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mariage - Page 9

  • Heureuse

    « Avant mon mariage, j’écrivais beaucoup : des nouvelles, mon journal, différents débuts de récits. Il n’en reste pratiquement rien. Voici, par exemple, un bref extrait que j’ai retrouvé, et qui exprime mon humeur d’alors : « Elle était assise sur son lit, le visage illuminé par un sourire. Elle imaginait son avenir, grand et brillant, mais elle était contente qu’il fût encore loin et qu’elle n’en sût rien, et qu’en attendant elle fût jeune, forte, heureuse, prête à accueillir ce que la vie lui offrirait dans cet avenir auquel elle croyait tant. »

    Quelle était la force de cette croyance ! Et comme tous mes rêves d’un avenir brillant se brisèrent contre les soucis quotidiens de la vie familiale. »

     

    Sofia Tolstoï, Ma vie

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  • Sofia avant Tolstoï

    Mille pages pour retrouver la Russie, en ce début d’hiver : un menu idéal pour la trêve des confiseurs. Grâce à Dominique, me voilà plongée dans Ma vie de Sofia Tolstoï – une lecture au long cours comme je les aime, de temps à autre. 

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    http://humweb.ucsc.edu/bnickell/tolstoy/tolstoy/sofia.html

    Rédigé entre 1904 et 1916 à partir de son Journal, de celui de son mari, et de diverses correspondances, ce texte restitue le cours de sa propre vie, de sa naissance à 1901 – le récit est inachevé.  Elle l’a voulu « sincère et authentique ». Lasse des idées fausses circulant à son sujet, à soixante ans, elle a entrepris son autobiographie pour rétablir sa vérité : « Toute vie est intéressante et la mienne attirera peut-être un jour l’attention de ceux qui voudront en savoir plus sur la femme qui, par la volonté de Dieu et du destin, fut la compagne du génial et complexe comte Lev Nikolaïevitch Tolstoï. » 

    La première partie raconte l’enfance et la vie de jeune fille de Sofia Bers (1844-1919), deuxième de treize enfants, dont cinq morts en bas âge. Son père, médecin de la Cour, avait trente-quatre ans quand il a épousé sa mère, qui en avait seize. Sofia est née deux ans après. Sa famille moscovite habite près du Palais des menus plaisirs au Kremlin, c’est là qu’ils passent leurs hivers. Les étés se déroulent à Pokrovskoïe, dans la datcha d’un ami de la famille. Sofia aime y cueillir des cerises, ramasser des champignons.

     

    La vie des enfants Bers est très active et entourée : gymnastique, danses, étude avec des professeurs russes (des étudiants en médecine), sans compter les gouvernantes françaises. Sofia apprend à déclamer Corneille et Racine. Mais leur mère ne veut pas élever ses enfants dans le luxe et tient à ce que ses filles aident aussi aux tâches ménagères : elles doivent coudre, réparer leur linge, broder, préparer le café, aller chercher la nourriture au cellier, ranger, se charger du ménage à tour de rôle. Et faire la lecture à leur mère, au moins trente pages chaque soir.

     

    Parmi les bons souvenirs de son enfance, il y a la lecture, une passion partagée avec sa sœur Tania : elles lisent Pouchkine, Hugo. Leur père, très généreux, réalise un jour un de leurs rêves. Il obtient l’autorisation pour Tania et elle de faire le tour du Kremlin en marchant sur la muraille, une promenade mémorable en compagnie d’un précepteur. A treize ans, Sofia visite la Laure de la Sainte Trinité-Saint-Serge, haut lieu de pèlerinage orthodoxe. Elle rédige alors ses impressions de voyage, un récit qu’elle a conservé. Lors d’une deuxième visite à la Laure, les propos d’un moine sur les avantages matériels de la vie au monastère la déçoivent et lui font perdre sa naïveté enfantine.

     

    Les Bers vont souvent au théâtre, le père haut placé y dispose d’une « baignoire gratuite ». Sofia en gardera l’amour de la musique et de l’opéra. A quatorze ans, elle joue un vaudeville chez eux. Sa soeur y chante merveilleusement, elle a une voix exceptionnelle. Tolstoï s’en inspirera pour Guerre et paix : « J’ai pris Tania, je l’ai moulue avec Sonia (Sofia) et j’ai obtenu Natacha. » Sofia est considérée comme « la plus robuste, la plus forte, la moins studieuse » dans la famille, on apprécie surtout son aide pratique dans la maison. Mais elle réussit tous les examens d’institutrice à domicile, excelle en russe et en français.

