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hasard

  • Clair de lune

    Auster Blakelock Moonlight.jpg« Je me demandai si Blakelock n’avait pas peint son ciel en vert pour mettre l’accent sur cette harmonie, pour démontrer la connexion entre les cieux et la terre. Si les hommes peuvent vivre confortablement dans leur environnement, aurait-il suggéré, s’ils peuvent apprendre à sentir qu’ils font partie de ce qui les entoure, la vie sur terre peut alors s’empreindre d’un sentiment de sainteté. J’étais réduit aux conjectures, bien sûr, mais j’avais l’impression que Blakelock peignant une idylle américaine, le monde habité par les Indiens avant que les Blancs n’arrivent pour le détruire. »

    Paul Auster, Moon Palace

    Ralph Albert Blakelock (1847–1919),  Moonlight (Clair de lune), vers 1885–1889.
    Huile sur toile, 68.7 x 81.3 cm, New York, Musée de Brooklyn

  • Auster, Moon Palace

    Moon Palace de Paul Auster ou de lune en lune avec son héros, Marco Stanley Fogg. L’incipit que j’ai mis en ligne le lendemain du décès de l’écrivain américain est un résumé parfait de ce roman à la première personne. L’intrigue commence quatre ans avant le premier pas sur la lune (Apollo 11). Le narrateur, dix-huit ans, arrive à New York en 1965 pour étudier à Columbia. Avant, il vivait chez son oncle Victor, clarinettiste pour les Howie Dunn’s Moonlight Moods (Ambiances lunaires de Howie Dunn) puis les Moon Men. Les livres que lui a légués Victor avant de partir en tournée « meubleront » son appartement sur la 112e rue.

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    Couverture originale

    La mort de Victor Fogg au printemps 1967 est un « choc terrible » pour son neveu qui n’a jamais su qui était son père. Sa mère, Emily Fogg, a été renversée par un autobus quand il avait onze ans. Il ne reste que lui, M. S. Fogg (le nom de son grand-père, Fogelman, avait été réduit à son arrivée à Ellis Island). Après avoir vu Le Tour du Monde en quatre-vingts jours au cinéma, Victor s’amusait à l’appeler Philéas. Il se souvient de leur vie ensemble à Chicago. Quand Fogg a loué un studio new-yorkais d’où il voit un petit bout de Broadway, en réalité juste « une enseigne au néon, une torche éclatante de lettres roses et bleues qui formaient les mots MOON PALACE » (un restaurant), il s’est senti « au bon endroit ».

    Assez vite, après les funérailles, la situation financière de Fogg se dégrade. Il a promis de terminer ses études, il aurait droit à une bourse ou un prêt, mais dévoré par le chagrin, par l’inertie, par une sorte de nihilisme, il décide de vivre au jour le jour jusqu’à « l’éclipse totale ». Il lit l’un après l’autre les livres de son oncle, sans ordre, avant de les vendre dans une librairie d’occasion. Au printemps 1968, Columbia devient un champ de bataille contre la guerre au Vietnam. Lui se voit couper le téléphone, puis l’électricité, et commence à souffrir de la faim, maigrit, jusqu’à en avoir des hallucinations.

    A l’été 1969, il se décide à aller trouver Zimmer, son ancien compagnon de chambre, chez qui il a glissé des tas de billets sous la porte, restés sans réponse. Celui-ci est parti. L’inconnu qui lui ouvre devine qu’il est le signataire des billets et l’invite à se joindre à un repas d’étudiants : c’est là qu’il fait connaissance avec Kitty Wu, une petite danseuse chinoise qui porte le même t-shirt des Mets que lui. Affamé, Fogg dévore tout ce qu’on lui présente puis se lance dans une conférence « comico-pédante » sur la lune et Cyrano. Quand il s’en va, Kitty l’embrasse.

    Fin août, Fogg est à la rue et découvre la vie de clochard : nuits sous un buisson à Central Park, cinéma pour la climatisation, errance, repas de bonne fortune ou de restes dans les poubelles. Après une nuit de pluie, il tombe malade, délire : « J’avais sauté du haut d’une falaise, et puis, juste au moment où j’allais m’écraser en bas, il s’est passé un événement extraordinaire : j’ai appris que des gens m’aimaient. » Kitty, inquiète de son état et de ne pas l’avoir trouvé chez lui, a fini par retrouver Zimmer. Ils sauvent Fogg juste à temps.

