La défense de l’environnement et l’attention au bien commun sont deux causes qui m’importent, aussi avais-je envie de savoir ce qu’en dit le pape François dans « Laudato si’ » (2015), sous-titré « Le souci de la maison commune » (ou, plus loin, sa « sauvegarde »). Le titre est emprunté au début du Cantique des créatures de François d’Assise, « Loué sois-tu, mon Seigneur pour frère Vent, / et pour l’air et pour les nuages, / pour l’azur calme et tous les temps (…) ». Le texte intégral est disponible en ligne.
François d'Assise prêchant aux oiseaux (d'après les Fioretti) par Giotto
Le pape ne s’adresse pas seulement aux catholiques dans cette lettre encyclique en VI chapitres et 246 paragraphes, mais « à chaque personne qui habite cette planète ». Il s’y réfère à ses prédécesseurs et à d’autres grandes voix spirituelles, comme celle du patriarche œcuménique Bartholomé (cet orthodoxe qu’on surnomme le « patriarche vert ») qui déclarait : « un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un péché contre Dieu » (1997).
Le témoignage de François d’Assise est radical par sa manière d’aborder la réalité sans la réduire à un objet d’usage et de domination. « Si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. »
Le chapitre I, « Ce qui se passe dans notre maison », décrit la réalité d’aujourd’hui : pollution, ordures, culture du déchet, dérèglement du climat, problème d’accès à l’eau potable, chute de la biodiversité, cimetière marin… Les pauvres en sont les premiers atteints, c’est pourquoi une « nouvelle solidarité universelle » s’impose contre « la globalisation de l’indifférence », puisque nous sommes « une seule famille humaine ». La faiblesse des réactions politiques face aux intérêts particuliers appelle à réagir pour fixer « des limites infranchissables » et protéger les écosystèmes. A ceux qui proposent une réduction de la natalité, le pape explique pourquoi cela ne suffit pas (§ 50).
Dans « L’évangile de la création » (II), chapitre axé sur la foi, le pape François rappelle l’impératif de « cultiver et garder » le jardin du monde dans la Genèse. « Tout est lié, et la protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres. » Il insiste sur l’incohérence qu’il y aurait à lutter pour la nature mais à rester indifférent envers les pauvres et les exploités.
« La racine humaine de la crise écologique » (III) aborde les avancées des sciences et des technologies – des progrès enthousiasmants, malheureusement non accompagnés du « développement de l’esprit humain en responsabilité, en valeurs, en conscience. » A partir du § 113, Laudato si’ décrit la transformation actuelle de l’humanité, « l’anthropocentrisme moderne » et ses conséquences, là où la raison technique l’emporte sur le souci du développement humain. « Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif. »
« Une écologie intégrale » (IV) considère que tout est lié : « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature. » (§ 139) C’est pourquoi l’écologie est aussi culturelle, dans la préservation du patrimoine commun et des richesses culturelles (§ 143). « Toute la société – et en elle, d’une manière spéciale l’État, – a l’obligation de défendre et de promouvoir le bien commun. »
Il en découle « quelques lignes d’orientation et d’action » (V) à tous les niveaux : international, national, local. Au Sommet de 1992 à Rio de Janeiro, il a été proclamé que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable ». Mais la mise en œuvre pratique tarde, la poursuite d’objectifs à court terme ne prend pas suffisamment les grandes finalités en compte.
Le dernier chapitre appelle à une « conversion écologique ». Chacun peut changer son style de vie, renoncer à l’individualisme pour améliorer la situation et cela, déjà, par des gestes tout simples : « éviter l’usage de matière plastique et de papier, réduire la consommation d’eau, trier les déchets, cuisiner seulement ce que l’on pourra raisonnablement manger, traiter avec attention les autres êtres vivants, utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles. » (§ 211)
L’éducation à une « citoyenneté écologique » doit se faire à l’école, mais surtout dans la famille, qui reste « le lieu de la formation intégrale » (§ 213). Appelant à la joie et à la paix, Laudato si’ revalorise des vertus parfois méprisées, la sobriété et l’humilité. « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire ; car, en réalité ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et en sachant jouir des choses les plus simples. »
Bref, quelles que soient nos convictions personnelles, il me semble que cette encyclique, audacieuse dans son genre et engagée « face à la détérioration globale de l’environnement », décrit justement ce qui se passe dans notre monde et nous encourage tous à préserver activement le bien commun, dans la nature et dans les relations sociales.
