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  • Bouvier au Japon

    « La façon dont un peuple s’explique son existence en apprend parfois aussi long que celle dont il la vit », écrit Nicolas Bouvier au début de Chronique japonaise. Si rien, dans ces notes rédigées dans les années soixante, ne se veut un commentaire de l’actualité, tout ce qu’observe ou rapporte le grand voyageur curieux de voir, en 1964, qui du Japon ou de lui aura le plus changé, huit ans après son premier séjour, porte de façon particulière en ce moment critique pour les Japonais aux prises avec une conjonction de catastrophes : séisme majeur, tsunami, désastre nucléaire. 

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    Ecrivain suisse, voyageur, photographe et poète, Bouvier (1929-1998) rapporte pour commencer les mythes fondateurs d’un peuple « tombé du ciel », d’un pays né de l’union de deux esprits divins créateurs, Izanagi (celui qui invite) et Izanami (celle qui invite), union assistée par une bergeronnette « qui, de sa queue, leur bat gracieusement la mesure ». Fondé en 660 avant notre ère, l’Etat nippon s’appuie sur une mythologie qui ne connaît ni péché, ni mortification, ni morale, ni doctrine, le peuple japonais étant d’essence divine, mais son ciel, son sol et sa mentalité sont imprégnés par des « Kami » (esprits) « omniprésents, rustiques et bonasses, avec lesquels il faut partager. »

     

    Surnommé l’île des Wo ou des Wa (des nains) par les Chinois qui y débarquent au IIe siècle avant Jésus-Christ pour y faire du commerce, le Japon fera prendre conscience à son puissant voisin qu’il n’est pas né de la dernière pluie. En 607, l’empereur Shotoku-Taïshi fait porter à l’empereur chinois une lettre adressée « De l’empereur du Soleil-Levant à l’empereur du Soleil-Couchant ». L’apport chinois est indéniable : écriture, pensée de Confucius, bouddhisme. D’abord repoussé, ce dernier fusionne avec la religion shintoïste, ce sera le ryobu-shinto. « Depuis quinze siècles qu’ils coexistent, jamais le Bouddha et le Shinto n’ont été en conflit ouvert, et, dans le jardin d’un temple bouddhique, vous trouverez toujours – dans un buisson, derrière le puits, à côté de la remise du jardinier – un petit sanctuaire shinto décoré de fleurs encore fraîches, signe que l’Ancien propriétaire n’a jamais véritablement quitté les lieux. »

     

    A plusieurs reprises, dans Chronique japonaise, Nicolas Bouvier transcrit « Le cahier gris » (Kyoto, 1964) où il a noté ses impressions. Au temple du Ryo-an-ji, dont le fameux jardin – « une des manifestations les plus parfaites de l’esthétique du Zen » – voit passer des groupes scolaires qui n’ont pas le temps de s’attarder, des étrangères (françaises) qui ont eu froid à l’île de Sado et « soupçonnent en outre leurs cicerones de ne pas leur avoir livré « l’âme du Japon ». » A un spectacle de no dont la musique « possède un tel pouvoir incantatoire, une magie si souveraine que l’auditeur étranger, à peine revenu de sa stupeur, est proprement « emballé », emporté par plus fort que lui dans l’espace nocturne et raréfié du no. »

     

    Bouvier raconte l’histoire, commente les premiers contacts européens avec le Japon (vente d’armes, tentatives d’évangélisation), souligne l’engouement pour la musique occidentale de jeunes chrétiens japonais envoyés en Europe dans un autre but – « Mais c’est le propre des longs voyages que d’en ramener tout autre chose que ce qu’on allait y chercher. » Il rend hommage au jeune empereur Matsuhito qui ouvre l’ère « Meiji » (gouvernement éclairé) et déclare à ses sujets, en 1868, que « pour le salut de l’empire, le Savoir sera recherché partout où il se trouve. »

     

