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Parler de l'âme

De l’âme. Le sous-titre donne le ton : Sept lettres à une amie. Trente ans après leur rencontre dans le métro, une amie écrit à François Cheng que « sur le tard », elle se découvre une âme, mot qu’il avait prononcé devant elle mais qu’elle était trop jeune alors pour « saisir au vol ». « A présent, je suis tout ouïe, acceptez-vous de me parler de l’âme ? » Répondre à sa question lui semble un défi en France où règne « comme une « terreur » intellectuelle » à ce sujet. Lui se souvient d’avoir demandé à la jeune femme : « Comment assumez-vous votre beauté ? »

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Cong Fang, Paysage (art.rmngp.fr)

La réflexion de François Cheng est riche de rapprochements entre les grandes cultures spirituelles où le principe de vie porte différents noms : Aum, Qi, Ruah, Rûh, Pneuma – animus régi par l’anima. Ni raisonnement sec ni prêchi-prêcha dans ces lettres, mais le cheminement d’une vie, un questionnement et des réponses nourries par un parcours personnel. « Toute vie est toujours à la fois un pouvoir-vivre et un vouloir-vivre. » La question de l’âme rejoint le « désir d’être ».

Lors de leur exode familial dans la campagne chinoise, pour échapper aux bombardements, ils s’étaient abrités sous un pont de pierre ; d’autres n’avaient pas eu la chance d’y survivre : il a vu un enfant touché à mort dans les bras de sa mère. Dans un temple où il s’était réfugié une nuit, un serpent a rampé vers lui, il se rappelle leur face à face qui aurait pu être fatal. « Toute vie est une aventure naviguant entre inattendu et inespéré. »

Comment définir l’âme, « indivisible, irréductible, irremplaçable » ? Pour François Cheng, elle est la marque de l’unicité de chacun, de sa vraie dignité, « l’unique don incarné que chacun de nous puisse laisser. » Reprenant la triade corps-esprit-âme, il les distingue ainsi : « L’esprit raisonne, l’âme résonne », « L’esprit communique, l’âme communie ». L’âme est au-delà ou en deçà du langage.

Cette « unité de fond » d’un être, nous pouvons l’observer chez quelqu’un dont le corps ou l’esprit est diminué – sans perdre pour autant « une once » de son âme. Si l’esprit règne dans l’approche scientifique ou philosophique, l’âme habite la beauté, l’amour, la création artistique ; il l’a montré dans Œil ouvert et coeur battant. François Cheng cite ici Le Clézio, Bachelard, Rimbaud…

De lettre en lettre, le poète et penseur développe ce qu’il est possible de dire de l’âme, sans l’idéaliser pour autant : « en toute âme humaine cohabitent ange et démon ». Il fait le tour des grandes traditions spirituelles et des termes par lesquelles elles désignent l’âme en relation avec le corps et l’esprit, la terre et le ciel, en Asie, en Grèce, dans les religions monothéistes.

De la triade corps-âme-esprit, « l’intuition peut-être la plus géniale des premiers siècles du christianisme », il déplore qu’elle soit « quasi oubliée par l’Occident qui lui a préféré le dualisme corps-esprit à partir du deuxième millénaire », mais constate qu’elle reste « encore vivante dans l’Orient chrétien. » L’âme est pour lui centrale, « initiale et ultime ».

Son amie se plaint de l’ambiance « dans laquelle nous vivons ». La mentalité contemporaine rejette l’âme, fascinée par le rationalisme et le matérialisme qui ne laissent qu’une place secondaire aux émotions et à la sensibilité. Si François Cheng admire et défend le rôle majeur de l’esprit humain, cela n’empêche pas que s’impose à lui « un autre ordre » dont relèvent la joie, la charité, l’intelligence du cœur.

Dans la cinquième lettre, il partage des souvenirs essentiels, diverses expériences de la beauté, de l’art, de moments de grâce. « Tout est appel, tout est signe », même s’il a connu la souffrance, la soif extrême, le malaise et la chute en rue, les deuils. Dans la sixième, il évoque Simone Weil et explicite de L’enracinement cette magnifique phrase : « L’arbre est en réalité enraciné dans le ciel. »

Quelle que soit la conception ou la perception que nous avons du sens de l’existence, De l’âme est un magnifique hymne à la vie. « Plus que dans le savoir, la vérité réside dans l’être. » Pour qui accompagne quelqu’un de très abimé par la maladie ou la vieillesse, il y a dans ces lettres de François Cheng bien des phrases d’un grand secours. « A la fin, il reste l’âme. »

Commentaires

  • François Cheng est une TRÈS BELLE ÂME, chacun de ses livres est un bijou finement ciselé, il nous fait accéder à la profondeur du monde avec humilité, ses mots sont à lire et à relire et ses romans sont somptueux. Je suis en amour avec cet homme qui nous tend la main et nous invite à un grand et beau voyage. Merci Tania, je retiens en plus la dernière phrase de ton billet, je relirai ce livre. Bises. brigitte

  • Brigitte, tu lui rends un très bel hommage. Merci. Bises.

