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japon - Page 2

  • En cinq mouvements

    Dans le prolongement du magnifique Ame brisée, Akira Mizubayashi a écrit deux autres romans sur le thème de la musique et de la guerre. Reine de cœur (2022), le deuxième de la trilogie, s’ouvre sur trois épigraphes autour d’un terrible épisode guerrier durant la guerre « d’agression coloniale en Chine » menée par l’armée impériale japonaise. L’écrivain tokyoïte (qui écrit en français) a des mots très durs pour ce passé impérialiste.

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    C’est dans ce contexte que nous découvrons une première scène de guerre : le jeune soldat Jun Mizukami, à qui le sergent-major tend son sabre après lui avoir montré comment couper la tête d’un ouvrier chinois, ne se sent pas « le droit de faire une chose pareille », malgré les menaces d’être accusé de « haute trahison », et finit par s’évanouir. En mai 1940, lors de l’exode vers le sud de la France,  Anna (la vingtaine, enceinte) et son oncle Fernand, courent se réfugier dans un bois pour échapper aux tirs des avions et y découvrent un corps sans tête. Le 25 mai 1945, la jeune infirmière Ayako cherche un abri dans Tokyo contre un raid aérien imminent.

    Après ce « premier mouvement », l’horreur cède le pas à de belles rencontres humaines : Jun, altiste, et Anna, serveuse dans le bistrot de son oncle et future institutrice, ont fait connaissance à Paris en 1937. Etudiant étranger au Conservatoire, Jun parlait déjà bien le français, appris à Tokyo. Monsieur Jean, un vieil homme qui l’avait vu plongé dans la lecture de Jean-Christophe, s’était pris d’amitié pour le jeune « musicien-philosophe », comme l’appelait Fernand. Jean était lui-même altiste. Deux ans et demi plus tard, Jun et Anna se séparent à Marseille, où Jun doit embarquer pour le Japon et y servir l’armée. Ils y passent la nuit ensemble pour la première fois avant son départ.

    Le troisième mouvement se déroule en novembre 2007. Marie-Mizuné Clément vient de donner son premier concert en tant que premier alto solo au Théâtre des Champs-Elysées. Dans le bus qui la ramène chez elle, un sexagénaire remarque son instrument puis reconnaît l’altiste, il était au concert et la félicite pour son jeu dans le Don Quichotte de Strauss et la 11e symphonie de Chostakovitch. Il lui donne son journal où il a lu un article intéressant du Monde des Livres sur « La Musique à l’épreuve de l’Histoire ».

    Le libraire confirme à Mizuné l’intérêt du livre présenté dans Le Monde et elle lui achète L’oreille voit, l’œil écoute. Un musicien japonais y raconte les dernières années de la guerre sino-japonaise en évoquant souvent la musique classique et Chostakovitch en particulier. Très émue par sa lecture, Mizuné se rendra chez sa mère, Agnès, pour l’interroger à propos de sa grand-mère Nanou. Son histoire et celle du livre semblent très proches. Au grenier, elle va trouver un cahier d’Anna et sept lettres de Jun.

    Comme dans Ame brisée, Mizubayashi mêle dans Reine de cœur le thème amoureux à celui de la musique et de la guerre, ici en cinq mouvements, entre France et Japon. Lettres, journaux et courriels s’insèrent dans le récit. Certaines pages donnent envie d’écouter et de lire en même temps les œuvres musicales en quelque sorte décrites. Un violon japonais appelé « Reine » va changer de main – « Reine » est en fait la transcription phonétique de deux idéogrammes qui se prononcent « ré-i-né », c’est-à-dire « Merveilleuse sonorité ».