     

    Lev Nikolaïevitch (Léon Tolstoï, 1828-1910) est un ami de la famille, ses visites sont fort appréciées. « Lorsque nous, les filles, commençâmes à grandir, il régna dans notre maison une sorte d’atmosphère amoureuse. » Lisa, l’aînée, espère que Tolstoï la demandera un jour en mariage. Sofia, de son côté, aime un ami de son frère, Polivanov, ils comptent se marier après la fin de ses études. Tania correspond avec un cousin qu’elle épousera plus tard.

     

    L’affranchissement des paysans (la fin du servage), en 1861, les réjouit tous. Sofia trouve la vie de plus en plus intéressante. Mais leur père est malade, de sombre humeur, et les enfants ont pitié de leur mère alors âgée de trente-sept ans. Aussi se réjouissent-ils quand celle-ci décide d’aller rendre visite à leur grand-père, l’été suivant, avec les trois sœurs et le petit Volodia, à Ivitsy, situé « à une cinquantaine de verstes de Iasnaïa Poliana » où ils se rendent d’abord. C’est là que Sofia ressent pour la première fois l’intérêt particulier de Tolstoï à son égard. Et le domaine, « cette impression de nature vierge si nouvelle, si grandiose, si inhabituelle pour nous, filles de la ville », l’enchante. « Tout était fantastique et merveilleusement beau. »

     

    A peine sont-ils arrivés chez leur grand-père que Lev Nikolaïevitch arrive, le lendemain, sur un cheval blanc. Le soir, il s’attarde, la retient un moment et lui propose de deviner ce qu’il va écrire à la craie, en ne mettant que les initiales. Très émue, Sofia traduit immédiatement : « Votre jeunesse et votre besoin de bonheur me rappellent trop vivement ma vieillesse et l’impossibilité de bonheur. » Tolstoï se sent mal à l’aise par rapport à la famille Bers qui se trompe sur Lisa et lui. Sonia comprend alors que sa vie est en train de changer.

     

    Le 16 septembre 1862, Tolstoï, qui vient d’avoir trente-quatre ans et n’arrive pas à se déclarer de vive voix, remet à Sofia, presque dix-huit ans, une proposition écrite de mariage. Elle l’accepte, heureuse. Leurs fiançailles durent une semaine. Sofia est dans un état second, Lisa est malheureuse, Polivanov très déçu, Tania ne peut imaginer la vie sans sa sœur préférée. Plutôt que de résider à Moscou ou d’aller à l’étranger, comme Tolstoï le lui a proposé, Sofia choisit de se rendre directement à Iasnaïa Poliana après leur mariage, le 23 septembre, un mariage que l’écrivain décrira « merveilleusement » dans Anna Karénine, « en parlant de celui de Levine et de Kitty. »

     

    (A suivre)    

  • Réfugiés

    « Alors qu’ils se promenaient sur la Via Veneto un jour où les élégants magasins avaient installé des tables dehors et offraient aux passants du champagne et des chocolats pour célébrer Pâques, un homme en costume croisé gris foncé à fines rayures gris clair sourit à Elena et lui offrit une rose, avec un compliment en italien où elle comprit les mots « bella donna » et « primavera ». Elle rougit et le remercia. Elle portait une robe blousante en nylon bleu, à la jupe évasée, qui venait de Bucarest, propre car elle la lavait tous les jours ; mais la mode à Rome, elle l’avait remarqué, était aux petites robes droites et sans manches. Les chemises de Jacob et d’Alexandru, qui n’étaient même pas repassées, avaient l’air fatigué. Elle se vit, elle, son mari et son fils, par les yeux de cet Italien d’une élégance raffinée. De pauvres gens qui tenaient un sac en papier rempli de petits pains ronds, des réfugiés politiques dont l’origine d’Europe de l’Est était trahie par leurs chaussures, leurs vêtements et leurs coupes de cheveux. Cet homme lui avait tendu la rose parce qu’elle lui faisait pitié. »

     

    Catherine Cusset, Un brillant avenir

     

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  • Elena-Helen

    Prix Goncourt des Lycéens 2008, Un brillant avenir de Catherine Cusset déroule la vie d’Elena-Helen, une petite Roumaine devenue citoyenne américaine. Fille, amante, épouse et mère, veuve (ce sont les quatre parties), un portrait éclaté puisque le récit change de période à chaque chapitre, de 1941, « La petite fille de Bessarabie », à 2006, « Demain, Camille » (sa petite-fille).

