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première partie

  • Engloutissement

    leïla slimani,le pays des autres,première partie,roman,littérature française,mariage,maroc,famille,culture,guerre« Quoi qu’elle fît et malgré la gratitude immense de ses enfants et de ses malades, il lui semblait que sa vie n’était rien d’autre qu’une entreprise d’engloutissement. Tout ce qu’elle accomplissait était voué à disparaître, à s’effacer. C’était le lot de sa vie domestique et minuscule, où la répétition des mêmes gestes finissait par vous ronger les nerfs. Elle regardait par la fenêtre les plantations d’amandiers, les arpents de vigne, les jeunes arbustes qui arrivaient à maturité et qui, dans un an ou deux, porteraient des fruits. Elle était jalouse d’Amine, jalouse de ce domaine qu’il avait construit pierre à pierre et qui, en cette année 1955, lui donna ses premières satisfactions. »

    Leïla Slimani, Le pays des autres

  • Mathilde & Amine

    Le pays des autres est le troisième roman de Leïla Slimani – le précédent, Chanson douce, avait obtenu le prix Goncourt en 2016. L’histoire de Mathilde & Amine, une jeune Alsacienne et un soldat marocain qui se sont rencontrés en France en 1944, est celle d’une échappée à un destin ordinaire et d’une vie conjugale au Maroc, avec d’autres contraintes qu’en France, un choix amoureux à assumer. C’est le premier tome d’une trilogie, avec ce sous-titre : « La guerre, la guerre, la guerre ».

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    La ferme où ils vont vivre, à une vingtaine de kilomètres de Meknès, se trouve sur les terres rocailleuses du père d’Amine, Kadour Belhaj, des hectares achetés en 1935 par ce traducteur dans l’armée coloniale mort quatre ans plus tard. Amine, fils aîné « et désormais chef de famille », les avait louées à un Français originaire d’Algérie avant de monter au front avec le régiment des spahis. Quand elle découvre la colline « aux flancs râpés » où survivent quelques oliviers, la petite bâtisse au toit de tôle, « Mathilde, malgré la douceur de l’air, se sentit glacée. »

    Mais malgré qu’elle ait retrouvé son mari, « plus beau que jamais », venu l’accueillir à Rabat, « petite ville, blanche et solaire », depuis la jouissance des deux jours passés dans leur chambre d’hôtel, il y a déjà eu quelques déceptions. En attendant la fin de la location des terres, il leur a fallu s’installer chez la mère d’Amine. Mathilde a entendu pour la première fois une réponse que son mari répétera souvent : « Ici, c’est comme ça. »

    Avant cela, Meknès lui a paru « noire et hostile » tandis qu’Amine la laissait seule à l’hôtel pendant qu’il se rendait chez sa mère dans le quartier de Berrima. Mouilala accueillera sa belle-fille avec le sourire ; Selma, la petite sœur, traduit les mots de bienvenue ; Omar, le frère adolescent, garde les yeux baissés. « Mathilde dut s’habituer à cette vie les uns sur les autres, à cette maison où les matelas étaient infestés de punaises et de vermine, où l’on ne pouvait se protéger des bruits du corps et des ronflements. »

    Dans ses lettres à sa grande sœur Irène, « autoritaire et rigide », Mathilde raconte sa vie comme un roman d’aventures, décrit tout avec enthousiasme. En ville pourtant, « sa haute taille, sa blancheur, son statut d’étrangère la maintenaient à l’écart du cœur des choses ». Sa belle-mère est fière de sa bru instruite qui passe son temps à lire et à écrire. Une fois sa présence acceptée dans la cuisine, celle-ci y apprend l’arabe. Selma lui sert d’interprète et elle l’incite à étudier pour gagner « son indépendance et sa liberté ».

    Installée à la ferme au printemps 1949, Mathilde continue à cacher la vérité à sa sœur, trop tôt veuve d’un Allemand épousé avant la guerre. Elle parle peu d’Amine qui n’est « plus le même », courtois en public mais silencieux et colérique autant qu’elle à la maison, obsédé par le travail à la ferme. Il avait vingt-huit ans quand elle l’a épousé, elle, vingt. Ses responsabilités le contraignent à « une certaine gravité », il la trouve « capricieuse et frivole », pleurant à la moindre contrariété. Elle rêvait d’une autre vie, de divertissement, de réceptions. Lui qui, pendant la guerre, pensait déjà à « féconder cette terre », va de déconvenue en déconvenue les premières années. Deux enfants naissent, Aïcha puis Selim.

    Dès 1950, « la fièvre nationaliste » attise la haine des Marocains contre les colons français. Amine se tient à l’écart, au contraire de son jeune frère Omar. Quand Mathilde va en ville, quand elle amène Aïcha à l’école, elle soutient les regards méprisants à son égard – leur couple, « la géante et l’officier trapu », dérange. Elle n’a pas de quoi acheter de beaux vêtements, elle se débrouille avec peu, maudit la vieille voiture capricieuse qui provoque des retards à l’école, gagne la sympathie de ceux qui ont besoin de petits soins médicaux.

    Aïcha est hypersensible comme sa mère. Heureusement, sœur Marie-Solange la prend sous son aile : la petite a l’âme mystique et est intelligente, elle la défend. Mathilde l’encourage, comme elle insiste sur les études de Selma. Celle-ci devient une adolescente belle et rebelle qui ne pense plus qu’à séduire, surtout quand son frère Omar, pris par la rébellion, n’est plus tout le temps occupé à la surveiller.

    Le titre, Le pays des autres, annonce bien les thèmes du roman : les modes de vie différents en France et au Maroc, les tensions entre colons et autochtones qui mèneront à l’indépendance du pays en 1956, les rôles impartis aux hommes et aux femmes, les différences sociales… Leïla Slimani privilégie le point de vue de Mathilde sans pour autant minimiser celui d’Amine. Dans un entretien, elle reconnaît s’être inspirée de ses grands-parents et avoir « envie de raconter le destin d’une famille marocaine sur trois à quatre générations, soit les soixante ans qui voient le Maroc s’installer dans la modernité, en suivant les personnages d’Aïcha, Selma et leurs enfants. »