Si vis pacem para bellum. Si tu veux la paix, prépare la guerre. La stratégie fait
partie de notre vie, dès qu’il s’agit d’atteindre un but ou de résoudre un conflit, d’argumenter. Chevaucher son tigre ou comment résoudre des problèmes compliqués avec des solutions simples est un bref essai du professeur italien Giorgio Nardone, psychothérapeute et psychologue – une bonne centaine de pages où il recourt souvent à l’image pour décrire l’art de la persuasion et guider le lecteur vers des tactiques paradoxales mais efficaces.
Nardone résume la tradition en trois temps. D’abord « l’art de la Métis », du nom de la déesse grecque de l’astuce, de l’audace et de l’habileté. Ensuite « l’art de la guerre », où il s’agit de vaincre avec le minimum d’effort. L’auteur illustre son propos de nombreuses anecdotes empruntées à la Grèce antique ou à la Chine – « L’art du stratagème fut pendant des siècles le pivot de la culture chinoise. » « Savoir combattre rend à tel point sûr de soi et capable de gérer le rapport avec l’adversaire que l’on réussit la plupart du temps à atteindre son but sans en arriver à l’affrontement physique ou armé. Pour le sage, combattre n’est jamais une bonne chose, on ne le fait que lorsqu’il ne reste aucune autre solution. » Enfin « l’art de la persuasion » qui cherche à induire le changement. Quoique
souvent condamné ou perçu comme une dangereuse manipulation, utilisé à bon escient, selon Nardone, il permet de mieux affronter les difficultés de la vie.
L’apport le plus original de l’essai réside dans sa seconde partie, consacrée aux stratagèmes essentiels. A chacun correspond une formule imagée, de « Sillonner la mer à l’insu du ciel » à « Vaincre sans combattre ». On comprend vite que pour Nardone, l’affrontement direct est souvent voué à l’échec. Qui de nous n’a jamais éprouvé l’inanité d’une attitude frontale, armée de logique ou de franchise, qui s’avère désastreuse dans ses effets ? Le sage-guerrier-persuasif cultive l’approche indirecte, tourne autour du problème pour le résoudre. « Les suggestions indirectes fonctionnent mieux que les suggestions directes. » (Milton Erickson)
« Mentir en disant la vérité », « Partir plus tard pour arriver plus tôt », les formules de Nardone jouent sur le paradoxe. « Troubler l’eau pour faire remonter le poisson » raconte comment un mari sorteur indifférent aux récriminations de son épouse est plongé dans le doute une fois qu’elle se met à commenter ses départs ou ses retours d’un « Amuse-toi bien, mon chéri ! » ou d’un « Si tôt ? Tu ne t’es pas amusé ? »
« Circulaire et linéaire, linéaire et circulaire » rappelle qu’avec peu, on peut obtenir beaucoup. On peut déplacer de gros blocs de pierre en les faisant rouler sur des troncs, un simple coin peut bloquer un roulement. Nardone cite Gorgias : « Il faut désarmer le sérieux de l’adversaire par le rire, et le rire par le sérieux. » Il s’agit donc de créer une dynamique relationnelle.
L’eau donne bien l’exemple de la force issue du « Changer constamment tout en restant le même ». Lao-Tseu : « L’eau vient à bout de tout parce qu’elle s’adapte à tout. » « La capacité à changer, en s’adaptant soi-même à ce que les circonstances exigent, est l’essence de l’art du stratagème. » Nardone rappelle que les sophistes s’exerçaient à changer de point de vue, clé du processus de persuasion, mais aussi de la « capacité d’inventer des solutions nouvelles et créatives ». Les arts martiaux apprennent à capturer et transformer l’énergie de l’adversaire en énergie de défense. « Changer de tactique et de manœuvre jusqu’à trouver celle qui fonctionne, sans se troubler mais en passant avec fluidité de l’une à l’autre » est ici le principe fondamental.
« Chacun de nous va se coucher chaque nuit auprès d’un tigre. On ne peut savoir si ce dernier, au réveil, voudra nous lécher ou nous dévorer », dit un proverbe chinois. Nardone, dans cet essai, cherche à nous faire prendre conscience de nos propres capacités, à développer notre habileté à interagir avec les autres, mais aussi avec « la pire et la plus dangereuse des compagnies : soi-même. »