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Cecilia dolorosa

Stabat Mater de Tiziano Scarpa (2008, traduit de l’italien par Dominique Vittoz) est un roman d’une étrange beauté, intense. « Madame Mère, au cœur de la nuit, je quitte mon lit pour venir, ici, vous écrire. » Une orpheline de l’Hospice de la Pietà à Venise, que l’angoisse tient éveillée, sait à présent lui tenir tête, elle écrit en secret sur de vieilles partitions à celle qui l’a abandonnée, dont elle ne sait rien. 

Stabat mater Vivaldi.jpg
L'enregistrement préféré de Tiziano Scarpa (Note de l'auteur) 

Devant la masse obscure des eaux noires qui tentent de la submerger, elle tient : « Je suis encore quelque part, je suis là, étrangère à cette dévastation, l’angoisse ne me possède pas tout entière, il me reste un endroit où m’abriter et dire je. » Chaque nuit, elle quitte le dortoir et monte l’escalier, s’assied sur la plus haute marche, son « endroit secret ». Paragraphes de quelques lignes, parfois d’une page, quand elle dialogue avec la tête aux cheveux de serpents noirs, sa mort, qui lui tient compagnie.

Sa mère se souvient-elle encore d’elle ? Cécilia se sent perdue, guettée par l’amertume. Elle décrit ce qu’elle vit et ce qu’elle imagine : il y a seize ans, une jeune fille honteuse de son secret, enceinte par amour ou par caprice, d’une violence peut-être ? C’est à quatre-cinq ans qu’elle a suivi une ombre jusqu’aux cabinets du rez-de-chaussée, qu’elle l’a écoutée gémir dans l’effort, qu’elle a entendu pleurer son « excrément » – avant de s’enfuir. Elle n’a jamais su qui c’était, ce qu’est devenu le nouveau-né, une des fillettes de l’hospice ? Mais alors, sa mère y est, y était peut-être aussi ?

Il y a des années, sœur Amelia, une jeune religieuse, était venue chercher leur camarade Anastasia : une dame avait à un bracelet la moitié d’une pièce de monnaie qui s’ajustait parfaitement à la moitié détenue par la religieuse, mère et fille s’étaient retrouvées, et la religieuse avait ensuite disparu, « réprimandée pour avoir permis ces retrouvailles en présence des petites pensionnaires ». Depuis, Cecilia rêve de ce tout recomposé, se demande si pour elle aussi, on a déposé un signe de reconnaissance.

Ce n’est qu’au tiers de Stabat Mater qu’apparaît la musique. Cecilia joue avec les autres instrumentistes ce qu’écrit le vieux don Giulio pour les messes et les concerts, une musique répétitive, « exténuée », « écrite pour des gens qui n’ont plus la force de rien ». Dans l’église carrée, sur les murs latéraux, deux grandes tribunes se font face, garnies d’une dentelle de métal doré à travers laquelle les musiciennes peuvent suivre les gestes des autres en face delles et le bras du vieux prêtre, mais qui ne laisse voir aux gens assis en bas que des silhouettes. Un jour, Cecilia n’en peut plus et fait crier sur son violon une méchante note – tout s’interrompt. On l’emmène, elle perd connaissance. Sœur Teresa lui parle, l’incite à manger pour être plus solide.

Dès leur jeune âge, les orphelines sont exercées à chanter et à jouer d’un instrument. Celles qui n’ont ni voix ni dispositions auront d’autres tâches. Les plus douées apprennent le solfège, « l’harmonie de l’air et de l’encre ». Cecilia est chargée de la classe des cadettes, elle les incite, pour les éveiller, à imiter sur leur violon le cri des hirondelles.

Un soir, elle ne trouve plus ses feuilles. Quelques jours plus tard, sœur Teresa l’appelle et l’emmène en cachette jusqu’à un placard dont elle sort son dossier. Dedans, peu de chose, mais assez pour nourrir de nouveaux envols imaginaires. C’est alors qu’apparaît le nouveau maître de violon, un jeune prêtre aux cheveux roux,  et cette fois « la musique de don Antonio remplit nos yeux, pénètre nos têtes, anime nos bras. » La vie de Cecilia prend un nouveau sens. Stabat Mater (prix Strega 2009) est l’hommage de Tiziano Scarpa à son compositeur favori, Antonio Vivaldi.
 

