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femmes - Page 7

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    Une femme en marche. Un souffle l’amorce et la voici allante entre les haies, les hommes, les dieux. Regards dans son sillage. Des mains. Voudraient la retenir, la séduire, l’arrimer. Elle en flèche. Echappée, irritante. Ne veut plus se prêter ni leurrer ; donner prise aux ruses, aux démesures. Intrépide, elle court plus loin que ce lopin perclus. Pulvérise l’attente. Grand soleil des eaux.

     

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    Photos Nancy Vuylsteke de Laps, par courtoisie de l’artiste.
    Exposition à la Galerie Pascal Janssens (Gand) à partir du 28 janvier 2012.

     

     

  • Et plurielles

    Singulières et plurielles (1992), ce titre de Colette Nys-Mazure, avec qui bien des lecteurs ont fait connaissance à travers Célébration du quotidien, est le livre d’une femme sur les femmes – « peut-être parce que souvent ce sont les hommes qui ont écrit sur les femmes, en leur lieu et place » – mais Nys-Mazure n’y tient pas la plume pour polémiquer. « Ce n’est qu’une femme occupée à tailler une large tranche de poésie dans le pain tout chaud des jours. » (La cuisine du poète) Une cinquantaine de textes courts, « suite de portraits en mouvement, d’instantanés », accompagnés de quelques photographies. En voici quelques-uns. 

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    Portrait par Wilhelm Balmer (1865-1922) 

    FIDELE

     

    Elle est de ce qui croit, persiste et tient. Elle s’obstine à brûler sous la neige, à s’enraciner au désert. Quand tous se taisent, elle muse encore. A l’aigu de la fatigue, paupières papillonnantes, elle vacille mais demeure debout. Elle repeint les meubles de jardin, recoud boutons et ourlets, pique dans ses cheveux un peigne d’aïeule. Fait ricocher l’amitié, recueille les mots d’enfants et les cris d’adieu. Arpenteuse chargée du poids léger de l’amour sans borne ni condition. Ils peuvent sourire, les oublieux qui baissent le front sous le feu des rosaces ; s’ils durent, c’est un peu parce qu’elle veille.

     

     

    MATINALE

     

    Elle marque son territoire aux parages du matin ; d’oiseaux précoces, elle balise la ténèbre. Entre les flaques de ciel cerné d’obscur, elle devine un jour à naître et s’y destine ; regard planté dans l’échancrure. On la croirait sœur des chouettes – les chevêches, les hulottes – mais elle guette l’alouette et devance de peu son tracé ivre. Lorsque celle-ci tarde à poindre, elle patiente et jalonne son espoir de blancs poèmes.

     

     

    IRREDUCTIBLE

     

    Elle, dure et nouée. Maigre noyau séché, dont l'arête écorche la paume de bonne foi. Elle ne se fendra pas, la cruelle, la sans-coeur. La rebelle. Le caillou cogne et entaille, meurtrit. L'impitoyable. Casserait plutôt que de se laisser arrondir. Elle rebondit sur le mur mauvais. Blesse irrévocablement. 

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    Van Rysselberghe, Jeune femme à contrejour

    RANDONNEUSE

     

    Elle s’en va parfois. Loin des autres, tous. Se donne congé, se livre à elle-même au ventre d’une maison très étrangère, le long d’une berge, au feuillu des forêts. Se retire pour éprouver si la vie la traverse encore. Faut-il émonder, greffer, tailler ? Table rase. Autour d’elle, murmures, soupçons. Elle n’en prend pas ombrage. Qui éclairerait-elle si elle n’y voyait plus ? Elle glisse en ses limbes. Elle remontera un fil ténu ou de bruissantes étoiles.

     

     

    SOURCIERE

     

    Silence sur l’oubli ; à l’affût de la fêlure. L’ébranlement. Une pluie sur la mer réveillerait le jardin roui de soleil. Le coquelicot contre la chaux aveuglante d’un muret excitera le sauvage bleuissement des jacinthes dans le bois d’enfance. Un plissement tendre des yeux épelle l’ombre du père. Un instant. Fugace connivence. Comme des copeaux épars invoquent la forêt. D’un simple attelage de syllabes, d’une cascade de voyelles, jouent les harmoniques. Ecart, grand écart entre l’objet et le poème. Moins reflet que recréation. Une sorcellerie.

