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psychologie - Page 4

  • Du sexe des émotions

    « L’homme et la femme se prennent, se déprennent, s’entreprennent, se reprennent et de surprennent, mais se comprennent-ils ? » C’est la question soulevée par Alain Braconnier dans Le Sexe des émotions (1996-2000). Ce psychiatre et professeur d’université plaide pour une meilleure lecture de nos émotions réciproques afin de mieux nous comprendre. Plutôt qu’aux capacités intellectuelles des hommes et des femmes, il s’intéresse ici à leurs échanges affectifs.

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    http://www.chinatoday.com.cn/ctfrench/se/2010-10/26/content_306375.htm

    Trop d’inégalités persistent entre les femmes et les hommes, au travail ou à la maison. Leurs goûts diffèrent souvent dans les loisirs, par exemple pour le choix d’un programme télévisé. Mais que ressentent-ils en commun ? Selon Braconnier, les émotions positives sont mieux partagées entre homme et femme que les émotions négatives, en particulier l’angoisse. Trop de malentendus et de conflits viennent d’une méconnaissance de l’autre. « Les hommes acceptent difficilement de montrer leurs faiblesses ». Les femmes se sentent maltraitées quand elles ne peuvent partager ce qu’elles éprouvent avec eux.

    Des « histoires brèves » illustrent ces constats, inspirées à l'auteur par sa pratique de thérapeute. Quand ils lui racontent une séparation ou un divorce, un homme et une femme le font différemment, explique-t-il. Au féminin, c’est souvent une tragédie, qui culmine dans une crise ; au masculin, elle survient comme un drame, dans un « coup de tonnerre » soudain. Quand une femme rompt, sa décision longuement mûrie est irrévocable ; un homme peut partir sur un coup de tête, et revenir après.

     

    Femmes et hommes ne parleraient-ils pas la même langue ? Elles privilégient le rapport humain, à égalité entre interlocuteurs ; ils privilégient un statut, une position sociale. Par ailleurs, « les hommes supportent mal les problèmes en attente, ils cherchent et proposent rapidement des solutions à tout. » Les femmes affrontent les difficultés autrement, elles en parlent d’abord pour être comprises. Mais nous avons tous et toutes le pouvoir de « modifier notre comportement sous l’influence de nos émotions », d’agir sur elles, de les exprimer davantage ou de réprimer leurs manifestations dévastatrices. (Comment ? Ce sera peut-être le sujet d'un autre livre.)

     

    Filles et garçons éprouvent les mêmes émotions primaires : joie, colère, peur, tristesse, dégoût, surprise. L’observation des bébés permet de savoir vers quel mois telle ou telle expression émotionnelle apparaît. A trois ans, l’enfant possède « tout l’éventail des émotions humaines ». Filles et garçons crient et pleurent autant les uns que les autres dans leur première année. Les garçons, d’humeur changeante, sont plus difficiles à consoler ; les filles se montrent plus communicatives et réceptives. On échappe rarement aux stéréotypes culturels : devant la photo d’un bébé de neuf mois qui pleure, si l’on pose la question de savoir pourquoi ce garçon pleure, ce sera de colère, cette fille… de chagrin.

     

    Le contexte familial est essentiel. Les parents réagissent différemment avec un garçon ou une fille, leur parlent en d’autres termes : « sois gentille » – « défends-toi ». Leurs jeux ne sont pas pareils, ni même les histoires qu’on leur raconte. Les filles sont encouragées à la compréhension, les garçons à la compétition. Alain Braconnier les suit à chaque étape – enfance, adolescence, âge adulte – et observe la manière dont se constitue « l’identité de genre ».

     

    S’il préconise l’école mixte pour apprendre à mieux se connaître et se comprendre, il constate pourtant qu’au bout d’un apprentissage scolaire commun, les projets des unes et des autres se conforment aux stéréotypes : les filles veulent généralement informer, communiquer, aider, soigner, s’occuper des autres ; les garçons fabriquer, réaliser, rechercher, inventer, étudier.

     

    Les femmes se montrent généralement plus émotives et plus expressives, les hommes plus agressifs et impulsifs. En public, elles font preuve de plus de retenue qu’eux. Braconnier explique ces différences par des facteurs culturels, psychologiques et sociaux. Il interroge aussi la biologie : l’étude du cerveau montrerait une répartition différente entre les hémisphères droit et gauche selon le sexe lors de l’expression des émotions. L’anxiété, la dépression, touchent davantage les femmes ; les obsessions, les hommes.

     

    L’auteur remonte l’histoire des femmes et des hommes, retrace l’évolution du discours psychanalytique, reprend les tendances indiquées par les études statistiques. S’il décrit bien les différences de comportement, l’essai n’éclaire pas forcément la problématique des émotions, si difficiles à partager parfois. A lire donc avec recul et humour, comme Braconnier nous y invite, cette « réalité toujours mouvante » d’être homme ou d’être femme, et de l’être ensemble.

     

    Le Sexe des émotions n’apprend pas grand-chose à qui vit en couple, mais permet de vérifier des impressions personnelles. Oui, les stratégies diffèrent souvent entre les femmes et les hommes. Oui, chacun, chacune, comme le rappelle l’auteur, a droit à la fragilité. Faire preuve d’empathie est essentiel, de bienveillance – des deux côtés. L’essai d’Alain Braconnier appelle à un nouvel art du dialogue entre les sexes qui rende la vie plus excitante et moins conflictuelle. Pour contrer les méfaits des préjugés, il revendique pour chaque être humain la liberté d’exprimer toutes ses émotions.