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Textes & prétextes, cinq ans

Commentaires

  • 5 : noces de bois... Planter un chêne pour continuer à donner du temps au temps !

  • 5 : noces de bois... Planter un chêne pour continuer à donner du temps au temps !

  • Est-ce que l'écriture de ce livre possède aussi un rythme vivaldien ?
    On a un peu ce sentiment. J'aime bien quand à la lecture d'un livre, une musique se déclenche dans la tête (ça me fait cet effet parfois).
    Encore un livre qui me tente à fond ! (Le thème des nonnes musiciennes me passionne totalement).

  • Oh je viens de me rendre compte que je ne me suis pas occuper de sainte Cécile ! À réparer absolument !

  • Un roman qui m'a enchanté et que j'ai conservé car je sais que je le relirai
    J'en profite pour fêter avec toi les 5 ans de ce blog où je viens toujours avec intérêt

  • @ JEA : Voilà qui me rappelle la devise de mon ancienne école "tempore silvam". Pas de chêne en terrasse, mais un gingko biloba planté en bac cet automne, dont j'attends avec curiosité les premières feuilles.

    @ Euterpe : Oui, un récit rythmé, je te le recommande. Raconte-nous sainte Cécile, bonne idée.

    @ Dominique : C'est ton billet, encore une fois, qui m'a conduite à Venise au temps de Vivaldi. Merci, Dominique.

  • bon anniversaire à votre blog Tania.J'ai fait les Classiques avec une de vos condisciples, grande fille au sourire timide et d'une éducation sans faille.

  • encore un livre qui me tente, surtout grâce à ta manière d'en parler :)
    comme l'auteur, j'aime vivaldi

  • J'ai noté ce livre vu sur plusieurs blogs, un rappel est le bienvenu. Cinq ans déjà, une belle constance ..

  • Cette "étrange beauté" est très tentante.
    Cinco años! Déjà...bravo!
    Une pièce de théâtre de Lorca qui s'appelle "Ainsi que passent cinq ans" (así que pasen cinco años).

    Un beso d'anniversaire.

  • @ Monsieur h : Voilà un joli mystère pour cet anniversaire de blog, vous m'intriguez. (Si vous souhaitez me contacter, voir en haut à droite.)

    @ Niki : Merci, Niki, j'espère que ce roman te plaira.

    @ Aifelle : Ton blog date aussi de 2008, il me semble, non ? Bonne soirée, Aifelle.

    @ Colo : Pour toi, un baiser et cet extrait : "J'aimerais posséder la même capacité pour accorder les mots et mes pensées, ce qui me passe par la tête et ce que j'écris. J'aimerais réussir à écrire avec la même correspondance parfaite qui s'établit entre une note écrite et une note jouée."

  • Désolée, monsieur h, nos repères ne correspondent pas, merci tout de même pour votre message.

  • Très bon anniversaire ! Ton blog est une pure merveille de délicatesse, de culture, "d'harmonie de l'air et de l'encre" et de mille choses à aimer... merci Tania !

  • Il y a eu récemment un reportage à la télévision sur ces jeunes chanteuses de l'Hospice de la Pieta à Venise, dont les voix avaient le mérite - si l'on peut dire - de les sauver d'une misère annoncée. Vies difficiles certainement, mais où elles étaient assurées de trouver le gîte et le couvert. Le livre, dont vous parlez, doit être très intéressant car on imagine bien que les frustrations devaient être immenses pour ces femmes aux voix d'or mais qui ne jouissaient d'aucune liberté.

  • @ MH : Cinq ans de commentaires aussi, merci à toi et à tous & toutes !

    @ Armelle B. : Chanteuses et instrumentistes, dans "Stabat mater", trouvent dans la musique une échappatoire et une forme très singulière d'existence sociale. Mais Tiziano Scarpa centre son récit avant tout sur ce que ressent Cecilia.

  • tania, je viens de réaliser que c'était l'anniversaire de ton blog, dont je me réjouis de l'avoir découvert - e partage totalement le commentaire de MH
    ton blog est un réel plaisir

  • Merci, Niki. En consultant tes archives, je vois qu'elles remontent à février 2008 - nos blogs ont le même âge alors ? A bientôt chez toi (de la peinture au menu, chouette).

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