  • En japonais

    akira mizubayashi,ame brisée,roman,littérature française,japon,violon,musique,guerre,lutherie,archèterie,langues,culture« Le jour où Jacques se décida à écrire à Midori Yamazaki, il n’eut donc pas trop de mal à rédiger sa lettre en japonais. Bien sûr, il écrivait plus facilement et plus vite en français, mais s’exprimer en japonais n’était pas un obstacle majeur. Il n’écrivait assurément pas comme un Japonais qui avait toujours vécu au Japon. Sa connaissance active des idéogrammes était limitée. Devenu français, ayant passé les six septièmes de sa vie en France, il usait désormais de sa langue de naissance comme un étranger en userait. Si le fait de se mouvoir en japonais n’était plus quelque chose de naturel et lui demandait un effort particulier, cela ne lui coûtait pas pour autant. Jacques savait que la violoniste avait séjourné en France pour parfaire sa formation au Conservatoire de Paris ; elle comprenait donc le français très certainement. Il opta cependant pour le japonais. Ce qu’il voulait lui dire concernait la couche la plus profonde de son existence, l’événement de sa vie vécu en japonais soixante-cinq ans auparavant, mais congelé, figé ou pétrifié depuis lors comme si le temps avait été assassiné, s’était coagulé, arrêté définitivement. »

    Akira Mizubayashi, Ame brisée

  • A tous les fantômes

    Akira Mizubayashi (°1951) m’était inconnu jusqu’à ce que je lise un éloge d’Ame brisée (2019), roman dont je viens de terminer la lecture et qui m’a enchantée. Je suis ravie d’apprendre que c’est le premier d’une « une trilogie romanesque autour des thèmes de la guerre et de la musique » et j’apprends que cet écrivain qui vit à Tokyo écrit en français, comme il s’en explique dans Une langue venue d’ailleurs (2011), sa première publication chez Gallimard. Il a obtenu en 2025 le Grand Prix de la francophonie.

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    Edition illustrée (45 œuvres de grands peintres du XXe siècle)

    Dédié « à tous les fantômes du monde », Ame brisée comporte deux épigraphes : la définition de l’âme (d’un instrument à cordes) et une citation tirée de Moments musicaux de Th. W. Adorno. L’intrigue s’ouvre sur une scène dramatique à Tokyo, en novembre 1938, dont Rei, alors collégien, a été le témoin. Il avait accompagné son père, Yu Mizusawa, au Centre culturel municipal, muni du livre Et vous, comment vivrez-vous, l’histoire de Coper, que son père lui avait recommandé.

    Un visiteur français arrive, Philippe, et annoncer à son ami Yu qu’il va quitter le Japon où la situation devient trop difficile pour un journaliste. Arrivent ensuite trois jeunes musiciens amateurs – Kang, un violoniste ; Yanfen, une altiste ; Cheng, un violoncelliste – rares étudiants chinois non impressionnés par la situation politique depuis l’incident de Mandchourie en 1931.

    Yu demande à son fils de tirer les rideaux noirs et d’allumer la lumière, puis la répétition commence. Philippe reconnaît le début du quatuor à cordes en la mineur opus 29 de Schubert, dit « Rosamunde », puis s’en va discrètement, il reviendra plus tard. Depuis peu, ils explorent ensemble le premier mouvement, « Allegro ma non troppo », observent, reprennent… Au bout d’une heure, ils font une pause pour prendre le thé et les musiciens répondent à la question de Yu sur les raisons qui les ont fait rester au Japon déclaré « pays ennemi ». Ils échangent aussi sur la langue ; Yu, comparant le japonais et le français qu’il apprend avec Philippe, propose qu’ils s’appellent tous par leur prénom pour plus d’égalité entre eux quatre.

    La musique reprend, brusquement interrompue par l’irruption de militaires. Aussitôt, Yu ordonne à Rei de se cacher dans la grande armoire. On les interroge sur ce qu’ils font, tous rideaux fermés, et le fait de jouer une musique étrangère, de fréquenter des « Chinetoques », de répondre posément met le chef des soldats en rage : après avoir frappé Yu, il jette son violon à terre et l’écrase avec ses bottes. L’arrivée d’un « lieutenant » calme immédiatement le caporal Tanaka à qui il reproche son comportement. Puis il interroge le premier violon sur l’œuvre qu’ils répètent, sur la provenance de son violon cassé – un instrument ancien fait par un luthier français, Nicolas François Vuillaume, en 1857.

