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culture - Page 557

  • Cherche ses yeux

    Roman policier ? Ce serait réducteur. Avec Pleine lune (1997), Antonio Muñoz Molina enrichit la littérature espagnole d’une œuvre romanesque au sens fort : une intrigue palpitante, une écriture magnifique, servie par la traduction de Philippe Bataillon. Incipit : « Jour et nuit il marchait dans la ville à la recherche d’un regard. Il ne vivait que pour cette obligation, même s’il tentait de faire d’autres choses ou feignait de les faire, il ne faisait que regarder, il épiait les yeux des gens, les visages des inconnus, des garçons de café, des vendeurs de magasins, les visages et les regards des prisonniers sur les fiches d’identité. »

     

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    Juan Gris, Pierrot

     

    Tout de suite, on marche, avec l’inspecteur, on est pris dans le rythme de ses obsessions : retrouver l’assassin de Fátima, une petite fille de neuf ans sortie pour s’acheter à la papeterie du papier bristol et des Crayolors, jamais rentrée, dont le cadavre a été retrouvé sur un talus dans le parc de la Cava, une nuit de pleine lune. C’est pour résoudre cette affaire que l’inspecteur a enfin obtenu la mutation que sa femme et lui attendaient depuis des années, à Bilbao, usés par l’angoisse, les menaces et le harcèlement téléphonique, au point que sa femme, en dépression, suit maintenant une cure en résidence psychiatrique et que lui, insomniaque, se tient sur ses gardes jour après jour pour vérifier à chaque instant autour de lui les signes d’un danger potentiel. Ils n’ont pas d’enfant.

     

    De retour dans la petite ville où il a fait ses études à l’internat, il y a rendu visite au
    père Orduña à qui il avait écrit pendant quelque temps, reconnaissant pour la bourse qu’il lui avait obtenue, et c’est le vieux jésuite anticonformiste qui lui a dit : « Cherche ses yeux ». En scrutant le regard des gosses alignés devant lui, en classe, le prêtre identifiait toujours le coupable. Le visage blanc de la petite obsède l’inspecteur, morte étouffée par le tissu de sa culotte enfoncée dans la bouche. « Il cherchait des yeux
    un visage qui serait le miroir d’une âme embusquée, un miroir vide qui ne reflétait rien, ni le remords ni la compassion, peut-être même pas la peur de la police. »
    Mais chacun vit « avec son secret enfoui dans son âme, qui lui ronge le cœur, toujours inaccessible, non seulement aux inconnus mais aussi à ceux qui sont les plus proches ».

     

    Ici, on ne le connaît pas encore, cela permet à l’inspecteur de surveiller plus à l’aise. « L’hiver et la peur, la présence du crime, étaient tombés sur la ville comme des frissons simultanés, comme un saisissement de rues silencieuses et désertes au crépuscule, battues par une pluie froide et un vent chargé d’odeurs de terre qui en une ou deux nuits avait fait tomber toutes les feuilles des platanes et des marronniers, jaunies depuis avant l’été à cause de la longue sécheresse. » Jusqu’au jour où il voit son propre visage au journal télévisé, pris de très près, son nom et sa fonction inscrits au bas de l’écran – « et il s’irrita beaucoup et s’inquiéta plus qu’il n’était prêt à le reconnaître. (…) Il se demanda si ces images avaient été vues par l’un de ceux qui lui envoyaient des lettres anonymes quand il était dans le nord ».

     

    Par ses parents, qui lui ont montré le film de sa communion, par l’école, par les voisins, l’enquêteur s’est fait une idée de la personnalité de la victime, une fillette attentive aux autres et qui aimait apprendre. Susana Grey, son institutrice, qui vit seule avec son fils, est la première à oser s’approcher de cette « clarté froide qui était le nouveau pays où habitait maintenant l’inspecteur », un homme dans la cinquantaine qui ne boit plus d’alcool, ne fume plus, n’a plus de femme qui l’attend chez lui. Une vieille femme est enfin venue témoigner, elle a vu sortir l’enfant avec un homme jeune qui la tenait par l’épaule. Elle a répété sa description devant l’institutrice, au cas où celle-ci y reconnaîtrait quelqu’un : un homme d’une vingtaine d’années, sans doute un travailleur manuel aux ongles mal coupés avec des bords tranchants, d’après Ferreras, le médecin légiste.

