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Et plurielles

Singulières et plurielles (1992), ce titre de Colette Nys-Mazure, avec qui bien des lecteurs ont fait connaissance à travers Célébration du quotidien, est le livre d’une femme sur les femmes – « peut-être parce que souvent ce sont les hommes qui ont écrit sur les femmes, en leur lieu et place » – mais Nys-Mazure n’y tient pas la plume pour polémiquer. « Ce n’est qu’une femme occupée à tailler une large tranche de poésie dans le pain tout chaud des jours. » (La cuisine du poète) Une cinquantaine de textes courts, « suite de portraits en mouvement, d’instantanés », accompagnés de quelques photographies. En voici quelques-uns. 

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Portrait par Wilhelm Balmer (1865-1922) 

FIDELE

 

Elle est de ce qui croit, persiste et tient. Elle s’obstine à brûler sous la neige, à s’enraciner au désert. Quand tous se taisent, elle muse encore. A l’aigu de la fatigue, paupières papillonnantes, elle vacille mais demeure debout. Elle repeint les meubles de jardin, recoud boutons et ourlets, pique dans ses cheveux un peigne d’aïeule. Fait ricocher l’amitié, recueille les mots d’enfants et les cris d’adieu. Arpenteuse chargée du poids léger de l’amour sans borne ni condition. Ils peuvent sourire, les oublieux qui baissent le front sous le feu des rosaces ; s’ils durent, c’est un peu parce qu’elle veille.

 

 

MATINALE

 

Elle marque son territoire aux parages du matin ; d’oiseaux précoces, elle balise la ténèbre. Entre les flaques de ciel cerné d’obscur, elle devine un jour à naître et s’y destine ; regard planté dans l’échancrure. On la croirait sœur des chouettes – les chevêches, les hulottes – mais elle guette l’alouette et devance de peu son tracé ivre. Lorsque celle-ci tarde à poindre, elle patiente et jalonne son espoir de blancs poèmes.

 

 

IRREDUCTIBLE

 

Elle, dure et nouée. Maigre noyau séché, dont l'arête écorche la paume de bonne foi. Elle ne se fendra pas, la cruelle, la sans-coeur. La rebelle. Le caillou cogne et entaille, meurtrit. L'impitoyable. Casserait plutôt que de se laisser arrondir. Elle rebondit sur le mur mauvais. Blesse irrévocablement. 

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Van Rysselberghe, Jeune femme à contrejour

RANDONNEUSE

 

Elle s’en va parfois. Loin des autres, tous. Se donne congé, se livre à elle-même au ventre d’une maison très étrangère, le long d’une berge, au feuillu des forêts. Se retire pour éprouver si la vie la traverse encore. Faut-il émonder, greffer, tailler ? Table rase. Autour d’elle, murmures, soupçons. Elle n’en prend pas ombrage. Qui éclairerait-elle si elle n’y voyait plus ? Elle glisse en ses limbes. Elle remontera un fil ténu ou de bruissantes étoiles.

 

 

SOURCIERE

 

Silence sur l’oubli ; à l’affût de la fêlure. L’ébranlement. Une pluie sur la mer réveillerait le jardin roui de soleil. Le coquelicot contre la chaux aveuglante d’un muret excitera le sauvage bleuissement des jacinthes dans le bois d’enfance. Un plissement tendre des yeux épelle l’ombre du père. Un instant. Fugace connivence. Comme des copeaux épars invoquent la forêt. D’un simple attelage de syllabes, d’une cascade de voyelles, jouent les harmoniques. Ecart, grand écart entre l’objet et le poème. Moins reflet que recréation. Une sorcellerie.

Commentaires

  • Une belle façon de célébrer les femmes !
    Je connais mal cette auteure j'ai juste un recueil de poésies rassemblant des poètes francophones

  • Un charmant poète que cette Colette Nys-Mazure, dont je possède plusieurs ouvrages, et que j'ai eu le plaisir de connaître lorsque nous appartenions toutes deux aux "Cahiers Froissart" de Valenciennes.