    A la demande du lieutenant, Yu Mizusawa joue sur un autre violon la Partita n° 3 en mi majeur de Jean-Sébastien Bach, la Gavotte en rondeau (3e mouvement). Ainsi, il apparaît clairement qu’ils s’occupaient de musique et non d’autre chose, fait remarquer le lieutenant musicophile. Hélas un message arrive du QG : tous les suspects interrogés doivent y être emmenés. Resté seul, le lieutenant ramasse le violon sur le sol, ouvre l’armoire et le tend à l’enfant caché, qui entend les appels adressés à Kurokami – un nom qu’il retiendra. Rei est seul désormais (sa mère est décédée).

    On le retrouve ensuite en France, devenu un vieil homme. Il s’appelle à présent Jacques Maillard et sa compagne, Hélène, lui apprend qu’une Japonaise de vingt-trois ans, Midori Yamazaki, a remporté un premier prix à Berlin. Jacques est luthier et prend soin des instruments des musiciens de passage avant leur concert. Hélène est archetière. Ils s’étaient rencontrés lors d’un stage à Mirecourt.

    Hélène a trouvé une interview de Midori Yamazaki où celle-ci déclare tout devoir à son grand-père ancien militaire et mélomane. Elle encourage le luthier à écrire à la musicienne à propos de l’identité de son grand-père : il s’agit bien de Kurokami dont il a un souvenir si vif, qui n’est plus de ce monde. Ame brisée est le récit de rencontres émouvantes où les souvenirs, les destins personnels, la musique sont au premier plan. C’est aussi, en même temps, l’histoire d’un violon – mais n’en disons pas trop.

    Le dernier roman d’Akira Mizubayashi, La Forêt de flammes et d’ombres, est « une fiction sur la fin de la Seconde Guerre mondiale au Japon et la musique » (Le Figaro). Je me tournerai d’abord vers Reine de cœur et Suite inoubliable, pour découvrir la suite de la trilogie commencée avec Ame brisée. Je vous recommande ce roman délicat, à l’écoute de la musique et des langues (japonais et français), pour lequel on adresserait volontiers à l’auteur la formule japonaise prononcée avant le repas : « Itadakimasu », soit « Je reçois humblement ce que vous m’offrez. »

  • Nom de plume

    Haïkus Julie Van Wezemael.jpg« Oui, se choisir un nom de plume – haigô, en japonais – est un jeu très amusant. Et qui en dit long aussi sur nous. C’est pourquoi, avant de le trouver, il est bien de se poser quelques questions. Avec quel élément naturel avons-nous le plus de complicité ? la terre ? le feu ? l’eau ? l’air ? Nous sentons-nous proche d’un animal ou d’une plante ? d’un nuage ou d’une racine ? Quelle sensation nous émeut davantage ? un flocon qui fond sur notre front ? l’acidité désaltérante d’une orange ? le bruissement des bambous dans la brise ? Qu’est-ce qui dans le grand livre de l’univers nous ressemble le plus ? une comète ? un torrent ? un brin de paille ? le bruit d’un caillou tombant au fond d’un puits ?
    – Un caillou ?! Mais je n’ai pas une tête de caillou, moi !
    – Ha ! ha ! ha ! Qui sait ? Avant tout, il faut oublier les surnoms que nous ont attribués nos proches – amis ou ennemis –, oublier nos sobriquets, toutes ces étiquettes qui nous collent à la peau et sont à mille lieues de ce que nous sommes vraiment. »

    Thierry Cazals & Julie Van Wezemael, Des haïkus plein les poches

    © Julie Van Wezemael, Haïku

  • Ecrire des haïkus

    Je ne sais plus qui m’a conseillé Des haïkus plein les poches, écrit par Thierry Cazals et illustré par Julie Van Wezemael, je l’en remercie. La bibliothécaire de la section jeunesse a mis du temps à le trouver – il était mal rangé – et, tout compte fait, ce « livre-atelier » aurait parfaitement sa place au rayon poésie pour les grands. Son auteur, écrivain et poète, anime des ateliers d’écriture pour enfants et adultes. Il partage ici ce qui compte vraiment pour écrire un haïku et ce ne sont pas forcément les règles ni les dix-sept syllabes.