     

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    Gratte-ciel de New York vus depuis Central Park par Florian Pépellin (Wikimedia commons images)

     

    A quoi tend cette fragmentation ? Le refus de la chronologie est dans l’esprit du temps, « qui n’est parfois que la mode du temps » (Yourcenar), les professeurs d’histoire ou d’histoire littéraire ont depuis belle lurette été priés d’y renoncer dans l’enseignement secondaire pour des raisons qui ne m’ont jamais totalement convaincue. Dans la littérature contemporaine, le facettage de l’intrigue tient parfois davantage à la mise en forme du texte qu’à une nécessité interne. Ici Catherine Cusset se place sous l'égide de Sebald : « J’ai de plus en plus l’impression que le temps n’existe absolument pas, qu’au contraire il n’y a que des espaces imbriqués les uns dans les autres… »

     

    C’est donc par épisodes et dans le désordre que nous est raconté le destin particulier d’une femme que l’on pourrait justement caractériser par la volonté de se construire un destin, pour elle d’abord, puis pour son fils, avec Jacob, le séduisant jeune homme aux cheveux noirs et à la peau mate qu'elle a épousé contre l’avis de ses parents antisémites. Un brillant avenir commence par la mort dramatique de ce mari, atteint de la maladie d’Alzheimer, avant de remonter à l’enfance de la petite Elena, « Lenoush », fuyant un pays bientôt occupé par les Soviétiques avec son oncle et sa tante. C’est le premier d’une longue série de voyages et de déménagements, d’abord avec ceux-ci qui deviendront ses parents adoptifs, Elena portera désormais le nom de Tiburescu.

     

    A New-York, elle s’appelle Helen Tibb, et quand à la fin des années quatre-vingts, son fils Alexandru lui annonce au téléphone qu’il pense venir chez elle le lendemain, « avec quelqu’un », elle se réjouit en espérant que cette fois, à vingt-six ans, il a rencontré la femme de sa vie. Marie est française, a priori un bon point aux yeux d’Helen qui a appris le français en Roumanie, mais aussi une crainte : la jeune femme conçoit sans doute sa vie en Europe, or Helen et Jacob ont choisi de vivre aux Etats-Unis pour être libres, pour échapper aux préjugés concernant les juifs, pour fuir la dictature de Ceaucescu. En France, avec son accent, leur fils n’aurait accès qu’à des emplois subalternes, loin du « brillant avenir » dont ils rêvent pour lui.

     

    Mais Marie et Alex s’aiment vraiment et comptent vivre aux Etats-Unis. Comme Elena et Jacob ont tenu bon malgré l’hostilité des parents, eux aussi se marient sans leur approbation. Helen est nommée vice-présidente dans la société d’informatique qui l’emploie. La réussite professionnelle et la réussite familiale, voilà ce qui compte avant tout à ses yeux. Son père l’avait envoyée dans un lycée technique pour qu’elle puisse vivre en femme indépendante et elle est devenue experte en physique nucléaire. Hors de Roumanie, elle s’est tournée vers une autre voie prometteuse.

     

    Intelligente et volontaire, Helen se montre aussi possessive et autoritaire, Catherine Cusset en fait une belle-mère maladroite, peu affectueuse. La romancière entremêle l’histoire des deux couples, celui d’Helen et de Jacob bâti sur une fidélité sans faille, celui d’Alex et de Marie formé sur des bases et dans un contexte très différents. Mais Un brillant avenir est surtout l’évocation d’un destin de femme dans la seconde moitié du XXe siècle, avec ses choix et ses peurs, sa réussite et ses faiblesses, et la part la plus attachante d’Helen se révèle dans sa confrontation avec Marie, la femme de son fils, si différente d’elle, avec qui elle a tant de mal à s’entendre.

     

    L’intérêt du roman naît de ces caractères, et surtout de leur évolution à travers plusieurs époques et d’un continent à l’autre. Le style de Catherine Cusset, assez sec, et la fragmentation du récit – propice aux rapprochements mais fastidieuse – m’ont tenue un peu à distance de cette « bouleversante saga ».  Un brillant avenir est néanmoins un roman cosmopolite ambitieux, qui offre à ses lecteurs plus d’un éclairage sur les réalités de notre temps.

  • Comment lui dire

    « Comment lui dire que déjà maintenant, ici, dans sa cuisine, j’ai l’impression
    de trahir mes parents, ma famille, mes origines ? Que depuis des semaines j’ai l’impression de faire quelque chose d’interdit, de pas bien ? Qu’en moi bouillonnent des sentiments confus, mêlés de révoltes et de remords ? Comment lui faire comprendre que ce n’est pas bien pour une musulmane de sortir avec
    un non-musulman ? J’essaie de le lui expliquer, mais il refuse d’accepter ce que je dis. « Nora, je ne crois pas que l’amour peut être une chose contraire à la religion, peu importe laquelle. Ca ne peut pas être un péché d’aimer quelqu’un qui, par hasard de naissance, n’a pas la même religion. Il faut se libérer de ces pensées-là, de ces règles qui excluent, qui interdisent, qui blessent et séparent. » J’ai les larmes aux yeux, je serre sa main. Au fond de moi, je sais qu’il a raison, mais mes parents, ils ne comprendront pas. »

    Verena Hanf, Les vendredis de Vincent

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