     

    Soudain un paragraphe entre guillemets, un extrait de rapport très précis sur les allées et venues quotidiennes de l’inspecteur, sur ses habitudes. Habitué à suivre les obsessions de l’enquêteur, le lecteur découvre tout à coup celles d’un inconnu qui vient de s’installer en ville et le piste. Puis c’est un autre monologue intérieur : les préoccupations d’un homme qui vit avec ses vieux parents qui le dégoûtent, dans un appartement du centre historique aux odeurs nauséabondes, qui « passe sa vie à travailler plus d’heures que n’en compte le cadran » ; il prend soin de mettre à part du linge souillé qu’il veut laver lui-même.

     

    Quand elle le revoit, Susana Grey apprend à l’inspecteur que son anorak et ses chaussures suffisent à l’identifier comme venant du nord. Intéressée par cet homme enfermé en lui-même, elle le questionne sur sa vie, sa femme ; elle l’emmène dans sa voiture à « L’île de Cuba », un restaurant près du fleuve et lui parle « comme presque jamais dans sa vie depuis qu’elle était adulte ». Ces deux-là n’ont pas fini de se rencontrer.

     

    « Les mains propres, les mains molles de tant d’humidité, les mains rougies par le travail et le froid, les mains aux doigts grands, aux ongles cassés, avec leurs tranchants rugueux et cornés, des ongles toujours cernés de noir… » Ainsi
    débute une phrase de deux pages et demie qui nous entraîne avec l’assassin vers un autre crime, presque identique, qui va faire avancer l’enquête. C’est un des passages les plus forts de Pleine lune où la phrase longue, de virgule en virgule, porte sensations, pensées, pulsions. La traque se précise, elle aboutira, mais rien ne sera
    plus jamais comme avant pour l’inspecteur, pour sa femme, pour Susana. Rien n'est plus jamais comme avant pour personne.

     

    Antonio Muñoz Molina excelle à rendre le va-et-vient permanent du corps à l’esprit et de l’esprit au corps : le regard qui parle ou se tait, les mains qui disent qui nous sommes, ce que nous cachons, ce que nous cherchons. Le va-et-vient du temps aussi, dans nos vies, de l’enfant à l’adulte en nous, de la vieillesse à la jeunesse. « C’est que je veux que tu saches qui tu étais », dit le prêtre rouge à l’inspecteur en lui montrant ses archives, « Tu n’as pas l’air de bien te souvenir. Aujourd’hui les gens oublient tout, de sorte que personne ne sait qui il est vraiment. » Nous n'oublierons pas ces personnages dont nous avons presque partagé le souffle et en tout cas l'inquiétude dans ces nuits froides chevauchées par la lune, comme une malédiction.

  • Différente

    « La souffrance d’être différente est la véritable formation de Frida. Elle ne songe guère à peindre à ce moment-là. Mais elle vit dans un monde de fantaisie et de rêves, où elle trouve une compensation à sa solitude en faisant apparaître
    à volonté, sur la fenêtre de sa chambre, une autre Frida, son double, sa sœur : « Sur la buée des vitres, avec un doigt, je dessinais une porte, écrit-elle dans son Journal, et par cette porte je m’échappais par l’imagination avec une grande joie et un sentiment de hâte. J’allais jusqu’à une laiterie appelée Pinzon. Je traversais le « O » de Pinzon et de là je descendais vers le centre de la terre où « mon amie imaginaire » m’attendait toujours. Je ne me souviens plus de son image, ni de la couleur de ses cheveux. Mais je sais qu’elle était gaie, qu’elle riait beaucoup. Sans bruit. Elle était agile et elle dansait comme si elle ne pesait rien. Je l’accompagnais dans sa danse, et en même temps je lui racontais tous mes secrets. » 
    »

     

    J.M.G. Le Clézio, Diego & Frida, Stock, 1993.