    Flash-back. En 1955, Nicolas Bouvier débarque à Yokobama-Tokyo pour la première fois. Cuisinier à bord du MM Cambodge après un voyage en Inde, il éveille l’intérêt de journalistes japonais toujours à l’affût de personnalités étrangères et particulièrement intéressés par la culture française. Répondre à leurs questions est plus facile que trouver une chambre pas chère. Il s’installe pour un an dans le quartier d’Araki-Cho, « un morceau de village oublié dans la ville », autrefois célèbre pour ses geishas. Un veilleur de nuit accepte de lui louer une chambre. Bouvier apprend à s’y retrouver dans les rues sans nom pour la plupart (les maisons, elles, sont numérotées selon leur année de construction, ce qui n’est pas très commode non plus). L’étranger suscite la méfiance et c’est la surprise quand il utilise tout à coup à bon escient un des nombreux proverbes japonais qu’il s’applique à retenir. « Une autre façon de montrer patte blanche est d’être très soigneux de sa personne. » Une bonne part de ses maigres ressources (il prend des photos, vivote grâce à l’un ou l’autre magazine japonais) couvre les soins du corps et des vêtements – l’homme qui ne va pas aux bains tous les soirs est un homme perdu.  

     

    Les pages consacrées à l’île d’Hokkaïdo (littéralement le chemin de la mer du Nord), la plus septentrionale, m’ont particulièrement frappée. Dans la province de Sendaï – nom depuis peu connu chez nous –, Bouvier découvre Matsushima, « un des « Trois Paysages » du Japon ». Un site dévoré par le tourisme, mais heureusement la lumière de l’aube est belle, et le touriste rarement matinal. Bouvier se rend dans la réserve des Aïnous dont le sort n’a rien à envier aux Indiens d’Amérique du Nord. Au cap Erimo, un paysage « fait exclusivement d’herbe, de lumière, de remous, pauvre, obstiné », le voyageur comprend enfin dans le brouillard ce qu’il est venu chercher dans cette île. Dans le train omnibus qui le ramène, la conversation entre vieilles personnes, des colporteurs aux visages tannés et ridés – « la compagnie la plus chaude et la plus libre que j’aie rencontrée au Japon » – s’interrompt quand, par la fenêtre, on peut voir « un oiseau d’une élégance et d’une blancheur indicibles posé au milieu des roseaux comme un vase Ming ». « Apercevoir une grue c’est mille ans de bonheur. »

     

    Nicolas Bouvier est allé au Japon à la rencontre d’un peuple. « Je mettrais volontiers Kyoto au nombre des dix villes du monde où il vaille la peine de vivre quelque temps. » Dans un beau texte d’adieu (en 1966) à cette ville où il a eu la chance d’habiter avec femme et enfants dans l’enceinte d’un temple, le voilà qui s’emballe : « je parle comme un contestataire de Kyodaï (l’université impériale de Kyoto). Me voilà bien Japonais !… » Ni carnet de voyage ni essai académique, Chronique japonaise offre des récits, des réflexions, des visages, des instants. L’auteur de L’usage du monde n’y donne pas de leçons, il partage simplement ses découvertes.

     

    Confronté à des épreuves exceptionnelles, le Japon a plus d’une fois écouté la voix de son empereur : « Il faut accepter l’inacceptable et supporter l’insupportable ». Phrase prononcée après les incendies déclenchés à Tokyo en 1923 par un tremblement de terre – cent mille morts. Reprise après Hiroshima (« Yuji parle ou une leçon de « rien » »). Mars 2011, à nouveau, pose aux Japonais, dans leur malheur, des questions cruciales.

