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Incipit

  • Toute bonne histoire

    incipit,récit,littérature espagnole,cuba,zoé valdésMusée Thyssen-Bornemisza, mars 2019

    Toute bonne histoire se raconte presque toujours à travers une fenêtre et les yeux clos. Que l’on remplace la fenêtre par un tableau, et le voyage – forcément imaginaire – devient alors, probablement, une aventure onirique, un rêve écrit.
    Une œuvre d’art nous conduit à une autre, tout comme une vie pourrait nous guider vers d’autres vies, d’autres existences pleines d’amour et de désir, de beauté et de liberté. La nuit pourrait être la voie permanente qui nous pousse à cette pérégrination illusoire et statique. Elle l’est la plupart du temps. D’un rêve l’autre, de qui rêve à ceux qui rêvent, de moi vers d’autres.

    Zoé Valdés

    Photo Opale/Flammarion/Witi De Tera

  • A leur arrivée

    incipit,roman,littérature anglaise,états-unis,isaac bashevis singerA leur arrivée, ils disaient tous la même chose : l’Amérique, ce n’est pas pour moi. Mais peu à peu, ils finissaient par trouver leur place et ce n’était pas pire qu’à Varsovie.
    Moshe – désormais « Morris » – Calisher avait choisi de se tourner vers l’immobilier et comprit très vite qu’il n’était plus nécessaire d’être expert en la matière, pas plus qu’en Pologne. Vous achetiez une maison, la mettiez en location et encaissiez les loyers – qui vous servaient à vivre et à rembourser votre emprunt. Il restait même de quoi payer cash une deuxième maison. Il suffisait de commencer et Morris Calisher avait fait sa première acquisition en 1935. Depuis, la chance ne le quittait plus.

    Isaac Bashevis Singer

  • Un samedi de juin

    incipit,roman,littérature anglaise,etats-unis,elizabeth stroutUn samedi de juin, en début d’après-midi, Jack Kennison mit ses lunettes de soleil, prit place dans sa voiture de sport après avoir baissé la capote, passa la ceinture de sécurité sur son épaule et son ventre proéminent, puis mit le cap sur Portland – à près d’une heure de route – pour acheter un gallon de whisky sans risquer de tomber sur Olive Kitteridge à la supérette de Crosby, dans le Maine. Ou sur cette autre femme qu’il avait croisée à deux reprises dans le magasin, lui, sa bouteille de whisky à la main, elle, monologuant sur la météo. La météo ! Cette femme – son nom lui échappait – était veuve, elle aussi.

    Elizabeth Strout

    Photographie par Leonardo Cendamo / Getty (The New Yorker)

  • Trois mois après

    incipit,roman,santiago h. amigorena,littérature françaiseTrois mois après notre installation à Montevideo, nous sommes retournés à Buenos Aires pour quelques jours. El abuelo Zeide, mon arrière-grand-père maternel, avait appelé lui-même ma mère pour la prévenir qu’il allait mourir. Juif du bout des doigts, cet animal robuste qui naquit dans un shtetl près de Kiev l’année où Lewis Carroll publiait Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, cet adolescent fougueux qui aima à la folie une jeune fille de Tresorukovo qu’il fut forcé d’abandonner gelée sur la steppe infinie, cette loutre lymphathique qui traversa le Dniepr à la nage en plein hiver pour fuir en Amérique du Sud – cette loutre qui à la fin de sa vie était aussi silencieuse que la loutre graphomane qui vous entretient ici, à présent, à grands coups de queue imprégnée d’encre –, avait passé les dernières années de sa trépidante vie paresseusement installé dans la salle sombre d’un cinéma de l’Once une bouteille d’alcool pur à portée de la main.

    Santiago H. Amigorena

    Portrait de Santiago Amigorena - Janvier 2022, par Marionquantin Amigorena (Wikimedia)

  • Paysages de Jaccottet

    Paysages avec figures absentes de Philippe Jaccottet (1925-2021) – un titre choisi au hasard pour l’aborder – a paru sous le titre Paysages de Grignan en 1964, en guise d’introduction aux gravures de Gérard de Palézieux (1919-2012) à la bibliothèque des Arts de Lausanne, signale une note de Poésie/Gallimard. En voici l’incipit.

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    Je n’ai presque jamais cessé, depuis des années, de revenir à ces paysages qui sont aussi mon séjour. Je crains que l’on ne finisse par me reprocher, si ce n’est déjà fait, d’y chercher un asile contre le monde et contre la douleur, et que les hommes, et leurs peines (plus visibles et plus tenaces que leurs joies) ne comptent pas assez à mes yeux. Il me semble toutefois qu’à bien lire ces textes, on y trouverait cette objection presque toute réfutée. Car ils ne parlent jamais que du réel (même si ce n’est qu’un fragment), de ce que tout homme aussi bien peut saisir (jusque dans les villes, au détour d’une rue, au-dessus d’un toit). Peut-être n’est-ce pas moins utile à celui-ci (en mettant les choses au pis) que de lui montrer sa misère ; et sans doute cela vaut-il mieux que de le persuader que sa misère est sans issue, ou de l’en détourner pour ne faire miroiter à ses yeux que de l’irréel (deux tentations contraires, également dangereuses, entre lesquelles oscillent les journaux et beaucoup de livres actuels). Des cadeaux nous sont encore faits quelquefois, surtout quand nous ne l’avons pas demandé, et de certains d’entre eux, je m’attache à comprendre le lien qui les lie à notre vie profonde, le sens qu’ils ont par rapport à nos rêves les plus constants. Comme si, pour parler bref, le sol était un pain, le ciel un vin, s’offrant à la fois et se dérobant au cœur : je ne saurais expliquer autrement ni ce qu’ont poursuivi tant de peintres (et ce qu’ils continuent quelquefois à poursuivre), ni le pouvoir que le monde exerce encore sur eux et, à travers leurs œuvres, sur nous. Le monde ne peut devenir absolument étranger qu’aux morts (et ce n’est même pas une certitude.)

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    Pour une première rencontre avec un poète, quel bel accueil ! Lecture à poursuivre.