Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Libres d'aimer

Sur l’amour, le grand sujet, que de romans, que de réflexions – au premier rang desquelles L’Amour et l’Occident de Denis de Rougemont. Pascal Bruckner, après Le nouveau désordre amoureux (1977) en collaboration avec Alain Finkielkraut, y revient dans Le paradoxe amoureux (2009). C’est d’abord un état des lieux, un panorama des mœurs contemporaines ou du moins de l’amour tel qu’il l’observe aujourd’hui,  tel que les médias en parlent. 

Coupe au couple.jpg

Dès l’introduction, le bilan des euphoriques années 60-70 – « Notre liberté, ivre d’elle-même, ne connaissait pas de bornes, le monde était notre ami et nous le
lui rendions bien »
– conduit à la question fondamentale de cet essai : « Comment l’amour qui attache peut-il s’accommoder de la liberté qui sépare ? »
Loin des conventions du mariage bourgeois qui se passait des sentiments pour garantir l’ordre social, l’amour est aujourd’hui la condition sine qua non du couple, dans une exigence contradictoire. On veut « aimer passionnément, si possible être aimé de même, tout en restant autonome. » S’attacher et rester détaché, dans « la libre disposition de soi ».

 

La libération des mœurs, dans les démocraties occidentales, n’a pas pour autant mis un terme à la difficulté d’être heureux ensemble. Qu’avons-nous gagné finalement ? « Le droit d’être seul », répond l’auteur, et ce n’est pas rien quand on songe à l’opprobre que s’est longtemps attiré l’état de célibataire ; or vivre en solo, c’est le
fait aujourd’hui de 170 millions de personnes dans l’Union européenne – « Reste
qu’il s’agit d’une conquête négative, du simple fait de n’être pas dirigé ou commandé par un autre. »

 

Impossible de résumer cet essai où Bruckner inventorie les comportements de ses contemporains pour établir une sorte de bilan de la « révolution sexuelle » en distinguant les profits et pertes de cet héritage. Plutôt qu’une interrogation philosophique – libres d’aimer, comment ceux qui s’aiment conjuguent-ils leurs libertés ? –, Le paradoxe amoureux propose une approche descriptive et critique de nos façons de vivre en couple aujourd’hui, tantôt dans un survol rapide à la manière « magazine », tantôt plus en profondeur. Bruckner dit les attentes et les frustrations, débusque les contradictions.

 

Il montre, dans « Le doux mal qu’on souffre en aimant (Verlaine) », le bonheur de la vie en couple, où l’indulgence apparaît comme la « vertu de la vie à deux » : « Etre accepté tel que l’on est, avec ses faiblesses, sans être foudroyé. Suspension du verdict. » Le défi du mariage d’inclination à notre époque « hypersentimentale ». La sagesse de « l’amour doux » contre « l’amour fou ».

 

La partie consacrée au « merveilleux charnel » dénonce l’exploitation de l’intimité amoureuse comme « le plus sûr produit de la société marchande » – « un peu de réserve, par pitié ». L’obsession du corps et son commerce conduiront-ils vers « la banqueroute de l’Eros » ? Observateur du monde contemporain,  Pascal Bruckner éclaire les mille et une facettes de l’amour et de l’érotisme sans résoudre, on s’en doutait, le paradoxe annoncé. Après l’hypocrisie  classique (ce « fossé entre les mœurs et  la respectabilité »), n’y a-t-il pas une hypocrisie contemporaine dans le « hiatus entre l’idéal affiché et la réalité éprouvée » ?

 

Des formules brillantes qui cèdent souvent au plaisir d’un bon mot, des affirmations parfois abruptes (« Il est exact que les brutalités contre les femmes vont s’accroître à mesure que s’accroît leur indépendance »), de cette fresque diaprée du Paradoxe amoureux, que retenir ? Au bout du compte, Bruckner nous y apprend-il vraiment quelque chose ? Bernard Pivot l’a lu avec plus d'enthousiasme
que moi, sous un titre au goût de primeur : « Le nouveau monde est amoureux ».

Commentaires

  • Rien ne me convainc vraiment chez Bruckner, je n'ai pas le sentiment de vivre à la même époque que lui ; ni sur la même planète d'ailleurs.

  • Je l'avais vu présenter son livre à La Grande Librairie et...c'est exactement ce que tu en dis. Les questions qu'il soulève ne sont pas initéressantes, mais...