     

  • Doux et brillant

    « « Doux et brillant, il apparaît aux hommes comme la bienveillance ; fin, compact et résistant, il est l’intelligence ; anguleux mais non pas acéré, il est coupant comme la droiture ; en grains, l’un en dessous de l’autre, c’est l’humilité ; clair et sonore, il est comme une note de musique ; avec des défauts qui ne cachent pas la beauté, il est la loyauté ; avec son rayonnement intérieur, il est l’expression de la bonne foi ; aussi brillant qu’un arc-en-ciel, il est le ciel ; exquis et mystérieux, provenant des collines et des rivières, il est l’expression de la terre ; insigne de rang, il indique la vertu ; apprécié de tous, il montre le chemin de la vérité et du devoir. » C’est en ces termes que dans les Mémoires sur les rites ( Liji), on attribua à Confucius la description des multiples qualités du jade, symbole d’excellence. »

     

    Guillemette Coulomb, Les jades chinois (Catalogue du Musée des arts asiatiques, Toulon, 2001)

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    Pendentif de jade Qing (Paris, Musée Guimet)
    © photo Thierry Ollivier / Réunion des Musées Nationaux / Art Resource, NY

    http://arts.jrank.org/pages/9688/Jade.html

  • L'Asie à Toulon

    Villa Jules Verne, Musée des Arts asiatiques. Sur le Littoral Frédéric Mistral à Toulon, non loin du Fort Saint-Louis, il suffit de passer sous un porche et de pénétrer dans le jardin de la villa, espace public doté d’une belle fontaine murale en céramique, pour se retrouver aux portes de l’Asie. Acquise en 1973 par la Ville de Toulon, la Villa Jules Verne, qui aurait été habitée par son fils, offre ses étages depuis 2001 à une intéressante collection d’objets asiatiques. Des collectionneurs français, des marins toulonnais, différents dons l’ont enrichie, en particulier le legs Fauverge de French en 1961, 473 œuvres de grande qualité.

     

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    Villa Jules Verne, Toulon

     

    Dès le rez-de-chaussée, le musée donne une impression de raffinement : au mur, un beau paravent contemporain signé N’Guyen Van Minh représente un cheval dans une forêt de bambous, laque et or sur fond noir. Sous une autre œuvre de cet artiste, sur une sobre console en verre, un arrangement de fleurs. Toutes les salles du musée offrent un décor très soigné, des vitrines, des boiseries, des banquettes design, des stores blancs pour filtrer la lumière. Des panneaux et bannières situent les objets dans l’histoire, des numéros renvoient à leur description, c’est très clair.

     

    La Chine occupe la plus grande partie du premier étage. Age du Jade, âge du Bronze, âge de la Soie… Même si l’on ignore l’histoire chinoise, comment ne pas s’émerveiller devant un pendentif en jade très ancien, devant un peigne d'ivoire finement sculpté, devant un petit cavalier en terre cuite polychrome, un petit cheval Tang, devant des statuettes de guerriers casqués intactes après tant de siècles  

     

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    Stupa votif (photo Aurélie Chaumat, Wikimedia commons)

     
    Le bouddhisme est une source d’inspiration omniprésente, par exemple avec un Boddhisatva Padmapami porteur de lotus, taillé dans la pierre. Les objets sont groupés par époque, il y a des coupes, des vases, des personnages, des bijoux… Une grande Joueuse de cithare en terre cuite grise surprend par sa beauté et son sourire radieux. Quel contraste avec le visage mélancolique de Maïtreya, prince pensif ! Un spectaculaire Stupa votif en grès gris du XIe ou XIIe siècle compte parmi les pièces majeures du musée.

     

    Les Chinois sont les maîtres des émaux cloisonnés sur cuivre : j’admire un vase aux poissons dont les motifs se dessinent sur une belle couleur turquoise, une coupe au décor floral, une paire de bougeoirs aux bougies intactes elles-mêmes sculptées. Dans les vitrines sont exposés de petits animaux fantastiques ou réalistes, comme un héron à la tête baissée en cuivre, un éléphant en jade vert clair, et de petits personnages en bois doré ou laqué, de petites verseuses, des brûle-parfums. En lisant la légende d’une coupe, j'apprends qui sont les trois amis de l’hiver : le prunier, le bambou et le pin. Une magnifique « pierre de rêve » ronde me rappelle l’aventure calligraphique de Fabienne Verdier, j’y songe en contemplant ce disque de marbre veiné qui évoque une montagne, le ciel, des nuages... C’est la première fois que j’en vois une et cela m’émeut.
     