  • Cette âme, dont, c'est vrai on parle si peu dans la vie, plus en poésie, elle qui nous donne force et courage. Un livre que je lirai certainement en pensant, oui, à ta dernière phrase mais en l’appliquant sans doute aussi à ceux qui vivent avec une grave maladie.
    Un tout grand merci pour ce billet, tout ce qui apporte réconfort est si bienvenu.

  • Tu as raison, la poésie accorde plus de place à l'âme. François Cheng réconcilie toutes les facettes de l'être, je te souhaite déjà bonne lecture de ce livre. Bonne après-midi, Colo.

  • Lui se souvient d’avoir demandé à la jeune femme : « Comment assumez-vous votre beauté ? »

    Je me souviens de cette conférence dans une petite ville de province, François Cheng y était convié par des libraires et amis très chers. Je l'entends encore nous obliger à tendre l'oreille pour distinguer la beauté et la bonté. Un souvenir rare et précieux.

  • A la télévision déjà, on a l'impression d'entendre une voix rare quand François Cheng parle, aussi j'imagine que de l'entendre dans une conférence a une saveur très singulière. Merci pour cet écho.

  • Un livre que tu donnes très envie de découvrir, tant en effet, on n'entend plus guère parler de l'âme, qui est pourtant essentielle. Et l'évocation de la beauté ne peut mettre que du baume au coeur.

  • Si le sujet t'intéresse, n'hésite pas, Aifelle. Ce livre l'aborde avec sérieux, sans jargon, dans ce genre de conversation intime que permet la correspondance entre amis.

  • Je ne sais pas si tu te souviens, mais j'avais évoqué "De l'âme" dans ce billet:
    http://www.eclats-de-mots.fr/2017/01/26/du-lieu-a-lame-et-vice-versa/
    Ce livre comme François Cheng est un enchantement. Une de tes correspondantes parle de sa rencontre en conférence;, l'écouter fait jaillir beaucoup d'émotion et de rares moments de communion où on a l'impression soudain de comprendre ces concepts pas toujours simples. Lire et relire François Cheng, c'est avancer pas à pas sur le chemin de la connaissance, à petits pas certes, car il donne des clefs de compréhension au cours de ses différentes apparitions. Il nous cisèle des bijoux, qui j'en suis sûre, nous feront amèrement regretter que l'immortalité, en ce qui le concerne, ne s'adresse qu'à l'âme et à ses écrits et non à son corps physique.
    Je suis contente de le retrouver si bien présenté chez toi.
    Merci.

  • Merci pour le lien, Maïté, je suis retournée vers ton billet et je ne me souvenais pas de ces cinq vidéos que tu proposes à la fin, que j'irai écouter, pour prolonger ce chemin de connaissance.

  • De l'âme est un livre qui n'a pas encore de place dans ma bibliothèque car il me semble que je ne finirai jamais de le lire. François Cheng est pour moi comme un amer pour les marins, ou un cairn pour les randonneurs, ou une lumière pour nous tous qui cherchons notre chemin.
    Tu en parles vraiment très bien. Merci.
    Bonne journée.

  • Tu le cites souvent sur ton blog, j'ai relu tes billets. Merci pour ce commentaire, tes comparaisons sont belles. Bonne journée, Marie.

  • cet auteur a des titres très inspirants - je le connais mal, seulement par de courts extraits deci dela mais ses livres figurent en tête de ma liste

  • J'entre dans son oeuvre pas à pas et c'est une voix d'homme et d'écrivain qui m'importe.

  • Bonjour Tania. Je ne connais cet auteur que par des extraits lus sur des blogs mais je suis très sensible à tout ce touche l'âme. Bonne journée

  • Bonne lecture si tu te décides à le lire, ce titre sortira sans doute en format de poche bientôt. Bonne après-midi.

  • Nous avons accompagné une amie encore jeune, gravement malade, elle s'est éteinte hier. Ces dernières semaines, j'ai relu "cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie" de François Cheng. Il est lumineux et apporte consolation et élévation.
    " De l’âme "était déjà acheté, et ton article me pousse à l'ouvrir sans délai. Merci Tania pour ton bel écrit. Bises.

  • Toute ma sympathie, petite verrière, courage à vous. Merci pour cet autre titre de François Cheng que je lirai certainement. Je te souhaite une bonne lecture de "De l'âme". Bises.

  • Quelle belle conclusion Tania ! Un titre que je vais garder en mémoire, pour les moments où les secours sont nécessaires.

  • La lecture de ces "lettres à une amie" n'est pas réservée à certains moments de notre vie, mais elles touchent forcément plus quand nous nous posons les questions auxquelles elles répondent.

  • Bonjour Tania, je te relis enfin. Et toujours avec intérêt. Il y a peu, j'ai hésité entre ce titre et un autre de François Cheng, je suis partie avec l'autre ( Cinq méditations sur la beauté, toujours pas lu ) en me promettant de revenir plus tard vers De l'âme. Cette spiritualité au plus proche de la vie, hors religion, me touche particulièrement.

  • Bonjour, Marilyne, heureuse de te retrouver (ici et sur ton blog). Les méditations de François Cheng nous parlent de ce qui nous importe, hors des sentiers battus et du bruit médiatique. Merci pour ce titre, encore à découvrir, pour moi aussi.

  • En un sens, oui.

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