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    Couverture 1990

    Moon Palace (traduit de l'américain par Christine Le Boeuf) est un roman d’apprentissage et de renaissance. Son piteux état vaut au jeune homme d’être recalé lors de la convocation pour le service militaire. Grâce à Zimmer qui l’héberge, Fogg reprend des forces et comprend que c’est à lui d’agir s’il veut revoir Kitty, s’il veut gagner de quoi vivre. Il répond à l’annonce d’un homme de 86 ans en fauteuil roulant, Thomas Effing, aveugle, qui a besoin de quelqu’un pour lui faire la lecture à voix haute et l’emmener en promenade. « Logé et nourri ».

    S’il a l’air d’un « oiseau brisé », le vieil homme a une voix énergique, un caractère exigeant et imprévisible. Il veut que Fogg lui fasse voir tout ce qu’il ne voit pas. Fogg apprend la véritable « attention » qui permet d’exprimer « à quoi ressemblent les nuages », les choses, les gens. Quand Effing découvre que le jeune homme ne sait rien de Ralph Blakelock, le peintre de Moonlight, il l’envoie au musée de Brooklyn pour l’observer en détail et en silence.

    Le vieil homme se montre souvent insupportable. Heureusement, Fogg peut passer ses soirées avec Kitty. Puis Thomas Effing décide de préparer sa notice nécrologique, Fogg doit prendre note de son histoire, longue et étonnante : il a été peintre, il a voyagé dans l’Ouest américain, il a souffert, il a changé de nom, il est devenu riche. A Fogg, il dira, avant de mourir : « Tu es un rêveur, mon petit. Ton esprit est dans la lune. » Fogg va faire grâce à lui une autre rencontre, capitale, et découvrir une troisième vie d’homme marquée par la solitude.

    Sur ma première fiche de lecture, il y a tant d’années, j’avais noté ceci : « Emouvante, drôle et grave, l’histoire de M.S. Fogg, placée sous l’épigraphe de Jules Verne, tirée de De la terre à la lune : « Rien ne saurait étonner un Américain. » J’ai relu Moon Palace dans le même éblouissement que lors de sa découverte, j’y ai vu des ferments d’autres romans qu’il a écrits ensuite, j’y ai entendu sa voix, unique. Paul Auster rayonnait de beauté et d’intelligence, ses textes irradient de sensibilité et d’empathie.

    Vidéo : Bernard Pivot reçoit Paul Auster pour "Moon Palace" (11.05.1990)

    Elle disait vrai, la quatrième de couverture enthousiaste signée Hubert Nyssen et Bertrand Py, pour qui les aventures de M. S. Fogg « ont tout d’un voyage initiatique dans les avatars de la solitude. Outrepassant le destin du héros de Paul Auster, elles pourraient bien s’imposer comme une représentation de la quête d’identité et de l’incomplétude universelles. Ainsi, non content de relever l’éternel défi de l’espace et du « grand roman » américains, Paul Auster s’installe avec allégresse dans notre territoire secret malgré les milliers de kilomètres qui nous séparent en apparence de son héros. Un événement littéraire, foi d’éditeurs. »

  • Chiffres

    « Papa pense les choses autrement, le monde tient par des chiffres : ils sont au cœur même de la création et on peut lire dans les dates une vérité profonde, y voir de la beauté. Ce que moi j’appelle hasard ou occasion, selon le cas, est pour papa un élément d’un système complexe. Trop de coïncidences, ça n’existe pas, une à la rigueur, mais pas trois ; pas de coïncidences en série, dit-il : l’anniversaire de maman, la date de naissance de sa petite-fille et le jour de la mort de maman, tout ça le même jour du calendrier, le sept août. Pour ma part, je ne comprends pas les calculs de papa ; d’après mon expérience, c’est justement quand on se met à escompter quelque chose de précis, que tout autre chose arrive. » 

    Audur Ava Olafsdóttir, Rosa candida

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