     

     

     

  • Le monde de Frida

    Frida Kahlo y su mundo : dans le cadre de ses « Pleins feux sur le Mexique et l’Espagne », le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar) montre jusqu’au 18 avril prochain le monde de Frida Kahlo (1907-1954), une petite exposition de vingt-six œuvres du musée Dolores Olmedo (Xochimilco, Mexique). L’engouement pour l’artiste mexicaine au destin tragique, l’espace limité de la salle valent aux visiteurs des horaires élargis jusqu’à vingt et une heures du jeudi au dimanche.

    Kahlo, Autoportrait au petit singe (détail) (couverture Taschen).jpg

    J’avais voulu visiter cette exposition en soirée il y a quelque temps, mais pas de chance, une alerte à la bombe dans une banque voisine avait entraîné le blocage de tout le périmètre – explication du lendemain : un aspirateur avait été livré en fin de journée à la banque, colis suspect qui a valu à tous les amateurs d’expositions et de concerts d’annuler leur soirée ou de la passer dans les cafés et restaurants des environs. C’est en buvant un délicieux thé « Klimt » (merci, B.) non loin de là que j’ai appris par des gardiens (eux aussi évacués) que le lundi, habituellement jour de fermeture, l’accès ne pose aucun problème d’attente.

    Regarder les œuvres de Frida Kahlo, devenue, comme il l’avait prédit, plus célèbre que son mari Diego Rivera, le grand peintre mexicain de fresques sociales, c’est entrer dans l’univers d’une femme ardente qui a choisi de peindre ce qu’elle vivait : « Je n’ai jamais peint des rêves, j’ai peint ma propre réalité. »  Le Bus (1929) montre,
    assis côte à côte sur une banquette, dos à la rue, une ménagère, un ouvrier, une
    femme enveloppée dans un châle en train d’allaiter son enfant, un petit garçon qui
    s’est retourné vers la fenêtre et un bourgeois en costume, enfin une jeune femme écharpe au vent, élégante et sereine comme l’était Frida Kahlo avant le terrible accident d’autobus qui lui a brisé les vertèbres et d’autres os en 1925 et qui, après
    une enfance déjà marquée par la polio, a bouleversé ses projets d’étudiante en médecine, sa vie tout entière. A sa manière naïve, c’est déjà une peinture de la vie populaire au Mexique.

    Pas de chronologie dans la présentation : les œuvres (de 1929 à 1954) sont en
    général isolées les unes des autres, violemment éclairées, adossées à de grands panneaux inclinés qui structurent l’espace d’exposition plongé dans la pénombre. L’autoportrait avec petit singe (1945) est la première œuvre puissamment personnelle du parcours : elle s’y est peinte de face avec ses sourcils épais qui se rejoignent, son ombre de moustache, les lèvres serrées, les yeux fixes, les cheveux tressés à la manière traditionnelle, en compagnie d’un petit singe et d’un chien et aussi d’un animal en céramique précolombienne. Un ruban doré les relie l’un à l’autre dans un décor de feuillages entrelacés. (Quasi toutes les œuvres exposées sont illustrées dans la monographie consacrée à Frida Kahlo chez Taschen.) C’est avec La colonne brisée (1944) une des œuvres les plus connues, celle-ci relatant son calvaire avec la colonne vertébrale brisée en plusieurs endroits, les arceaux du corset qui enserrent le torse et les clous enfoncés sur toute la surface du corps, pointes sombres sur la peau auxquelles répondent des larmes blanches sur le visage.

    Frida Kahlo représente aussi les autres : une Eva Frederick amicale, un collier de perles vertes autour du cou ;  une fillette en robe verte à pois rouges (le col attaché par une épingle de nourrice) assise sur une chaise devant un mur mauve et ocre, le regard sérieux ; la douce doña Rosita Morillo en train de tricoter, vieille femme aux cheveux blancs, un châle sur les épaules, devant des cactus en fleurs et des branches mortes. Particulièrement frappant, le Portrait de Luther Burbank, un spécialiste des hybrides de fleurs et de légumes qu’elle a représenté sortant d’un tronc d’arbre dont les racines puisent leur sève dans un cadavre enfoui sous la terre, et tenant à la main de gigantesques feuilles, devant un paysage planté de deux arbres fruitiers.