  • Un exemple

    « Que le lecteur me permette ici un exemple éclairant : dans les années 1930, une petite ville des rives du Danube fut le théâtre d’un événement que les journaux de l’époque ne manquèrent pas de relater. Un jeune aspirant au suicide s’était jeté dans le fleuve du haut d’un pont, les cris des témoins firent accourir un gendarme, lequel, au lieu de se précipiter à l’eau, saisit son fusil, mit en joue le jeune homme et hurla : « Sors immédiatement ou je tire ! » L’homme obéit et sortit de l’eau. »

     

    Giorgio Nardone, Chevaucher son tigre ou comment résoudre des problèmes compliqués avec des solutions simples

     

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  • Stratagèmes

    Si vis pacem para bellum. Si tu veux la paix, prépare la guerre. La stratégie fait
    partie de notre vie, dès qu’il s’agit d’atteindre un but ou de résoudre un conflit, d’argumenter. Chevaucher son tigre ou comment résoudre des problèmes compliqués avec des solutions simples est un bref essai du professeur italien Giorgio Nardone, psychothérapeute et psychologue – une bonne centaine de pages où il recourt souvent à l’image pour décrire l’art de la persuasion et guider le lecteur vers des tactiques paradoxales mais efficaces.

     

    Nardone résume la tradition en trois temps. D’abord « l’art de la Métis », du nom de la déesse grecque de l’astuce, de l’audace et de l’habileté. Ensuite « l’art de la guerre », où il s’agit de vaincre avec le minimum d’effort. L’auteur illustre son propos de nombreuses anecdotes empruntées à la Grèce antique ou à la Chine – « L’art du stratagème fut pendant des siècles le pivot de la culture chinoise. » « Savoir combattre rend à tel point sûr de soi et capable de gérer le rapport avec l’adversaire que l’on réussit la plupart du temps à atteindre son but sans en arriver à l’affrontement physique ou armé. Pour le sage, combattre n’est jamais une bonne chose, on ne le fait que lorsqu’il ne reste aucune autre solution. » Enfin « l’art de la persuasion » qui cherche à induire le changement. Quoique
    souvent condamné ou perçu comme une dangereuse manipulation, utilisé à bon escient, selon Nardone, il permet de mieux affronter les difficultés de la vie.

     

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    L’apport le plus original de l’essai réside dans sa seconde partie, consacrée aux stratagèmes essentiels. A chacun correspond une formule imagée, de « Sillonner la mer à l’insu du ciel » à « Vaincre sans combattre ». On comprend vite que pour Nardone, l’affrontement direct est souvent voué à l’échec. Qui de nous n’a jamais éprouvé l’inanité d’une attitude frontale, armée de logique ou de franchise, qui s’avère désastreuse dans ses effets ? Le sage-guerrier-persuasif cultive l’approche indirecte, tourne autour du problème pour le résoudre. « Les suggestions indirectes fonctionnent mieux que les suggestions directes. » (Milton Erickson)

     

    « Mentir en disant la vérité », « Partir plus tard pour arriver plus tôt », les formules de Nardone jouent sur le paradoxe. « Troubler l’eau pour faire remonter le poisson » raconte comment un mari sorteur indifférent aux récriminations de son épouse est plongé dans le doute une fois qu’elle se met à commenter ses départs ou ses retours d’un « Amuse-toi bien, mon chéri ! » ou d’un « Si tôt ? Tu ne t’es pas amusé ? »

     

    « Circulaire et linéaire, linéaire et circulaire » rappelle qu’avec peu, on peut obtenir beaucoup. On peut déplacer de gros blocs de pierre en les faisant rouler sur des troncs, un simple coin peut bloquer un roulement. Nardone cite Gorgias : « Il faut désarmer le sérieux de l’adversaire par le rire, et le rire par le sérieux. » Il s’agit donc de créer une dynamique relationnelle.

     

    L’eau donne bien l’exemple de la force issue du « Changer constamment tout en restant le même ». Lao-Tseu : « L’eau vient à bout de tout parce qu’elle s’adapte à tout. » « La capacité à changer, en s’adaptant soi-même à ce que les circonstances exigent, est l’essence de l’art du stratagème. » Nardone rappelle que les sophistes s’exerçaient à changer de point de vue, clé du processus de persuasion, mais aussi de la « capacité d’inventer des solutions nouvelles et créatives ». Les arts martiaux apprennent à capturer et transformer l’énergie de l’adversaire en énergie de défense. « Changer de tactique et de manœuvre jusqu’à trouver celle qui fonctionne, sans se troubler mais en passant avec fluidité de l’une à l’autre » est ici le principe fondamental.

     

    « Chacun de nous va se coucher chaque nuit auprès d’un tigre. On ne peut savoir si ce dernier, au réveil, voudra nous lécher ou nous dévorer », dit un proverbe chinois. Nardone, dans cet essai, cherche à nous faire prendre conscience de nos propres capacités, à développer notre habileté à interagir avec les autres, mais aussi avec « la pire et la plus dangereuse des compagnies : soi-même. »