  • @ JEA : Bruckner pose cette question après avoir écrit ceci : "Les années 60-70 auront surtout accouché de cette étrangeté conceptuelle: l'amour libre. L'expression a longtemps signifié promiscuité, circulation des corps, coucheries faciles. Il faut la prendre désormais à un niveau plus élevé comme l'oxymore par excellence, le mariage improbable de l'appartenance et de l'indépendance, ce nouveau régime qui nous affecte tous quels que soient notre milieu, nos opinions, nos penchants." - Vision égocentrique de la liberté ?

    @ Aifelle : Tu as compris que je l'ai lu avec perplexité. Tantôt des jugements catégoriques, tantôt des lapalissades comme "Il y a progrès dans la condition des hommes et des femmes, il y a perfectibilité de l'individu, il n'y a pas de progrès en amour. Il restera toujours de l'ordre de la surprise. C'est la bonne nouvelle de ce siècle commençant." Et de conclure: "Arrivés au soir de notre vie, le soupçon nous vient que nous avons parfois mal agi. (...) Nous aimons autant que les hommes peuvent aimer, c'est-à-dire imparfaitement."

    @ Colo : Sans doute sa volonté de tout décrire a-t-elle conduit à cet éparpillement. Un essai sans colonne vertébrale, dirais-je.

  • Aimez-vous les uns les autres comme je vous aime à dit Celui que les chrétiens appellent Dieu … l’amour physique c’est autre chose … Pour l’agnostique que je suis, l’amour est un sentiment créé par l’homme dès qu’il s’est mis à penser, à intellectualiser ses sentiments … à les sublimer parce que l’homme à le besoin de se surpasser et aimer c’est s’élever … vers un autre qu’on « adore » qui envahit entièrement … alors est-t-on « libre d’aimer » ? « Comment l’amour qui attache peut-il s’accommoder de la liberté qui sépare ? » L’amour est un don « de soi-même » sans calcul, ni retour comme Jésus de Nazareth …Tout le reste sont des « faux-fuyants »

  • @ Tania

    Soyez remerciée pour développer là où comme un gamin, je n'ai jeté qu'un petit caillou dans la mare.
    Mais pour avoir été acteur (sans scène et sans manuscrit préalable) de mai 68 (ma première année d'enseignement), je reste consterné par les échos lugubres réservés aux plages libérées sous les pavés.
    En ces temps qui font toujours fantasmer, certes l'amour n'était pas remisé dans les caves des mouvements. Mais amour libre fut aussi synonyme de liberté de contraception, d'accouchements en douceur, de droit aux interruptions volontaires de grossesse, de séparations moins haineuses et violentes, d'enfants désirés et donc aimés pour eux-mêmes... Ces libertés-là, ne dressèrent pas automatiquement d'autres murs contre le mariage, contre la parenté responsable, contre un enseignement (mais rénové)...
    In fine, dans "amour libre", il y a "amour" et "liberté", pas seulement des épouvantails.

  • Relire le Cantique des Cantiques ou St Paul " Si je n'ai pas l'amour" est la plus belle manière de comprendre pourquoi l'amour donne 'sens' et pour quelle raison nous devons le placer au 'coeur' de notre vie pour que cette vie s'anime et s'éclaire. Sans l'amour, nous ne sommes rien, hors l'amour nous sommes mutilés, privés d'amour nous mourons. Et puis l'amour est toujours libre puisqu'il est un libre...don. En définitive, l'amour ne se dit pas, il se vit.

  • @ Doulidelle : tu as raison de le rappeler, l'amour ne se raisonne pas, il se donne.

    @ JEA : le caillou a ricoché... et tant mieux, beau rappel des libertés gagnées.

    @ Armelle B : qui a dit "Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour" ? Merci pour le sens ajouté.

  • Ceux qui parlent le mieux de l'amour sont ceux qui le vivent, non? Alors, comment dresser un inventaire détaillé de ce qui est unique et universel à la fois? Pour suivre Armelle B, j'ajouterais que les mystiques tel St Jean de la Croix sont de merveilleux chantres de l'amour, mais le premier modèle n'est-il pas le Cantique des cantiques? Très belle critique très critique. Bravo Tania.

  • @ Delphine : "Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour"
    (Molière, "Le Misanthrope", I, 1) Merci, Delphine.

  • Je n'ai pas lu ce livre là de Bruckner mais dans un texte précédent je n'avais pas aimé un côté un peu "donneur de leçon" j'ai l'impression qu'on retrouve ici un peu ce travers non ?

  • @ Dominique : il n'est pas facile d'exprimer exactement pourquoi un livre reste ainsi à distance de nous - question de ton, de style, d'attitude ? Un manque de consistance, surtout.

Écrire un commentaire

Optionnel