  • Superbes ces portraits, on s'y identifie facilement, loin des éternels clichés sur les femmes.
    Mots et tableaux forment un ensemble solide et délicat à la fois. Merci!

  • AP :
    - "L'Arabie saoudite a exécuté une femme de 60 ans pour « pratique de la sorcellerie ». La décapitation d'Amina bint Abdul Halim bin Salem Nasser, dans la province septentrionale de Jawf, le 11 décembre, a provoqué la colère des organisations internationales de défense des droits humains."

  • @ Dominique : Heureuse de te faire découvrir une autre facette de Nys-Mazure, poète aussi dans ces portraits rythmés.

    @ Armelle B. : Rencontre entre des femmes d'écriture ! Vous êtes en pays de connaissance, vous qui êtes aussi poète.

    @ Colo : C'est ce qui m'a plu, cette vision originale, des figures familières, actives, liées à tout ce qui vit. Contente que tu aimes aussi les illustrations.

    @ JEA : C'est terrible, JEA, d'entendre ou de lire de telles nouvelles. Je pense aux femmes de ces pays encore ancrés dans les traditions machistes et qui ont tant de difficultés à faire entendre leur voix.

  • Je voulais te dire que "la sourcière" était mon texte préféré et puis je vois le commentaire de JEA et je suis horrifiée.

  • @ Aifelle : Merci, Aifelle, il y a du choix dans ce recueil. (Quant aux droits des femmes, il reste tant à faire, à dire, à écrire, à manifester...)

  • Si j'ai bien compris, cette dame était accusée de sorcellerie parce que supposée guérisseuse ("rebouteuse" disait-on autrefois par chez moi).

  • @ JEA : Merci pour la précision. En lien, l'article trouvé sur le site d'Amnesty :
    http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Violences/Peine-de-mort/Actualites/Decapitation-pour-sorcellerie-en-Arabie-Saoudite-4227

  • Je l'ai lu, mais il ne correspondait pas à mon esprit du moment, ce qui m'a empêchée de savourer les subtilités. Dommage.

  • @ Delphine : La poésie demande un état d'esprit particulier, ce qiu fait que parfois nous ne sommes pas disponibles, c'est vrai. Parfois aussi on attend autre chose d'un livre que ce qu'il donne (c'est comme pour les gens, non ?) Bonne soirée, Delphine.

  • Merci Tania pour ces deux portraits que je trouve merveilleux. J'aime beaucoup l'expression de ces deux personnes. Superbe.

  • @ Denise : Vous justifiez tout le temps pris à choisir ces illustrations, merci Denise.

  • C'est bon, mais ça me chipote au bout des doigts. Doit-on être une femme pour "bien" parler des femmes, doit-on être un homme pour bien "comprendre" les hommes? Je pense toujours qu'un bon écrivain, homme ou femme, arrive précisément à se mettre dans la peau de ses personnages, il ou elle, sans entrer dans les clichés, dont parle très justement colo.

  • @ Damien : Doit-on... ? On ne doit pas, tu as raison. S'il fallait se limiter à sa propre expérience, il n'y aurait pas de littérature.
    Cela étant dit, Nys-Mazure constate que "Si l'on s'en tient au seul monde des Lettres (sans toucher à la sphère politique ou à l'Eglise), il suffit de consulter les tables des matières des anthologies ou le programme d'un colloque, la composition d'un conseil de rédaction, pour observer combien elles (les femmes) sont réduites à la portion congrue." Elle milite donc pour une part plus grande des femmes dans le monde littéraire.
    Un lien vers la fiche biographique du Service du Livre Luxembourgeois pour mieux la situer : http://www.servicedulivre.be/sll/fiches_auteurs/n/nys-mazure-colette.html

  • Je suis un fan de l'oeuvre de Colette Nys-Mazure que j'ai déjà rencontrée trois fois. Tu trouveras plusieurs comptes-rendus de ses livres sur http://ecrivainsbelges.blogspot.com . Personnellement, c'est surtout son récit autobiographique sur la mort de ses parents qui m'a marqué et que j'ai déjà prêté à des personnes ayant perdu un proche.

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