Bien connue des curieux, souvent méconnue, un peu en retrait de la chaussée de Haecht à Schaerbeek, la Maison des Arts présente une petite exposition à découvrir jusqu’au 10 janvier : « Cent nœuds, sans visage ». Arlette Vermeiren, dont un grand voile bleu m’avait fascinée à la Villa Empain, y montre ses merveilleux tissages de petits papiers, accompagnés des sculptures et installations d’Anne Liebhaberg.
Quand la porte cochère est grande ouverte, n’hésitez pas à suivre les flèches en noir et blanc sur les pavés pour vous approcher de cette belle demeure classée du dix-neuvième siècle, l’ancien Château Eenens (1826). La grande porte donne accès aux salles d’exposition : à droite de l’accueil, déjà, une claire cascade de papillotes descend joliment l’escalier.
Je ne me souvenais pas de la salle à manger, vers la gauche, où toutes sortes de pains sur la table mettent un peu de vie dans cette pièce assez sombre mais remarquable, dans le style néo-Renaissance flamande : des vitraux, une imposante cheminée aux carreaux de Delft, des tapisseries aux cerisiers, arbres symboliques de la commune, des sculptures qui mériteraient d’être mieux mises en valeur. Le rez-de-chaussée de la Maison des Arts devrait bientôt bénéficier d’une grande restauration, d’après la gardienne des lieux, comme l’attestent des essais de couleurs sur les murs et les portes.
Salle à manger de la Maison des Arts (Schaerbeek)
Le premier salon est habité par les sculptures d’Anne Liebhaberg, des petites filles en bronze ou en cire : l’une se tient sur une vague, l’autre au pied d’une spirale, et si leur petite taille étonne, elles « respirent » davantage que celles rangées dans une boîte ou un tiroir. On ne sait rien de ces « créatures lilliputiennes » (Jean-Pierre Vlasselaer), mais on sent un malaise : qui leur a imposé leur place ? De quel ordre, de quelle menace sont-elles signes ?
Le second salon aux murs rouges vibre gaiement : des bouquets de « Petits cœurs » au mur, des chaises « Pompadour », une colonne « Amaretti di Saronno » – les titres viennent des papiers d’emballage qu’Arlette Vermeiren noue, tord, enroule, triture, ces papiers de soie, très fins, qui entourent bonbons, agrumes, chocolats… Elle en tisse des filets comme celui qui couvre le piano noir, où elle a posé de vieux livres, sous le grand lustre en cristal.
Dans le Salon rouge © Arlette Vermeiren
Les a-t-elle empruntés dans la bibliothèque juste à côté ? Sans doute. Dès qu’on en franchit le seuil, la double installation subjugue, climax de cette exposition. Sur une longue table basse, un rouleau de papier blanc se déroule comme un tapis pour une troupe qui s’étire en direction de la fenêtre, les « 650.000… » d’Anne Liebhaberg. A l’arrière, sur les côtés, certaines figures de cire sont couchées, tombées, elles échappent au mouvement d’ensemble vers l’avant, « moins poupées que soldats » (Jean-Paul Gavard-Perret). Allusion à quelle fuite ? à quelle violence ? à quel conformisme ? Titre et œuvre énigmatiques.
Entre cette multitude en marche et la fenêtre, « Lodz », comme un épais rideau, filtre la lumière. Arlette Vermeiren a créé cette oeuvre pour la Triennale de Lodz en 2013. (Cette ville polonaise était le centre textile le plus important d’Europe au XIXe siècle, 420 000 de ses habitants ont été déportés vers les camps de la mort, dont 300 000 juifs, d’après Wikipedia). « Fils, fils, fils qui s’entremêlent et s’entrenouent. Fils, fils, fils, fils c’est mon histoire », écrit-elle sur son site.
D’un côté du rose, du clair, du nacré, de l’autre du bleu, du sombre, ponctué de lumineuses touches blanches. Dialogue entre le jour et la nuit ? L’artiste a l’art d’assembler les tons en camaïeu. Tout autour de la pièce, des livres sur les rayonnages en bois peint que l’éclairage laisse dans la pénombre pour laisser la lumière intense des spots animer le face à face étonnant de la double installation.