Commentaires
Merci, Tania, de porter ce texte à notre connaissance. Puissent toutes les bonnes volontés du monde prendre conscience de cet enjeu capital.
Oui, Danièle, la contribution d'une grande voix n'est pas de trop par les temps qui courent.
merci pour ce beau texte tania et pour le lien :)
J'ignorais que l'encyclique était en ligne, autant le faire savoir.
on en revient toujours à Helder Camara et à sa Spirale de violence, parfaitement applicable également dans ce domaine-ci (malheureusement, le pape précédent n'aimait pas la théologie de la libération...)
c'est une belle idée de s'arrêter sur ce texte qui au delà de l'aspect religieux, nous cerne tous
@ Adrienne : Bonne idée de rappeler le combat de l'archevêque de Recife, "l'évêque des pauvres", autre grande voix d'Amérique du Sud.
@ Dominique : Oui, c'est vraiment un appel à tous pour un véritable progrès humain, social et environnemental.
Merci de faire écho à cette voix si écoutée et sur des sujets planétaires si sensibles. Comme tu dis, personne n'est en trop et les politiques se font rares et/si discrets...belle promesses et puis poco.
"belles", c'est mieux!
On ne peut qu'être d'accord avec ce texte, indépendamment de nos croyances ou non croyances religieuses. Il y a urgence sur le sujet et je crois aux petits gestes de chacun. Les changements ne viendront pas par les politiques, on le voit bien.
@ Colo : Belles promesses et puis... On le voit bien aujourd'hui dans le dossier du survol de Bruxelles où les pressions se font de plus en plus fortes à l'approche de la date d'application de la tolérance zéro pour non-respect des normes de bruit.
@ Aifelle : Certains le critiquent, notamment les climato-sceptiques, et ceux qui y trouvent trop d'engagement social.
Super texte à lire, dire et répéter... pour soi et autour de soi ! Merci Tania.
Je pense que ce texte doit être lu par les générations montantes.......quant à la mienne, cela fait un long moment qu'elle a pris conscience du danger !
As tu vu le film de Cyril Dion "DEMAIN" ? (quote : La conjonction des crises écologiques, économiques et sociales n’a jamais été aussi préoccupante. Et pourtant ni les responsables politiques, ni l’opinion publique ne réagissent vraiment. Pourquoi ?)
Bon week end .
Chinou
Bonjour Tania,
Je crois qu'effectivement quelques soient nos convictions, nous ne pouvons qu'être d'accord avec ce texte. je suis docteur es climatologie, et depuis toujours je me bats contre la défense de l'environnement, le respect de la planète, de ses êtres vivants etc. Et je pense qu'il faut apprendre aux jeunes à regarder, à se sentir responsables, car le bilan de l'héritage que nous leur laisserons est vraiment médiocre.
à bientôt Tania,
Claude
@ Witchy : Oui, ce texte nous concerne tous.
@ Chinou : J'ai beaucoup entendu parler de ce film mais je ne l'ai pas encore vu. Bon week-end, Chinou.
@ Claude : Tu es donc bien placée pour en parler. Je suis préoccupée par l'individualisme qui mène beaucoup de gens à négliger les espaces communs. En ville, on en voit tous les jours des exemples, dans une grande indifférence.
Un défi de plus pour les éducateurs et les enseignants, qui ont bien du mal à compenser un manque d'éducation citoyenne de base qui devrait en principe se transmettre au sein de la famille (ne pas souiller l'espace public, pour prendre un exemple simple).
j'ai vu ce film... j'en suis sortie les larmes aux yeux
mais pas que...
avec quelques bonnes résolutions aussi, des actes!
deux de mes petites filles (17 et 16 ans) sont devenues végétariennes tellement elles ont été bouleversées par ce film...
merci pour ce long passage de "Laudato si..."
je parlais du film "Demain" bien sûr
Bonjour, Coumarine. Ton témoignage renforce ce qui m'en a été dit - tant mieux si ce film continue à porter des fruits. J'espère que tu vas bien, à bientôt.