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    Fontaine du jardin de la Villa Jules Verne

     

    Côte à côte, deux magnifiques peintures sur soie : les portraits d’un mandarin et de son épouse, vêtus d’une robe rouge ornée du prestigieux motif au faisan doré. Près d’eux, sur un guéridon, un vase, un bouquet, une coupe composent de fines natures mortes. Plus loin, un rouleau horizontal du XVIIIe siècle représente, sur un fond clair, des Jeunes femmes sur une terrasse s'adonnant à la musique et à la danse, par petits groupes. De la même époque, un petit plateau d’ivoire au décor de fleurs et de chauves-souris évoque irrésistiblement l’art nouveau, c’est étonnant !

     

    L'érotisme aime les jeux de cache-cache : cinq panneaux sculptés de scènes érotiques sont dissimulés derrière une vitre opaque. Il suffit de pousser sur un bouton pour que le verre devienne translucide et dévoile les ébats amoureux – version contemporaine du rideau. Plus loin, diverses représentations permettent de se familiariser avec les huit immortels du taoïsme (dont deux immortelles), objets de dévotion populaire comme le montre un petit autel domestique.

     

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    Catalogue du Musée des arts asiatiques de Toulon

     

    Les dernières salles du premier étage illustrent les arts du Japon. Des bouilloires en fonte et en cuivre, un amusant petit récipient à eau en forme de citrouille surmontée d’un rat, un beau buffle en bronze poli, entre autres. Un bel ensemble de treize masques du théâtre no (en format réduit), certains en ivoire, d’autres en bois peint, en plâtre : le vieil homme (bon), des démons, une jeune fille, tous caractérisés. Au second étage du Musée sont illustrées d’autres cultures d’Asie du Sud-Est : la Thaïlande (des bouddhas), le Vietnam (joli plat en pierre de lard rose, céramiques), le Tonkin (marionnettes du théâtre d’ombres), la Birmanie (une jolie boîte-crapaud en bois doré), l’Inde (sculptures hindouistes), le Tibet et la Mongolie.

     

    Je n’imaginais pas une telle présence de l’Asie à Toulon derrière l’entrée discrète de la Villa Jules Verne. Le Musée des Arts asiatiques est ouvert tous les après-midi (sauf le lundi), L’entrée est gratuite. Un beau catalogue dû aux soins de Guillemette Coulomb, conservateur, présente des illustrations en pleine page et des notices explicatives sur papier noir (qui mériteraient une solide correction orthographique). Il n’y avait pas grand monde au musée en début d’après-midi, ce qui, bien sûr, convient davantage aux visiteurs qu’aux administrateurs, mais je ne doute pas que ce beau musée toulonnais attire le public. Riches et variées, ses collections permanentes valent vraiment d’être découvertes. Le 8 avril prochain, une exposition temporaire prendra place au rez-de-chaussée, des peintures de Fanfan Li. Avis aux amateurs.

  • Funambule

    « Neige était devenue funambule par souci d’équilibre. Elle, dont la vie se déroulait comme un fil tortueux, entrelacé de nœuds que nouaient et dénouaient la sinuosité du hasard et la platitude de l’existence, excellait dans l’art subtil et périlleux consistant à évoluer sur une corde raide. 

     

    Elle n’était jamais aussi à l’aise que lorsqu’elle marchait à mille pieds au-dessus du sol. Droit devant elle. Sans jamais s’écarter d’un millimètre de sa route.

    C’était son destin.

    Avancer pas à pas.

    D’un bout à l’autre de la vie. »

     

    Maxence Fermine, Neige

  • Sur un fil de soie

    Conte, fable, rêve poétique, récit d’initiation, j’hésite à nommer « roman » Neige, un récit de moins de cent pages publié en 1999 par Maxence Fermine, à l’âge de dix-neuf ans. « Rien que du blanc à songer » (Arthur Rimbaud), a-t-il mis en épigraphe à cette histoire en trois temps du jeune Yoko Akita qui a deux passions : le haïku et la neige. Mots simples, phrases courtes, fréquents retours à la ligne, le style invite à respirer, à rêver. Pour lecteurs de 7 à 77 ans. 