  • Beauvoir et Colette

    « Quand Simone de Beauvoir rencontre Colette chez Simone Berriau, elle fait grand cas de l’écrivain. Elle a beaucoup aimé ses héroïnes, dont la libre et séduisante Vinca du Blé en herbe, emprunté aux descriptions que Colette fait du gynécée, admiré ses rapports avec Sido, qu’elle a pris à la lettre. Elle aime aussi le personnage, sa tête lui « revient ». Mais elle est rebutée par le contentement de soi qu’affiche la romancière, lui reproche la médiocrité de son horizon, la ténuité de ses préoccupations, son horreur des idées générales. Colette, au reste, la reçoit fraîchement, c’est à peine une rencontre. »

    Mona Ozouf, Dix voix de femmes (Introduction à son essai, Les Mots des femmes)

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    Félix Vallotton, Misia à son bureau (Musée de l'Annonciade)
    http://malcontenta.blog.lemonde.fr/2010/01/21/la-lettre%e2%80%a6/
    La lettre... (un billet de Malcontenta sur "Double je")

  • Mots des femmes

    Parmi les essais rangés dans la bibliothèque lors du déménagement et que je me suis promis de relire, Les Mots des femmes (1995) de Mona Ozouf.  De madame du Deffand à Simone de Beauvoir, ce sont dix portraits de femmes que l’essayiste accompagne, interroge, commente. La directrice de recherche au CNRS a publié depuis bien d’autres ouvrages de grande réputation que je n’ai pas encore ouverts, comme La Muse démocratique, Henry James ou les pouvoirs du roman (1998) ou Composition française : Retour sur une enfance bretonne (2009), mais pour l’instant je m’en tiendrai à l’introduction de Mona Ozouf aux Mots des femmes, intitulée « Dix voix de femmes ».

     

     

    « Le portrait de femme est un genre masculin. Il s’orne rarement d’une signature féminine. Il se soucie peu des mots des femmes. Il a ses grands hommes, ses auteurs canoniques, les Goncourt, Michelet, Sainte-Beuve. Il a ses lois, il a sa manière. Normatif autant que descriptif, il procède d’une conviction forte : l’auteur d’un portrait masculin n’a nul besoin d’une réflexion préalable sur ce qu’est un homme. » Cet incipit donne le ton. Rappelant les termes dans lesquels Michelet présente « la femme telle qu’elle doit être » lorsqu’il écrit Les Femmes de la Révolution – période de l’histoire dont Mona Ozouf est spécialiste – ou ceux de Sainte-Beuve enchanté par la grâce sérieuse de madame de Rémusat, elle veut rompre avec cette image emblématique des femmes « qui produisent des livres exquis et rares, de préférence pour le cercle des intimes, qui passent avec une élégance discrète dans la littérature et dans la vie et ont la pudeur de leur talent ».

     

    Cet idéal-type féminin qui pousse Diderot à écrire que « Quand on écrit sur les femmes, il faut tremper sa plume dans l’arc-en-ciel et jeter sur sa ligne la poussière des ailes du papillon » (Sur les femmes) mène à s’intéresser moins à leur singularité personnelle qu’à leur conformité au modèle. Même dans le discours actuel sur les femmes, Mona Ozouf perçoit encore l’empreinte masculine qui définit les rôles et les devoirs, fixe « les règles canoniques du portrait ». Comment s’émanciper de ces représentations dominantes ? C’est ce qu’elle a voulu demander à dix de ces femmes « qui ont abondamment écrit sur la destinée féminine et dont frappe la voix autonome, quand on veut bien l’écouter » : madame du Deffand, madame de Charrière, madame Roland, madame de Staël, madame de Rémusat, George Sand, Hubertine Auclert, Colette, Simone Weil et Simone de Beauvoir.

     

    Entendre leur originalité, montrer leur inventivité. En France, selon Mona Ozouf, le féminisme reste tranquille, mesuré, timide, comparé à celui des féministes anglo-saxonnes, au ton plus agressif. Pour les dix interlocutrices françaises qu’elle s’est choisies, elle rappelle que la volonté d’écrire avait un prix, « le prix que doit payer à la société la femme auteur : la marginalité, le ridicule, le manque d’amour, l’affrontement direct et violent avec le monde masculin. » Un tourment décrit « incomparablement » par madame de Staël dont le père ridiculisait la femme qui écrit et dont la mère enseignait que « les femmes doivent briller à la manière des vers luisants, c’est-à-dire dans l’obscurité et faiblement ».

     

    Pour solliciter leur témoignage, Ozouf a préféré puiser dans leurs textes les plus personnels : « j’ai interrogé les Mémoires de préférence aux romans, et les correspondances de préférence aux Mémoires. Elles en ont laissé d’immenses et ont dit pourquoi les mots qui voyagent dans les lettres ont un cachet particulier d’authenticité. » Ces dix femmes ne parlent pas d’une seule voix, et leur discours diffère pour dire « l’amour, le mariage, la maternité, les relations entre hommes et femmes, les fortunes et infortunes de la destinée ». Chacune conçoit à sa manière le rapport entre les sexes et le statut de la femme. Il existe néanmoins entre elle des affinités, des liens, parfois même des rencontres.