    La maternité et l’art forment un autre fil conducteur, de l’extraordinaire représentation qu’elle fait d’elle-même avec sa figure d’adulte et un corps d’enfant en train de téter le sein d’une nourrice indienne à la peau sombre et au visage masqué (Mi nana y yo,
    Ma nounou et moi
    ) aux scènes sanglantes qui évoquent ses fausses couches ou un assassinat sordide, jusqu’à cette lithographie où elle se représente divisée en deux, le fœtus perdu d’un côté, la palette à la main de l’autre. Diego Rivera la voyait comme « la première femme dans l’histoire de l’art à avoir repris, avec une sincérité absolue et impitoyable, les thèmes généraux et particuliers qui concernent exclusivement les femmes. »

    Quelques œuvres moins narratives, pas vraiment surréalistes, relèvent plutôt d’un symbolisme fantastique comme La fleur de la vie (1944) – une plante rouge hermaphrodite, allusion à sa bisexualité, ou Le poussin (1945), évocation de l’humanité menacée par la guerre nucléaire (œuvre inspirée, dit-on, par Hiroshima).
    Un diaporama sur grand écran feuillette le journal intime que Frida Kahlo a tenu pendant les dix dernières années de sa vie, combinant textes et dessins.

    Trop peu d’œuvres pour juger de l’apport de cette artiste à l’histoire de l’art pictural, mais assez pour ressentir l’authenticité de son engagement artistique. Au-delà de son cas personnel, Frida Kahlo crée un univers original nourri par la culture mexicaine traditionnelle (couleurs fortes, parures, cohabitation de la vie et de la mort), par l’attention aux personnes, par le questionnement existentiel. Quel est le sens de ce que nous vivons ? Comment peindre la souffrance physique ? la douleur morale ? Ce ne sont pas des questions exclusivement « féminines », c’est le défi que lancent au monde ceux qui ne se contentent pas de la vie telle qu’elle se présente, mais la réinventent quand ils créent. C’est le monde de l’art.

  • Vieux couples

    « Toutes les unions ne fondent pas comme neige au soleil, il en est qui durent et ne font pas figure d’exception. Dans le conflit entre le jaillissement et l’usure, les amants ont arbitré pour la permanence. Ils ont battu de l’aile parfois, ont traversé des périodes noires, emportés par les eaux troubles du cafard, se sont quittés, ont surmonté ces blessures. Dans l’alliage délicat de l’incandescence et de la durée, ils ont opté pour cette dernière qui effrite la ferveur mais renforce la confiance. Ils ont choisi l’ossature d’une chronologie longue contre le flamboiement du désir mais ils s’émerveillent aussi que l’accoutumance n’ait pas complètement tué l’effervescence, ils se remercient de ne pas s’être quittés. Cette noble persévérance des vieux couples mérite notre attention même si nous ne la suivons pas tous. 

     

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    Ó Stilfehler sur Wikimedia commons

      

    Comment freiner l’érosion inévitable du mariage d’inclination ? En fondant l’association sur d’autres liens que l’extase ou la frénésie : sur l’estime, la complicité, la transmission, la joie de fonder une famille, la quête d’une certaine immortalité à travers enfants et petits-enfants dont parlaient les Anciens. Il faut réhabiliter les climats tempérés du sentiment, à l’amour fou opposer l’amour doux qui travaille à l’édification du monde, pactise avec les jours, les voit comme des alliés, non des ennemis. 

     

    Le bonheur, disait Madame de Sévigné, c’est d’être auprès de ceux qu’on aime.»

