1936. Samedi 22 Février. – « Je veux le marquer encore, en antipathie, ce mot est faible même, pour le temps dans lequel je vis. J’ai horreur de Paris, tel qu’il est devenu et devient de plus en plus : les enseignes, les réclames lumineuses, les monuments éclairés la nuit, les constructions ciment armé ou béton […] – du chauffage central, que je me suis laissé aller à faire mettre chez moi, le déshonneur de tout intérieur, l’enlaidissement sans conteste du plus joli cadre, s’aggravant souvent, paraît-il, de la disparition de cette chose charmante, gracieuse, décorative : la cheminée, – la cheminée, avec un buste, ou une jolie pendule, deux flambeaux, des fleurs, le tout réfléchi dans une glace, – de la machine à écrire, qui donne à tout écrit l’aspect vulgaire d’une sorte de circulaire, renversé que je suis que des écrivains aient pu abandonner la plume, l’encrier, cette intimité entre soi et ce qu’on écrit, – leurs productions s’en ressentent, ce qui m’enchante. »
Paul Léautaud, Journal littéraire
Intérieur de Mme D., Petite rentière : Boulevard du Port Royal. N ° Atget : 708. 1910
Commentaires
oui, la cheminée et après cela les beaux "Kachelofen", ces poeles en céramique peinte parfois sculptée qui ornaient tous les appartements berlinois. Tous les propriétaires les ont arrachés dans les années 90. Celleux qui n'ont pas eu la chance de devenir propriétaire de leur appartement ont du assister au massacre en silence et voir s'installer partout ces infâmes radiateurs.
Oui, bien sûr, plus besoin de monter du charbon et puis ce n'est pas écolo.
Mais du coup les charbonniers et leur carriole attelé aussi ont disparu...(oui il y avait encore cela dans les années 1980).
La modernité est froide, bien froide. Et la froideur n'est pas sympathique. Je suis d'accord avec Léautaud.
Merci, Euterpe, de nous raconter ces choses. Je ne connais pas du tout le style des intérieurs berlinois, mais en cherchant des photos de ces poêles, je reconnais ces "poêles allemands" vus en Russie, qu'on alimentait par le couloir, à l'arrière, c'est ça ? Tu me rappelles un souvenir d'enfance, quand on livrait le charbon par un soupirail.
si une machine à écrire le rendait aussi hérisson, il est heureux qu'il n'ai pas connu les ordinateurs, gsm et autres tablettes...
Hérisson ou porc-épic, en effet !
Un bel hommage à tout ce qui peut donner une âme à la vie. Merci !
Préserver ce qui est beau, garder l'âme des lieux, oui, mais vivre avec son temps, dirais-je. Bon dimanche, Danièle.
Je ne saurais mieux dire que votre réponse au commentaire précédent qui résume ma pensée à propos de l'extrait de Léautaud.
Nous voilà bien d'accord, bonne après-midi.