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    Cazals s’adresse directement à ceux qui viennent chez lui ou le lisent. Il se présente, fait faire le tour de sa cabane, tout en posant des questions. On peut répondre par écrit dans le livre sur des lignes de pointillés. Le poète vit seul au milieu des pins avec un grillon, son ami, et y reçoit souvent des jumeaux, une fille et un garçon qui passent leurs vacances dans le coin, pas loin de l’océan.

    Lors de leurs visites, il leur lit des haïkus, demande leur avis. D’abord il sollicite leurs cinq sens, « les fenêtres à travers lesquelles nous recevons des nouvelles du monde ». Place au dialogue, chacun livre ses impressions. Il a dans son sac plein de petits poèmes écrits par des enfants lors de ses animations dans des écoles. Le point de départ ? Des sensations vécues, l’attention à ce qui nous entoure, nos cinq sens éveillés pour « redécouvrir le monde avec un cœur tout neuf ».

    Les poètes du Japon se choisissaient un nom de plume pour signer leurs haïkus, un nom d’oiseau ou d’autre chose : Bashô, le nom du bananier qui poussait près de sa chaumière ; Issa, « une tasse de thé » ; Santôka, « le feu au sommet de la montagne ». A chaque apprenti poète de commencer par là : se choisir un nom qui corresponde vraiment à sa perception du monde, de la nature. Lui a choisi « cœur de grillon ».

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    Illustration de Julie Van Wezemael 

    Puis ils regardent ensemble un haïku à la loupe : « trois vers qui s’écrivent généralement sur trois lignes en français », des « éclats de phrases » pour suggérer « la fulgurance de l’émotion ».

    « Même mon ombre
    a l’air en pleine forme –
    matin de printemps »

    Issa

    En principe, il faudrait 5-7-5 syllabes, mais ce qui compte vraiment, c’est la brièveté. Le haïku traditionnel comporte un « mot de saison », un tiret pour marquer une pause (à la place du « mot de coupe » ou « mot de soupir » en japonais), mais il y faut avant tout de la fraîcheur, de la légèreté, du naturel. Peu à peu, à l’aide de nombreux exemples, l’auteur-animateur nous initie à l’art du haïku, du « dire sans dire ». Il cite ce proverbe japonais : « Les mots que l’on n’a pas dits sont les fleurs du silence. »

    Pour peu que l’on ait gardé une part de son âme d’enfant, on ne peut lire Des haïkus plein les poches sans prendre un crayon et essayer à son tour de trouver les mots, le rythme, pour exprimer la magie d’un instant, sans se précipiter. Ce n’est pas si facile d’être simple, bref, juste. Il faut plonger en soi-même, prendre le temps, effacer le superflu, les détails. L’auteur n’aime pas partir de thèmes ou de mots imposés, mais il donne beaucoup d’exemples (de poètes accomplis ou d’enfants poètes) et ouvre plein de pistes où laisser les mots prendre leur  envol.

     « Le haïku est comme un cercle,
    une moitié fermée par le poète,
    l’autre moitié par le lecteur. »

    Seisensui Ogiwara

    Bashô : « Un haïku, c’est simplement ce qui arrive
    en tel lieu, à tel moment. »

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    Voici l'occasion de vous signaler un nouvel index, POEMES,
    qui reprend tous les poèmes cités sur T&P.

    Tania