     

    « Quelque chose de plus profond encore les unit toutes : une foi, une inquiétude. La foi est celle qu’elles ont placée dans l’éducation des filles. » En effet, celle-ci ne les prépare pas seulement à une destination ou à un état, mais au-delà, « annonce une émancipation, promet qu’on peut ne pas être ce que l’on est, éloigne la fatale féminité. » Passionnées d’apprentissage, de lecture, en écrivant, elles se délient. L’inquiétude réside dans leur rapport particulier au temps, à leur difficulté à « se défaire de la traîne persistante du passé dans le présent ». Je vous reparlerai sans doute de cet essai, Les Mots des femmes, que suit dans la collection Tel, un Essai sur la singularité française. La belle langue qu’écrit (et que parle) Mona Ozouf n’est évidemment pas étrangère au plaisir de la lire et de la relire.

  • Sorcières

    Ils n’étaient pas perdus mais les voilà retrouvés, ces quatorze numéros de Sorcières, revue bimestrielle, conservés comme une trace précieuse de ces années-là, de ces années 1975 à 1980 où le féminisme s’épanouissait en réunions et en périodiques (Des femmes en mouvements, F magazine dans sa première version, Voyelles, Cahiers du GRIF…). C’était joyeux, libérateur, convivial, loin des clichés qui réduisent le féminisme à quelque posture misandre et radicale.

     

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    Sorcières (Editions Albatros, Paris) porte en sous-titre : « Les femmes vivent ». Pourquoi Sorcières ? Xavière Gauthier, directrice de la publication, répond dans l’éditorial du premier numéro sur le thème de la nourriture : « Parce qu’elles dansent. Elles dansent à la pleine lune. Femmes lunaires, lunatiques, atteintes – disent-ils – de folie périodique. Gonflées de révolte fulgurante, de colère bouillonnante, gonflées de désir, elles dansent sur la lande sauvage des danses sauvages. Sauvages, comme l’homme blanc le dit des autres ethnies ; sauvages comme l’Etat et le syndicat le disent de certaines grèves, de certaines crèches. Elles dansent, sauvages et irrécupérables, comme le désir. » Les femmes chantent, elles vivent, elles jouissent. Pour chaque numéro, « sur un thème choisi, un véritable groupe de travail peut se créer, où chacune peut réellement discuter, suggérer, investir quelque chose d’elle-même, mettre en jeu ses joies, ses questions, ses forces, ses désirs. »

     

    Dès le début, des signatures connues – Hélène Cixous, Annie Leclerc, Marguerite Duras (sa recette de la soupe aux poireaux), Chantal Chawaf – se mêlent à de simples prénoms ou pseudos – Igrecque, Léni, Katia, Elizabeth, Marie-Hélène, … A la rubrique des livres : Viviane Forrester, Nancy Huston, Julia Kristeva, entre autres. Des textes littéraires, des réflexions, des témoignages, accompagnés d’illustrations originales et impertinentes en noir et blanc : photomontages, dessins, photos, caricatures, également signés par des femmes. Les thèmes ? La voix (2), se prostituer (3), enceintes – porter, accoucher (4), odeurs (5), prisonnières (6), écritures (7), fidélités (8), le sang (9), l’art et les femmes (10), espaces et lieux (11), théorie (12), poupées (13), la mort (18). A chaque numéro de 64 pages., une nouvelle couleur pour la couverture au format 16,5 x 24.

     

    Avant de leur offrir une place dans ma bibliothèque réinstallée, j’ai feuilleté mes Sorcières au plaisir de la redécouverte. Intéressant, quelque trente ans plus tard, de voir ce que j’ai coché, souligné, marqué d’une croix (au crayon comme je le fais encore aujourd’hui, parfois en rouge, folle jeunesse). Un poème de Catherine Ribeiro, « De cette voix surgira la vie ». Un paragraphe de Claudine Herrmann : « La femme qui s’attaque au langage me paraît devoir combattre une double difficulté : d’un côté, l’affleurement de nouveaux signifiés, particulièrement nombreux (exprimer ce qui ne l’a pas été parce que c’étaient des concepts féminins), de l’autre, travailler le langage pour qu’il devienne perméable à ces nouveaux concepts. »

     

    A partir du numéro 10, Sorcières a été publié chez Stock. Le prix entre-temps est passé de 12 à 15 FF, puis pour sa nouvelle formule augmentée de cent pages et d’une nouvelle inédite, à 38 FF. Diverses rubriques complètent le sommaire et le dossier thématique : livres, peinture, sculpture, théâtre, cinéma, faits, courrier, et pour terminer, «  informations… luttes… initiatives… de femmes ». La revue s’éteint en 1982.

    Les sorcières sont à la une chez Euterpe, Septimus les entend sur les toits. Depuis que je me suis mise à ce billet, je chante avec Pauline Julien la chanson d’Anne Sylvestre. Connaissez-vous ces Sorcières ?