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    Hokusai, Garçon contemplant le Mont Fuji

     

    « Vent hivernal
    Un prêtre shintô
    Chemine dans la forêt »
    (Issa)
    C’est le premier des haïkus qui scandent la première partie. Dans l’île d’Hokkaido, en avril 1884, le père de Yoko, un prêtre shintoïste, fronce les sourcils quand son fils, le jour de ses dix-sept ans lui annonce qu’il veut devenir poète. « La poésie n’est pas un métier. C’est un passe-temps. Un poème, c’est une eau qui s’écoule. Comme cette rivière. » « C’est ce que je veux faire. Je veux apprendre à regarder passer le temps. »

     

    Durant l’été, le jeune poète compose soixante-dix-sept haïkus, « tous plus beaux les uns que les autres ». En décembre, son père l’emmène au pied des Alpes japonaises, « au centre de Honshu » et lui montre les neiges éternelles. Il lui fait gravir une montagne pour en revenir avec un choix clair : devenir un guerrier ou un prêtre. Quand Yoko redescend après sept jours « aux portes du ciel », interrogé sur la voie qu’il s’est trouvée, il répond : « Mieux que cela, père. J’ai trouvé la neige. »

     

    Dès la nouvelle année, Yoko embrasse la carrière de poète, « pour célébrer la beauté de la neige ». Chaque jour de neige, il sort très tôt et rentre pour la cérémonie du thé. Il promet à son père d’écrire seulement soixante-dix-sept haïkus par hiver, le reste de l’année, il oubliera la neige. Un jour de printemps, un poète renommé à la cour Meiji se rend chez le père d’Akita, celui-ci lui montre les parchemins qui recouvrent les murs de l’atelier de son fils, en son absence. Emerveillé, le visiteur exprime néanmoins un regret, l’absence de couleurs, et interroge : « Pourquoi la neige ? » A son retour, Yoko se fâche en apprenant que son père a montré ses « esquisses ». Il n’ira voir l’empereur que lorsqu’il aura écrit dix mille syllabes – sept ans de travail à fabriquer « une passerelle vers la lumière blanche des anges ».

     

    A son deuxième hiver de poésie, une jeune femme dont il a aperçu le sein blanc comme neige quand elle puisait de l’eau à la fontaine, le dépucelle et lui révèle le goût de sa peau. Le printemps ramène le poète de cour, avec une femme « d’une beauté éblouissante, férue de poésie », qui subjugue Yoko. Interrogé par le Maître sur ses autres talents, le jeune homme prétend n’avoir besoin de rien d’autre pour accomplir son art. « Erreur. La poésie est avant tout la peinture, la chorégraphie, la musique et la calligraphie de l’âme » rétorque le vieil homme. A cause de la jeune fille, si belle, Yoko l’écoute et suit son conseil : se rendre au sud du Japon chez Soseki, un vieillard admirable qui écrit de merveilleux poèmes, des pièces de musique, mais qui est avant tout un peintre.

     

    Yoko Akita quitte son village le lendemain. En traversant les montagnes, il se perd dans une tempête de neige. Il survit au froid, à la faim, à la fatigue, à cause d’une image incroyable, inoubliable : sous un surplomb rocheux où il s’est réfugié, une femme morte, jeune, nue, blonde, dort sous un mètre de glace. Il marque l’endroit d’une croix avant de reprendre son chemin. Après bien des jours et des nuits, il arrive chez Soseki. Surprise : le « maître de la couleur » a les yeux fermés, il est aveugle. Apprendre à être « voyant », écouter l’histoire, racontée par un vieux serviteur, de l’amour de Soseki pour une jeune funambule européenne surnommée Neige, ce sera le sujet de la deuxième partie. La troisième, l’apprentissage de l’écriture sur un fil blanc – « avancer mot à mot sur un fil de beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie », « devenir un funambule du verbe ».