. Il voudrait lui téléphoner, lui en parler, mais ils n’arrivent jamais à se parler par téléphone. Ni autrement.

La veille de l’an 2000, Lina lui avait annoncé joyeusement qu’elle s’installait à Nice, seule. Eric se reproche de n’y être jamais allé la voir, malgré ses demandes répétées. Les souvenirs se bousculent dans sa tête, en désordre. C’est Novac qui le met sur la voie en lui parlant de la femme au regard perçant qu’ils ont remarquée au restaurant et dont le fils aux traits asiatiques ne cesse de lancer un boomerang sur la plage. Elle tient une brocante dans une impasse, véritable « palais de curiosités ». Eric s’y rend, intrigué, et est surpris d’y reconnaître des œuvres de Lina, qui crée des sculptures à partir de bois flottés.

Betty Legrand, la chorégraphe devenue brocanteuse, a bien connu sa mère et elle l’a tout de suite reconnu, lui : Lina et elle partageaient la même chambre à la maternité, elles sont toujours restées en contact. « Jusqu’ici, ma mère était restée un être irréel et diaphane. » Et voilà quelqu’un, enfin, qui lui raconte ses débuts dans la vie, noyés dans l’oubli. Betty lui parle de Moshé, du père de son fils, un danseur vietnamien venu une saison à l’Opéra de Nice, reparti à Saïgon sans se savoir père. « Des lambeaux de nos vies m’étaient rendus. »

Dix-sept ans, c’était l’âge de sa mère quand il est né. Elle voulait l’appeler Arthur, sa grand-mère a choisi Eric. Grâce à Betty, il comprend peu à peu d’où il vient, pourquoi il n’a aucun souvenir de sa petite enfance auprès d’une mère aimante, pourquoi sa grand-mère a pris toute la place dans son cœur. Après ce séjour à Nice sur ses traces, il va, enfin, pouvoir parler avec Lina ou du moins écouter ce qu’elle n’avait jamais réussi à lui dire.

Bien que sous-titré « roman », Dix-sept ans d’Eric Fottorino est une recherche très intime, au croisement des faits et des sentiments : « Je suis devenu écrivain parce que je ne savais pas qui j’étais » reconnaît-il dans un entretien. Dans cette fiction, le narrateur, Eric Signorelli, ne masque ni ses manques, ni sa fragilité : un roman bourré de nostalgie, émouvant par son obstination à lever les secrets, à comprendre et à mettre des mots sur sa vie à elle, sa vie à lui.

Commentaires

  • Remuant, oui, comme tant de secrets de famille une fois révélés.

  • ton billet me parle bcp, surtout après la révélation que j'ai eue sur ma mère à moi, dont j'ai parlé sur mon blog
    Voilà un livre que je lirai certainement!

  • Je l'imagine bien, Coumarine. Rien chez Fottorino sur le sort de l'enfant adoptée, le récit est centré sur le fils aîné qui redécouvre sa petite enfance et la vie de sa mère.
    J'ajoute le lien vers ton premier billet sur l'histoire de la tienne :
    http://coumarine.blogspot.com/2018/11/pauvre-petite-fille-belge.html

  • J'avais entendu Fottorino en parler à La Grande Librairie, aussi n'ai-je pas hésité quand j'ai vu ce titre à la bibliothèque.

  • Une sorte d'enquête sur son propre passé, douloureux certainement. Je l'avais également entendu à la LG, avec émotion.

  • Merci, Colo. Je ne l'ai jamais vue de près, cette toile, contente de l'avoir trouvée sur la Toile ;-).

  • J'aime beaucoup écouter Eric Fottorino et j'ai raté de peu une rencontre avec lui sur ce dernier livre. Je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire, je sais que cela viendra.

  • C'est le premier livre de Fottorino que je lis, aurais-tu un autre titre à me conseiller ?

  • Un de mes peintres préférés, j'avoue.

  • Je t'en souhaite déjà bonne lecture.

  • Un sujet qui me touche, en tant que mère adoptive. Cette recherche, certains l'entament, d'autres, non. Il me semble que c'est un droit, cruel parfois, nécessaire, pas toujours. Chacun cherche à se retrouver, comme il peut. Un chemin bien difficile.

  • Merci pour ton témoignage, Annie. Même si c'est un roman, il m'a semblé que Fottorino aborde ces questions avec sincérité, sans gommer les difficultés de la relation. Bonne soirée.

  • Je voudrais commencer par "L'homme qui m 'aimait tout bas" sur son père adoptif ou "Questions à mon père" sur son père biologique. Il a une histoire familiale particulièrement compliquée.

  • Des titres certainement complémentaires de celui-ci, qu'ils précèdent. Bon week-end, Aifelle.

  • Fottorino c'est le monsieur du journal "Le 1.". En parcourant ses livres, je suis surtout attiré, à côté de ses livres sur les ascendants, à son parcours et déboires au journal Le Monde : "Mon tour du «Monde»".
    Heureux Bonnard, toujours touchant, pour illustrer les textes dédiés à des personnes disparues.

  • Eric Fottorino est d'abord journaliste, très actif, et son histoire du "Monde" doit être intéressante. Bonne semaine, Christw.

  • J'ai vu Eric Fottorino à La Grande Librairie et, bien qu'attirée, je n'ai pas encore osé lire son livre. Par contre, je suis abonnée à son journal le 1 que je "fréquente" depuis le numéro 1. J'aime le côté pluriel des articles sur une thématique: cela permet de réfléchir à une actualité brûlante avec le recul nécessaire. Mais les thématiques ne se cantonnent pas à l'actualité.

  • La Libre Belgique d'aujourd'hui reprend "Dix-sept ans" parmi les dix livres non primés qu'elle recommande. J'ai lu le "1" quelque temps mais je l'ai perdu de vue, c'est vrai que c'est souvent intéressant.

  • Je suis revenue car je souhaitais aussi laisser un commentaire d'appréciation du bien-fondé du choix de l'illustration .
    Je voulais aussi lire le témoignage de Coumarine, très émouvant au demeurant. Quel destin!ça m'a fendu le cœur.
    D'autres cas d'enfants arrachés à leurs parents par le passé et envoyés en France"pour leur bien""pour travailler dans les fermes" arrivent actuellement à notre connaissance.

    Ce n'est pas tout à fait pareil, mais ici, il arrivait, dans les familles nombreuses, que d'autres familles (en mal d'enfants?) en prennent certains pour les élever.

    Et puis, nous avons le cas de mon beau-frère, qui, pendant la guerre, en l'absence de son papa parti en captivité pour 6 ans a été élevé par sa tante; en revanche, son frère plus jeune, et sa sœur âgée de 8 jours lorsque son papa a été fait prisonnier sont restés auprès de leur mère.
    Tout cela est loin d'être simple.

  • Merci pour ce témoignage, Maïté/Aliénor. Tout cela marque un enfant et en général pour la vie, les relations familiales en sont chamboulées. Pas simple à vivre, en effet.

  • Une douce amie, qui a beaucoup aimé ce livre, doit me le prêter... J'ai hâte de le découvrir. Belle soirée Tania. brigitte

  • Bonne découverte quand tu le liras, Brigitte, bises.

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