Détails de la double installation dans la bibliothèque © Anne Liebhaberg / Arlette Vermeiren
« De l’a-pesanteur à la pesanteur, les deux côtés du chemin… » : la formule est tirée du petit catalogue qui oppose l’univers « aérien » d’Arlette Vermeiren à celui « plus terrien » d’Anne Liebhaberg. Ce contraste est fécond. Le statisme des petites sculptures anonymes, répétitives, engluées, figées à jamais, impressionne encore davantage d’être confronté à la légèreté des papillotes, papillons poétiques qui s’animent au moindre souffle.
Commentaires
Oui cette maison est magnifique, je l'ai visitée lors de la Journée du Patrimoine
Ah, bravo, tu reconnais les lieux alors. Bonne soirée, Adrienne.
La maison est magnifique, l'artiste aussi. L'affiche est attractive, elle retient le regard. J'ai envie d'en voir davantage, je vais suivre tes liens.
Heureuse que tu apprécies l'endroit et l'affiche. Tu trouveras en lien des photos de l'arrière, avec le beau bassin qui est vide en ce moment. Je retournerai au printemps faire le tour du jardin. Bonne journée !
Toujours de splendides visites avec toi, cet étalage de pains est bien attirant ....pour les gourmands dont je suis
Quelle belle visite, une artiste qui intrigue, qui fait donc réfléchir....vu sur un lien la tasse de Prince Fréderic...un bon café (avec les pains de Dominique) dans la salle à manger Renaissance?
superbe endroit que je veux voir lol
@ Dominique : Merci, cette table porte à la gourmandise, c'est vrai.
@ Colo : La prochaine fois, j'irai donc voir ce qu'on propose à l'Estaminet.
@ Amandine : Bonne visite à la Maison des arts, Amandine.
Une visite originale, un parcours presque initiatique dans un intérieur mystérieux et si beau. Subjuguée.
Merci, Armelle, de vous y être aventurée.
Une "visite guidée" comme je les aime !
Merci, May, de venir partager cette visite.
Très étonnante exposition en effet, à la fois légère et intrigante . Toutes ces figurines de terre me rappellent étrangement les soldats de l'armée enterrée de Qin Shi Huang, sans le côté guerrier bien évidemment :
https://www.google.fr/search?q=L%E2%80%99arm%C3%A9e+enterr%C3%A9e+de+Qin+Shi+Huang&biw=1366&bih=638&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ei=g2d7VI2SMJXZaqb9gIAJ&ved=0CD0QsAQ
Très bonne soirée Tania, merci pour cette belle découverte
Les figurines d'Anne Liebhaberg sont en cire, mais elles rappellent en effet cette armée de terre : troupe en marche ? en fuite ? exode ? exil ? J'ai aussi pensé aux 65.000 déportés d'Auschwitz (marche de la mort en 1945). Bref, comme vous l'écrivez, c'est très intrigant et très frappant (je n'ai pas mis de photo d'ensemble pour laisser aux futurs visiteurs le choc de la découverte).
Bonne semaine, Gérard.
Merci à vous tous pour ces commentaires qui me touchent très fort; ai hésité à communiquer de "vive voix", en général je préfère rester dans l'ombre quand il y a des commentaires par rapport à mes travaux, mais le texte est magnifique!
Juste une précision surtout pour les Copyrignt: l'orthographe de mon nom: ANNE LIEBHABERG.
Encore merci à vous, peut-être lors d'une prochaine expo!
Excusez-moi pour cette erreur dans votre nom, j'en suis désolée et je viens de le corriger dans le copyright et dans un commentaire.
Vous me donnez l'occasion de vous exprimer personnellement mon admiration. J'aurais pu aussi parler de "Vague" et de "Spirale", mais je veille à laisser des surprises aux visiteurs. J'ai préféré mettre l'accent sur la superbe installation des "650.000...", dont le titre m'intrigue fort ("561.000..." dans le catalogue). S'il existe en ligne quelque éclairage à ce sujet, cela m'intéresse, bien sûr.
Un lien utile sur l'œuvre d'Anne Liebhaberg : http://www.aufildelart.be/