« Et les mains ? Avec elles nous demandons, nous promettons, appelons, congédions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, comptons, confessons, nous nous repentons, nous craignons, exprimons de la honte, doutons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, méprisons, défions, nous nous fâchons, nous flattons, applaudissons, bénissons, nous nous humilions, nous nous moquons, nous nous réconcilions, nous recommandons, exaltons, fêtons, nous nous réjouissons, nous nous plaignons, nous nous attristons, nous nous décourageons, nous nous désespérons, nous nous étonnons, nous nous écrions, nous nous taisons : et que ne faisons-nous pas, avec une infinie variété rivalisant avec [celle] de la langue ? »
Montaigne, Les Essais, Livre II, chapitre XII
La sculpture française au XVIe siècle (détail de la couverture)
Et pour qui voudrait comparer avec le texte original en moyen français :
« Quoy des mains ? nous requerons, nous promettons, appellons, congedions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doubtons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, tesmoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, deffions, despittons, flattons, applaudissons, benissons, humilions, moquons, reconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouïssons, complaignons, attristons, desconfortons, desesperons, estonnons, escrions, taisons : et quoy non ? d'une variation et multiplication à l'envy de la langue. »
Commentaires
Tania, j'ai bien fait de passer ce soir. J'ai passé un bon moment au milieu de tous ces "ons" qui finissaient par sonner bizarre dans leur multiplication.
Et je regrette, en lisant le texte original que nous n'ayons pas gardé dans notre langue certains verbes qui me paraissaient encore plus expressifs:"vergoignons","nombrons", "despittons"...
Dois-je ajouter que j'aime beaucoup le thème de la main?
Il est vrai que nos mains sont des magiciennes.
ça me fait penser aux Italiens, qui ont en effet un geste pour toutes ces choses-là ;-)
il est certain que l'on perd un peu de la langue originale mais sur la distance je me sens incapable de faire cet effort là tout le temps
@ Maïté/Aliénor : Ravie, Maïté, que tu aies le même plaisir que moi à écouter ces résonances anciennes et expressives.
@ Zoë Lucider : Elles le sont. Bonne journée, Zoë.
@ Adrienne : Ah, la langue italienne ! J'y ai goûté ce matin en écoutant sur musiq3 l'entretien avec le ténor Pino De Vittorio - http://www.rtbf.be/musiq3/article_l-invite-de-la-matinale-du-11-03-pino-de-vittorio?id=8927108
@ Dominique : Sans doute ! Si ça ne menait pas vers les trois mille pages, j'aimerais les deux textes en vis-à-vis, sur le modèle des éditions bilingues.
C'est magnifique... Etonnant d'imaginer Montaigne en train de se mouvoir et d'exprimer des choses avec ses mains. Je ne me le figurais pas autrement que dans l'acte d'écrire, une plume d'oie à la main.
@ Ariane : C'est la plus longue énumération des Essais et elle est superbe, oui !
Bon dimanche, Ariane.