    Pascal Bruckner, Le paradoxe amoureux

  • Libres d'aimer

    Sur l’amour, le grand sujet, que de romans, que de réflexions – au premier rang desquelles L’Amour et l’Occident de Denis de Rougemont. Pascal Bruckner, après Le nouveau désordre amoureux (1977) en collaboration avec Alain Finkielkraut, y revient dans Le paradoxe amoureux (2009). C’est d’abord un état des lieux, un panorama des mœurs contemporaines ou du moins de l’amour tel qu’il l’observe aujourd’hui,  tel que les médias en parlent. 

    Coupe au couple.jpg

    Dès l’introduction, le bilan des euphoriques années 60-70 – « Notre liberté, ivre d’elle-même, ne connaissait pas de bornes, le monde était notre ami et nous le
    lui rendions bien »
    – conduit à la question fondamentale de cet essai : « Comment l’amour qui attache peut-il s’accommoder de la liberté qui sépare ? »
    Loin des conventions du mariage bourgeois qui se passait des sentiments pour garantir l’ordre social, l’amour est aujourd’hui la condition sine qua non du couple, dans une exigence contradictoire. On veut « aimer passionnément, si possible être aimé de même, tout en restant autonome. » S’attacher et rester détaché, dans « la libre disposition de soi ».

     

    La libération des mœurs, dans les démocraties occidentales, n’a pas pour autant mis un terme à la difficulté d’être heureux ensemble. Qu’avons-nous gagné finalement ? « Le droit d’être seul », répond l’auteur, et ce n’est pas rien quand on songe à l’opprobre que s’est longtemps attiré l’état de célibataire ; or vivre en solo, c’est le
    fait aujourd’hui de 170 millions de personnes dans l’Union européenne – « Reste
    qu’il s’agit d’une conquête négative, du simple fait de n’être pas dirigé ou commandé par un autre. »

     

    Impossible de résumer cet essai où Bruckner inventorie les comportements de ses contemporains pour établir une sorte de bilan de la « révolution sexuelle » en distinguant les profits et pertes de cet héritage. Plutôt qu’une interrogation philosophique – libres d’aimer, comment ceux qui s’aiment conjuguent-ils leurs libertés ? –, Le paradoxe amoureux propose une approche descriptive et critique de nos façons de vivre en couple aujourd’hui, tantôt dans un survol rapide à la manière « magazine », tantôt plus en profondeur. Bruckner dit les attentes et les frustrations, débusque les contradictions.

     

    Il montre, dans « Le doux mal qu’on souffre en aimant (Verlaine) », le bonheur de la vie en couple, où l’indulgence apparaît comme la « vertu de la vie à deux » : « Etre accepté tel que l’on est, avec ses faiblesses, sans être foudroyé. Suspension du verdict. » Le défi du mariage d’inclination à notre époque « hypersentimentale ». La sagesse de « l’amour doux » contre « l’amour fou ».

     

    La partie consacrée au « merveilleux charnel » dénonce l’exploitation de l’intimité amoureuse comme « le plus sûr produit de la société marchande » – « un peu de réserve, par pitié ». L’obsession du corps et son commerce conduiront-ils vers « la banqueroute de l’Eros » ? Observateur du monde contemporain,  Pascal Bruckner éclaire les mille et une facettes de l’amour et de l’érotisme sans résoudre, on s’en doutait, le paradoxe annoncé. Après l’hypocrisie  classique (ce « fossé entre les mœurs et  la respectabilité »), n’y a-t-il pas une hypocrisie contemporaine dans le « hiatus entre l’idéal affiché et la réalité éprouvée » ?

     

    Des formules brillantes qui cèdent souvent au plaisir d’un bon mot, des affirmations parfois abruptes (« Il est exact que les brutalités contre les femmes vont s’accroître à mesure que s’accroît leur indépendance »), de cette fresque diaprée du Paradoxe amoureux, que retenir ? Au bout du compte, Bruckner nous y apprend-il vraiment quelque chose ? Bernard Pivot l’a lu avec plus d'enthousiasme
    que moi, sous un titre au goût de primeur : « Le nouveau monde est amoureux ».